Début 2020, Charles Coulombeau remportait le Taittinger, prestigieux prix culinaire international de cuisine d’auteur. Affirmé et serein, à 28 ans, le chef tourne la page du Gravetye Manor (1 étoile, Sussex) pour un nouveau chapitre de son histoire : la direction du restaurant nancéien La Maison dans le Parc.
PARCOURS
À 15 ans, tout se transforme, le corps et l’esprit. Que faire de sa vie quand les seules vraies passions sont le basket et les copains ? Suivre le meilleur d’entre eux vers le lycée hôtelier de Biarritz. Bingo, c’est la révélation ! Esprit d’équipe, tout pour le mental de Charles Coulombeau. Et tout à coup, les bons petits plats de cuisine française qu’adore mitonner papa font sens avec ses corollaires de générosité et de plaisir à donner aux autres. Une fois la voie trouvée, il ne reste plus qu’à marcher, voire à courir. Tout est possible, d’élève sans éclat, Charles Coulombeau passe à élève motivé, les apprentissages deviennent des jeux, les difficultés techniques des épreuves excitantes. Le premier stage se déroule au Relais de la Poste de Jean Coussau (Magescq). Plongé dans le travail acharné de ce deux étoiles, il goûte à tout (Ah, la découverte des perles de caviar !) et constate que son futur métier devient une passion. Le BTS en apprentissage se fera du côté de Bidart chez les Frères Ibarboure où la cuisine basque s’y déploie avec raffinement et une pointe d’innovation. Charles Coulombeau y apprend la rigueur, le respect des chefs et l’importance du lien avec les producteurs ; il devient locavore. C’est là aussi que l’idylle avec Roxane, sa femme, se noue. BTS en poche, les deux amoureux partent chez Michel Guérard. Quoi de plus instructif que cette belle maison d’Eugénie-les-Bains, ses différents restaurants aux menus classiques et soignés et la présence tutélaire d’un chef de renom, héraut de la cuisine minceur ?
Il ne manque plus qu’une rencontre, de celle qui vous nourrit pour toujours, une présence qui vous ragaillardit et vous rassure. Ce sera celle d’Olivier Brulard, meilleur ouvrier de France et chef exécutif chez Michel Guérard avec qui il apprend notamment à manager une équipe et à s’appliquer à soi-même une rigueur professionnelle. Charles Coulombeau a trouvé son mentor, mais la jeunesse a ses pulsions, après un passage en Bourgogne, il passe trois ans et demi au Gravetye Manor entre restaurant inventif et potager luxuriant. Prix Taittinger en poche, Roxane et Charles Coulombeau disent Bye, Bye à la délicieuse campagne anglaise pour poser leurs valises à Nancy. Dès le début septembre, ils animeront La Maison dans le Parc en plein cœur de la ville. En attendant, Charles Coulombeau s’imprègne des recettes régionales, contacte des producteurs locaux, rêve de poissons d’eau douce et pourquoi pas de menus végétariens voire végan. Ne rien rejeter, tout revisiter, la classe d’un jeune chef à suivre.
Texte : Jérôme Descamps
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Comment Charles Coulombeau s’approprie au quotidien le métier de chef ? Il partage avec nous quelques aspects de sa vision, en tant que créatif et manager.
Avec votre femme, Roxane, vous venez de reprendre la direction du restaurant
La Maison dans le Parc à Nancy, comment êtes-vous arrivés là ?
Après le concours on a vu l’évidence de partir d’Angleterre car on voulait profiter de la lumière qu’il y avait sur nous pour se lancer. On s’est fait débaucher par un domaine en Charente très prestigieux mais la crise du covid a amené l’établissement à mettre fin à nos promesses d’embauche. On s’est retrouvé sans rien du jour au lendemain. On a donc établi le contact avec des recruteurs qui nous ont mis en relation avec plusieurs établissements, dont La Maison dans le Parc. On a d’abord eu le coup de cœur avec les propriétaires (la chef qui a créé le restaurant Françoise Mutel et sa fille, Rosalie Mutel), puis avec le lieu, un endroit assez unique dans l’hyper-centre de Nancy, qui donne sur un parc privatif très beau. Nous avions toujours travaillé dans des hôtels-restaurants et là c’est juste un restaurant, on ne se rend peut-être pas compte, mais ça change beaucoup de choses. Le fait de s’enlever les contraintes de l’hôtel et des résidents, ça nous a plu. La Maison dans le Parc est toujours restée en activité donc la passation se fait en douceur, il n’y pas de ré-ouverture. Nous n’arrivons pas là en sauveurs ; l’affaire fonctionnait déjà très bien, le restaurant était complet midi et soir avec une clientèle très fidèle.
Quelles sont vos aspirations pour ce restaurant ?
Le restaurant a perdu son étoile en janvier, c’est un facteur qui, je pense, a motivé la passation. Puis avec le covid qui a suivi deux mois après, je comprends que les propriétaires aient eu envie de passer à autre chose. Nous, on voit la perte de l’étoile comme un challenge, c’est ça qui nous intéresse : reprendre l’étoile assez rapidement. Elle vient juste d’être perdue donc il n’y a pas de gros travail de fond à faire pour la récupérer. Le style va légèrement changer dans le management, dans les assiettes, dans la charte graphique, mais on ne veut pas perdre la clientèle qui est fidèle. Ce qu’il faut, c’est que les gens notent les changements petit à petit. On ne va pas tout casser, ni changer la carte du jour au lendemain. Je ne souhaite pas que ça devienne « le restaurant de Charles et Roxane », je veux que ça reste La Maison dans le Parc. C’est une histoire commune et une histoire en train de se renouveler.
Comment s’articule votre processus créatif ?
Si on peut dire que le processus de création démarre, je dirais que c’est avec le lieu. Par exemple, en Angleterre, le restaurant était très réputé pour son jardin et son potager qui avaient servi de lieux d’expérimentation à William Robinson, l’un des précurseurs du jardinage moderne. Ce qui m’inspirait c’était de discuter avec le jardinier et savoir ce que l’on allait pouvoir récolter. Mais cette inspiration s’appliquait seulement pour cet endroit parce que les clients attendaient beaucoup du potager. Ils attendaient un menu végétarien, un menu vegan… Mais est-ce que les gens à Nancy vont vouloir la même chose ? Je pense que non car il n’y a pas cette histoire du potager à raconter. Il y a une autre histoire en revanche et ça va passer par les producteurs locaux, l’histoire de la ville, le patrimoine de Lorraine… C’est quelque chose qu’il va falloir apprivoiser, en même temps que les attentes de la clientèle, pour articuler la création et le développement autour de ça.
Comment imaginez-vous un plat ?
En général, je pars d’un ingrédient central. Si je vois au marché un magnifique chou-fleur, je vais avoir envie de faire quelque chose avec. On essaie de limiter le nombre de composants autour de cet ingrédient, pour ne pas détourner l’attention. Il y a des associations classiques qui se font très naturellement, puis à côté, avec l’expérience, avec l’envie du moment, avec une inspiration, on va apporter ce petit twist qui va ancrer le plat dans la mémoire. Je souhaite que le client se souvienne du repas, même des années après, sinon, selon moi, c’est qu’une case n’a pas été cochée.
J’aime créer de la curiosité avec le menu, en écrivant par exemple « crucifère » plutôt que « chou-fleur », ce qui va pousser les gens à poser des questions. Cette interaction avec le serveur ou le maitre d’hôtel est toujours intéressante pour l’expérience du client et j’apprécie qu’il y ait un côté un peu ludique – qui manque, je trouve, à certains endroits trop guindés où l’on ose à peine parler… Cela permet aussi d’inclure toute l’équipe dans le processus.
Avant le confinement, je n’avais jamais pris le temps de m’asseoir derrière un bureau pour créer. Avec la contrainte de rester chez soi, j’ai dû faire les menus pour Nancy assis sur une chaise et utiliser la cuisine de mes parents. C’était difficile de créer dans ces conditions alors ça s’est beaucoup fait dans l’imaginaire. J’ai repris quelques mécaniques auxquelles avait recours Michel Guérard, à savoir dessiner l’assiette. Le dessin me permet d’appréhender le dressage. Ce n’est pas du tout le côté graphique qui m’anime, c’est plutôt l’ingrédient, mais ça reste très important ; avant de nourrir l’estomac il faut nourrir les yeux.
Je fais attention à ne pas trop intellectualiser la recette, s’il faut trop que je me creuse la tête, c’est soit que ce n’est pas le bon moment pour faire ça, soit que l’idée doit être maturée dans son jus, dans quel cas je vais revenir dessus quelques mois plus tard. Mais il faut que tout ça soit assez spontané, que les saveurs soient simples.
L’inspiration vient de partout, je pense que rester curieux et ouvert à son environnement est la principale contrainte du cuisinier. Je pense aussi que l’inspiration est un muscle qu’il faut entrainer et pour moi, l’entrainer, c’est aussi faire participer mes collaborateurs. J’encourage les gens de mon équipe à partager leurs expériences et à venir avec des idées.
Renouvelez-vous les menus régulièrement ?
Nous changeons les menus tous les premiers du mois, ce qui permet de rester affuté car on peut vite se reposer sur ses acquis si on ne prend pas la peine de changer un menu parce qu’il fonctionne bien. On ne change pas forcément tout d’un coup mais on fait des petites adaptations en fonction des saisons. Le menu du déjeuner jusqu’alors était changé toutes les semaines, ce qui permettait à la clientèle d’affaires de revenir régulièrement. C’est contraignant car il faut sans cesse être dans la création et forcer le processus. Ça ne marche pas toujours bien. En fonction des retours des clients sur un nouveau plat, nous allons parfois faire des petits changements donc on va dire que le plat est vraiment maitrisé en milieu de semaine. Or il faut presque déjà passer au menu suivant. On va sans doute passer à un changement de menu toutes les deux semaines pour que les cuisiniers aient le temps d’acquérir la maîtrise des recettes et que les serveurs puissent aussi se les approprier.
Quelle relation entretenez-vous avec votre équipe ?
Je me vois comme un entraineur plus qu’un joueur. Je suis là pour titiller les gens. C’est moi qui vais donner le rythme, leur montrer les choses, mais c’est plus un apprentissage dialectique où ils vont apprendre en regardant, en faisant, et notamment en faisant des erreurs. Je les incite à se lancer, à rester ouverts aux critiques en acceptant que leurs goûts personnels ne soient pas ceux de tout le monde.
Est-ce que vous-même vous vous affirmez davantage au niveau de votre cuisine suite à l’obtention du Taittinger ?
De manière générale je suis déjà assez confiant, et ça rejoint un peu le style de ma cuisine, j’essaie de faire des choses simples mais bien réalisées. Le concours m’a surtout apporté une reconnaissance et de la crédibilité aux yeux des autres professionnels car ça a une valeur énorme au sein de la communauté. Je ne dirais pas que ca m’a donné plus confiance en moi, car je n’en n’avais pas besoin ; je suis de nature à me pousser moi-même, je n’ai pas besoin qu’on me pousse. C’est une valeur que je retrouve dans l’une de mes passions, le sport. Je fais beaucoup de sport parce que je me lance des défis. C’est comme ça que je suis arrivé au concours, c’était un défi. Je me suis énormément entrainé. Le travail paie, il faut s’en donner les moyens et oser. Ça rejoint ce que je disais plus tôt : ne pas avoir peur de prendre des risques.
Propos de l’interview recueillis par Ambre Allart
instagram.com/charles_coulombeau
instagram.com/lamaisondansleparc
La Maisons dans le Parc
3, rue Sainte Catherine, 54000 Nancy
lamaisondansleparc.com
Nous avions suivi Charles Coulombeau lors de la finale du Taittinger 2020, prix culinaire international de cuisine d’auteur >> https://process.vision/article/dans-le-ventre-du-taittinger/