Publié le 18 mars 2020
Temps de lecture : 4 minutes

David Bowen, Un vent de nature venu des States

TEXTEAMBRE ALLART
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Article paru dans le n°26 de la formule papier de Process (Décembre 2019 – Janvier 2020)
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Tout au long de sa saison, le centre de culture numérique Saint-Ex à Reims aborde le thème «SuperNature», où il est question des usages du numérique dans un contexte actuel de défi environnemental. En avant-goût de sa programmation artistique, Saint-Ex a souhaité accueillir l’installation de David Bowen, tele-present wind (à visiter jusqu’au 18 décembre). L’occasion pour Process de se pencher sur le travail fascinant de cet artiste américain qui nous montre la nature à travers ce qu’il y a de plus artificiel: la data et la robotique.

Venu exposer il y a 5 ans l’œuvre tele-present water dans les locaux de Saint-Ex, David Bowen présente cette fois-ci tele-present wind (2018), l’une de ses dernières créations. Cette installation n’est pas sans rappeler les phénomènes de communication entre les plantes, sur lesquels la lumière est portée depuis quelques décennies par la communauté scientifique et les médias. tele-present wind est une sculpture cinétique ; elle se compose de 42 machines inclinables sur lesquelles sont fixées autant de tiges de plantes séchées. Ces machines sont toutes connectées à une unique plante (séchée elle aussi), qui a été munie d’un accéléromètre avant d’être installée en plein air à proximité du laboratoire de l’Université du Minnesota, aux États-Unis – c’est là qu’en 2004, David Bowen est sorti diplômé d’une maîtrise en Beaux-Arts et qu’il dispense depuis, des cours de sculpture. Lorsque le vent souffle, il fait osciller la tige : l’accéléromètre détecte ce mouvement et le transmet aux 42 appareils placés sous les yeux du visiteur. Cette captation à la précision scientifique se transforme alors en un ballet chorégraphique où les plantes semblent danser à l’unisson. tele-present wind, traduit de façon poétique le principe de la téléprésence, une notion centrale dans l’œuvre de David Bowen ; être là, sans y être ; nous ne sommes pas dans le Minnesota mais l’on observe pourtant en temps réel le mouvement de la plante ballotée par les vents du Midwest.

Pour tele-present wind comme pour ses autres sculptures cinétiques, David Bowen crée lui même les logiciels de collecte de données ainsi que les mécanismes qui vont permettre de traduire le mouvement. « Je passe le tiers de mon temps en studio à coder ; un autre tiers de mon temps à créer les machines, ce à quoi je parviens grâce à ma maîtrise de la sculpture et enfin, le reste mon temps, je le passe à tester, déboguer, étudier les anomalies – qui peuvent parfois être intéressantes et exploitables d’ailleurs. J’aime prendre un maximum de recul par rapport à mes œuvres. Je fabrique et installe les différents systèmes, je mets en place l’installation et ensuite, autant que possible, je me retire et permets aux systèmes de faire ce qu’ils ont à faire. » Pour underwater (2012), qui relève aussi de la téléprésence, David Bowen a utilisé 486 servomoteurs pour articuler l’installation en fonction des données 3D collectées par un capteur de profondeur Microsoft Kinect disposé au dessus de la surface du Lac Supérieur (États-Unis) et couvrant une zone délimitée. L’installation simule alors avec précision les mouvements complexes et subtils qui se produisent à la surface de l’eau.

Par ses œuvres, David Bowen offre un discours changeant. Ici, ce n’est pas la main de l’Homme qui prend le dessus sur la nature mais l’inverse. Les mécanismes robotiques ne font que répliquer l’activité d’une nature presque déifiée. C’est elle qui dicte le mouvement. L’artiste va parfois même plus loin en donnant la parole à cette nature, comme dans cloud piano (2014) où grâce à des capteurs et à des logiciels de retranscription de données, les nuages, malgré leur relative inconsistance, parviennent à poser leur empreinte dans la matière – les touches du piano –  pour créer du son et un langage qui leur est propre. C’est selon ce même principe que l’œuvre FLY CARVING DEVICE (2017) a été créée : une centaine de mouches situées à l’intérieur d’une sphère translucide sont placées sous l’œil d’une caméra qui suit leur mouvement. Ce mouvement est traité par un logiciel qui, par la suite, transmet des directives à une machine (une fraiseuse numérique) qui creuse dans une mousse. De cette manière, les mouches deviennent le cerveau de la machine à commande numérique puisqu’elles déterminent où, quand, à quelle vitesse et à quelle profondeur tailler la mousse. « Je trouve ça fascinant le fait que la nature puisse prendre le contrôle de la machine » confie David Bowen. Mais toutes les sculptures de l’artiste ne sont pas cinétiques ; ce qui ne les empêchent pas de traduire le mouvement des forces de la nature avec un réalisme déconcertant : le nom de l’œuvre 46°41’58.365″ lat. -91°59’49.0128″ long. @ 30m (2015) fait référence à la position du drone qui a collecté les images de la surface du Lac Supérieur afin de réaliser une série de cylindres figeant avec précision les vagues et infimes ondulations de l’eau, à des temps différents et selon des conditions météorologiques variées. Un résultat rendu possible grâce à un logiciel en open source, permettant de convertir les images en modèles tridimensionnels. Ces modèles ont ensuite été sculptés avec une fraiseuse numérique dans un matériau acrylique transparent pour former cette série de 5 cylindres (152mm diamètre x 150mm hauteur) dont la pureté participe aussi à nous donner l’illusion qu’il s’agit bien d’eau.

À travers l’usage de matériaux inertes, c’est bien du vivant dont nous parle David Bowen. Il révèle sous un nouveau jour quelque chose auquel notre cerveau s’est habitué et que notre œil ne perçoit plus : la complexité des « mécanismes » mis en place par la nature pour garantir de façon continue la vie.

dwbowen.com