Pour sa deuxième édition, FARaway – Festival des Arts à Reims interroge à nouveau toute la complexité du monde sous le prisme de la création contemporaine.
La démarche est assez rare pour être soulignée. Le festival rémois n’est pas porté par un seul opérateur mais par sept structures culturelles, toutes sur le même pied d’égalité. Si dans bien d’autres villes, ces temps troublés ont rapproché et soudé les acteurs culturels, à Reims, voici déjà une décennie que tous travaillent dans le même sens dans l’organisation d’un grand temps fort. Reims Scènes d’Europe qui a exploré le champ de la création européenne, sans jamais renoncer à trouver matière à débat autour des grands maux de notre temps, s’est transformé pour devenir FARaway, un nouveau temps fort qui, depuis l’an passé, s’est ouvert au monde, avec une programmation résolument pluridisciplinaire qui tend même à s’étoffer pour une seconde édition encore plus prolifique. La programmation est collégiale, chacun partageant ses coups de cœur, ses réseaux et le meilleur de l’actualité de la création dans son domaine.
Ce « Festival des Arts » à Reims est porté par La Cartonnerie, Césaré, La Comédie, le Frac, Le Manège, Nova Villa et l’Opéra de Reims qui proposent ensemble une programmation foisonnante. En février, ce sont 150 artistes et 38 spectacles qui viendront témoigner de la création contemporaine à l’œuvre dans leurs pays et dans le monde. L’objectif de FARaway est celui de la diversité des propositions, celui-là même qui saura susciter la curiosité. Mais il est aussi d’interroger la façon dont nous sommes au monde, de bousculer les consciences et d’interroger toutes les complexités de notre époque. Ici, les artistes sont « des agitateurs et des agitatrices », selon les mots du collectif d’organisation, engagés, responsables, observateurs de leur époque, sur laquelle ils posent leurs mots, leurs gestes, leur colère et leur poésie. Laissez-vous guider et, que vous soyez un spectateur habituel ou occasionnel du Manège, de la Cartonnerie ou de la Comédie, partez à la rencontre des propositions d’autres structures culturelles qui ont composé la programmation de FARaway. Plus que jamais, après de longues semaines de confinement sans spectacle, l’heure sera à l’ouverture, à la curiosité et à la rencontre de l’autre.
La complexité du monde
Il serait vain de vouloir présenter l’intégralité d’une programmation aussi prolifique, mais il est possible de tirer des fils entre certains projets qui témoignent de l’état du monde. La jeunesse s’y exprimera, dans son mal-être comme dans ses plus grandes espérances, dans les propositions des Italiens Daria Deflorian et Antonio Tagliarini qui en pointent les souffrances dans Chi Ha Ucciso Mio Padre, d’après Qui a tué mon père, le roman transgressif d’Edouard Louis, dont ce sera à La Comédie la toute première représentation en France. On pense aussi à la proposition du chorégraphe congolais Faustin Linyekula, artiste associé au Manège, qui nous donne à voir les implications politiques et humaines de la création du Ballet national du Zaïre dans les années 70 (Histoire(s) du théâtre II). Parmi les interprètes, trois d’entre eux figuraient dans le ballet d’origine, utopie vivante, lieu de tous les rêves de danse et de rencontre avec le public, vite contrarié par la guerre et la souffrance. L’histoire s’écrit ici au présent, avec des corps, jeunes et vieux, qui partagent dans l’instant une même expérience. Pour les plus âgés, c’est aussi le prolongement d’une mémoire qui s’écrit dans la danse des jeunes interprètes, où l’émotion affleure dans chaque geste. Une pièce événement. Dans Lettres du continent, c’est aussi à la jeunesse africaine que ce même Faustin Linyekula et Virginie Dupray donnent la parole, là où trop souvent ce sont les européens qui collent des mots sur ses aspirations et sur ses rêves (projection à Sciences Po).
Autre sujet, celui de l’homophobie, que l’on retrouvera dans La Reprise – Histoire(s) du théâtre (I), du metteur en scène suisse Milo Rau, qui retranscrit dans une pièce de théâtre documentaire déchirante le meurtre d’un jeune homosexuel à Liège. Le réel est ici la source première d’un drame qu’il reconstitue minutieusement sous nous yeux, avec des comédiens professionnels et amateurs – dont certains sont des Liégeois –, et une captation vidéo live dont l’apport dramaturgique se révèle essentiel. Avec des questions passionnantes : Comment faire exister une victime au plateau ? Comment y convoquer la mort, l’innommable, et assister à la pire horreur sans se lever de son siège ?… Une claque, sur un format court, ramassé, d’à peine plus d’une heure. Une pièce choc qui a fait l’unanimité depuis sa création au Festival d’Avignon et qui séduira aussi, par sa puissance évocatrice, un public peu habitué des salles de théâtre. Sur ce même sujet, Outside, de l’artiste russe Kirill Serebrennikov, sera très attendue, traversant la vie et le suicide de Ren Hang, photographe chinois, dans un pays qui réprouve l’homosexualité. Les deux pièces sont à découvrir à La Comédie. Outside, présentée à Avignon en 2019, a reçu le prix du meilleur spectacle étranger par le Syndicat de la critique.
Une effervescence de rue
Parmi les nouveautés de cette édition 2021, on notera la programmation de plusieurs expositions : celle de Bouvy Enkobo au Cellier, celle de Cathy Josefowitz et Susie Green en dialogue au FRAC avec au centre un même questionnement sur le corps, l’altérité et le déguisement (exposition Empty rooms full of love), ou encore l’installation son et lumière de Meryll Ampe, proposée par Césaré au Cirque ; une création, et ici également une première en France.
On remarquera aussi que le programme de Little FARaway, le volet jeune public de la manifestation s’est considérablement renforcé. On y croise des spectacles pour les tout petits, comme Le Nid, spectacle musical très enveloppant des Flamands du Theater de Spiegel, ou encore Paired, du Magnet Theatre, un spectacle qui convoque au plateau de jeunes danseurs sud-africains, joueurs et fantasques. Quatre danseurs et autour d’eux, des dizaines de chaussures dépareillées. Car c’est bien de « faire la paire » qu’il sera question dans ce spectacle d’une rare énergie communicative. Faire la paire, aller par deux, trouver son ou sa semblable…
Qu’il s’agisse d’amour ou d’amitié, c’est un vrai sujet chez les petits comme chez les grands. Dans un amas de chaussures, c’est un peu la même chose. Une chaussure n’est rien si elle ne fait pas la paire avec une autre. Drôle, émouvant et surtout très joyeux, à ne manquer sous aucun prétexte ! Deux propositions de l’association Nova Villa. Les jeunes rémois pourront aussi découvrir Borderless (Blanca Franco et Sébastien Davis-Van Gelder) au Manège, pour une plongée dans l’univers acrobatique de la Lucha libre, cette forme de catch très populaire au Mexique.
Une autre évolution de la manifestation tient à cette volonté partagée par les sept structures organisatrices que FARaway soit encore plus présent dans la ville et dans la vie des Rémois. C’est ainsi qu’une installation de rue spectaculaire est prévue, tout près de l’Hôtel de ville, rue Colbert. Sur huit grandes bâches, il sera alors possible de découvrir les plus beaux clichés de l’incroyable catcheur Cassandro el Exótico, par la photographe Estelle Hanania. Une installation haute en couleur.
La musique n’est pas en reste avec Electronic guerilla, la création de Sébastien Béranger et Alex Grillo – présentée à Césaré – mêlant texte, électronique, vidéo et improvisations instrumentales pour questionner notre rapport aux nouvelles technologies. Ou encore, le concert à la Cartonnerie du Léon Phal Quintet, en clôture du festival. Flirtant déjà dans la cour des grands du jazz contemporain, le saxophoniste Léon Phal à la tête du quintet a été sacré « révélation » par les magazines Jazz News et Jazz Magazine pour la sortie de son premier album « Canto Bello ». Il sera également bien vu de se rendre à l’Opéra pour RE : Les Monstres, une étonnante proposition associant à Dominique Pinon – le comédien fétiche du cinéaste Jean-Pierre Jeunet – le baryton Paul-Alexandre Dubois pour un spectacle grinçant où le théâtre se mêle à la musique, le cabaret à l’opéra, le drame à l’humour noir.
Un lancement inattendu
À travers des installations sonores et des expériences gustatives, l’artiste nigérian Emeka Ogboh dévoile ses recherches sur l’influence des structures politiques et géopolitiques sur nos sphères individuelles et collectives. À partir des résultats d’un questionnaire diffusé « auprès des Rémois et au-delà », il a composé une bière dont la saveur relate le rapport des répondants aux problématiques sociales et politiques. Sa création gustative réalisée en collaboration avec le SHED-Senses Brewing sera accompagnée le soir du 4 février, pour le lancement de FARaway, d’une intervention musicale de l’artiste, qui traduit à travers des partitions sonores ses analyses d’un contexte, d’une histoire, d’une mémoire collective.
FARaway – Festival des Arts à Reims
Du 4 au 14 février
À la Comédie, au Manège, au Frac, au Cellier, à la Cartonnerie, à l’Opéra, à Césaré, à Sciences Po, au cinéma Opéraims, dans la ville…
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