Publié le 19 septembre 2023
Temps de lecture : 3 minutes

Benoît Coulpier :l’impression devient création

TEXTECyrille Jouanno
PHOTOSBAPTISTE MEYNIEL
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L’imprimeur sur étoffes s’empare des techniques traditionnelles d’impression pour mieux les détourner et s’associer aux recherches d’artistes contemporains.

C’est presque par hasard que Benoît Coulpier a découvert le monde de l’impression sur textile. Étudiant en communication visuelle, il effectue un stage chez un imprimeur spécialisé dans le livre d’art contemporain. Il découvre alors la mise en couleur, le travail d’empreinte, l’impression. Un univers se déploie sous ses yeux et, pour ce passionné de l’image et de la couleur, c’est un nouveau monde de possibles qui s’offre à lui. Très vite, il s’essaie à la sérigraphie sur papier, pour une recherche personnelle. Il essaie, tente, entrevoit de nouveaux chemins à explorer pour nourrir « une vraie appétence pour la fabrication de l’image », comme il le dit lui-même. Il y a là, dans cet espace ténu entre la création artistique et le savoir-faire artisanal, un endroit qui lui sied et qui peut être le sien.

À Lyon, il apprend une technique d’impression qu’il perfectionne depuis maintenant dix ans, celle de l’impression sur tissu au cadre plat. Il s’est installé sur la Croix-Rousse, haut-lieu de la soierie lyonnaise, la colline des anciens canuts, et c’est là, dans son atelier fondé en 2015, qu’il développe ce que l’on nomme depuis des siècles l’impression à la lyonnaise. Cette technique est moins utilisée de nos jours, mais elle se distingue du cadre rotatif utilisé par l’industrie. Le travail s’effectue donc à la main, au pochoir et en cela, explique Benoît Coulpier, « on se libère de la photogravure qui, par essence, produit une image figée. J’utilise le pochoir comme un outil d’empreinte. Sur un aplat, on vient poser successivement plusieurs couleurs, tour à tour ».

L’impression au cadre plat est un procédé d’impression sérigraphique. On passe les cadres plats sur le tissu qui est collé sur de longues tables chauffantes. Les tables d’impression sont de la largeur du tissu imprimé et peuvent mesurer plusieurs dizaines de mètres. Le cadre d’impression est constitué d’un encadrement en métal sur lequel est tendue une toile synthétique très fine. Un cadre correspond à une couleur et il est donc nécessaire de construire autant de cadres que de couleurs figureront sur la pièce finale. L’encre ou la pâte d’impression est ensuite déposée sur toute la longueur du cadre à l’aide d’une racle. L’impression en tons directs implique l’utilisation de couleurs que Benoît Coulpier prépare lui-même dans son laboratoire, en perpétuelle recherche des nuances qui pourront satisfaire son projet. « Le résultat est très brut », explique Benoît Coulpier, qui utilise ce procédé pour réaliser de petites séries uniquement. « J’essaie de m’approprier ces techniques traditionnelles pour en faire un outil servant une recherche graphique vraiment innovante. » Chaque pièce est donc unique, parce que l’empreinte est exécutée à la main, mais s’inscrit également dans une série. « Forcément, parler d’une série, c’est penser dès le départ la reproduction de la pièce. » Benoît Coulpier navigue dans un espace de création assez flou, celui de la série de pièces uniques. Dans son atelier, il peut imprimer, sur la soie ou sur la laine, sur des laizes de 160 centimètres de large, jusqu’à plus de 20 mètres de longueur, s’autorisant parfois des recherches sur de grandes pièces. Il peut être amené à travailler pour l’artisanat de luxe, mais aussi pour des galeristes, des artistes (Jason Cantoro, Camille Boileau…) ou des designers, tels que  Baptiste Meyniel, sur des projets précis.

« Avec chacun, c’est un long parcours de recherche sur la couleur, les nuances… Je tiens à ce dialogue avec l’artiste, avec la volonté d’introduire le processus de création dans le parcours d’impression », souligne Benoît Coulpier. Ainsi, avec Camille Boileau, l’impression traditionnelle au cadre plat est ici détournée de manière à intégrer l’acte de peindre au dispositif d’impression. Cette technique engendre volontairement des surprises et des accidents qui viennent enrichir les peintures initiales en s’en distinguant. L’imprimeur travaille sur la base d’un protocole défini avec l’artiste ou le designer, en jouant sur différents paramètres. Tout est pensé en amont. « Outre la couleur, la tension de la toile est l’un d’entre eux, reconnaît Benoît Coulpier. Le mouvement des corps pendant l’impression en est un autre. » Cependant, « le choix du support et du parcours d’impression, la viscosité de l’encre, le déplacement de la racle d’impression, celui des cadres », induisent de petites variations, de celles qui rendent chaque pièce unique et lui confèrent, sans doute, le caractère d’œuvre ou pour le moins d’objet singularisé par la trace, le mouvement, l’accident.

Benoît Coulpier, lui, se situe dans cet entre-deux entre artisanat et création, ne revendiquant pas le statut d’artiste, même si, lui, mène aussi ses propres recherches sur ses tables. Pourtant le geste de l’imprimeur penché sur la laize, posant l’encre, raclant la couleur et détournant ses outils à d’autres usages, est à bien des égards celui de l’artiste.