Un homme, encore jeune, à la démarche souple, accessible et souriant, direct et chaleureux. C’est le John Hamon que nous avons rencontré au mois de novembre dernier. Pas grand chose à voir avec l’ado de la photo barrée de son nom. C’est pourtant la même personne, mais il est vrai que le temps ne s’arrête que pour les images. Dans l’intervalle, il a fait 20 fois le buzz avec ses campagnes d’affichage sauvage qui ont toujours le même objet : cette image du John Hamon de la fin des années 90. Tentative de passage derrière l’affiche.
Le portrait à l’œuvre
Au premier abord, il y a un portrait. Un visage connu, à la fois familier et étranger. Un jeune homme, encore un peu adolescent, qui sourit, un peu mollement. Un sourire de « pose pour le photographe », plutôt nonchalant, mais voulant bien faire. Et ce nom : « John Hamon » qui semble sorti de l’annuaire des seconds rôles du Hollywood des fifties.
Ensuite, il y a cette forme. Ça ressemblerait à une affiche politique. Mais plutôt basique, sans message, ni appartenance. Enfin il y a le nombre. La multiplication de la présence de l’affiche dans les endroits les plus divers avec une permanence dans le temps qui fait douter davantage du sens de son existence. Ce regard, vous aussi vous l’avez sûrement croisé.
Paradoxalement, on finit par avoir l’impression que ce visage, pourtant ouvert, souriant, sans ironie, semble nous regarder avec une certaine goguenardise. N’est-ce pas nous qui, au fond, devenons le jouet de cette affiche qui nous nargue de son omniprésence sans jamais rien lâcher de son mystère ? Bien sûr, il ne s’agit que d’une affiche et l’on pourrait se contenter de passer son chemin, détourner le regard, feindre l’ignorance. Mais elle est là, tranquille, avenante, sûre de son fait et de sa présence légitime sur les murs de nos villes.
Devant la présence insistante de l’affiche, et de son mutisme sans failles, nous sommes finalement contraints d’envisager qu’il s’agit de tout autre chose qu’un simple gag potache ; un message personnel de grande envergure sur le mode « chérie veux-tu m’épouser ? ; ou une campagne dédiée à un micro-public averti, comme l’affiche d’un candidat aux élections de délégués de classe de la terminale du lycée du coin qui aurait vu les choses en grand.
John Who (?)
En réalité, cette affiche n’est pas celle d’un candidat à une quelconque élection, ni un message personnel, pas plus qu’un gag de potache, et encore moins un ego trip bien frontal, il s’agit d’une œuvre d’art. Ou plutôt, de la manifestation d’une œuvre d’art. On y reviendra.
Fin des années 90. Son auteur, John Hamon, c’est son vrai nom, va bientôt devenir étudiant en art, mais pour l’heure, sur la photo, il est lycéen et la photo est une photo scolaire. Elle a été prise dans son lycée quand il avait 17 ans, en 1998. Il ambitionne de devenir artiste, et à une vision tout à fait claire de où et comment. Ce sera avec cette image et partout.
Il démarre son projet de façon concrète en 2000, en l’ayant déjà complètement conceptualisé. L’idée n’a pas bougé d’un millimètre depuis : il va coller partout dans Paris des affiches composées de sa seule photo. Il ajoutera très vite son nom, mais ne changera par la suite, plus rien. Il est vrai que la permanence du support visuel est un élément important du projet, mais pas l’essentiel. En effet, ce qui fait « œuvre » n’est pas l’affiche, ni même le portrait, c’est la promotion de ce portrait. Il y a un petit côté vertigineux à réaliser que ce à quoi il travaille depuis 20 ans, est la promotion de cette image. Autrement dit, sa démarche artistique consiste à orchestrer un travail de communication. Et le fait est que, dans sa bouche, le mot « exposition » désigne la mise en œuvre des différents outils de communication que sont dossiers et communiqués de presse, posts Instagram, etc. ; la monstration ou la projection de l’image (son portrait, donc) n’étant que l’acmé de tout le processus.
Campagne d’affichage massive à Paris, en premier lieu, puis dans d’autres villes en France, en Europe. Une trentaine de villes dans le Monde devient son cadre d’intervention. Il ajoute ensuite une corde à son arc, les projections. Au gré de l’évolution de la technique – et de ses moyens financiers – il peut organiser des projections de plus en plus king size : un immeuble, le Palais de Tokyo, l’Arc de Triomphe, la tour Eiffel…
Il a par ailleurs démarré une intervention d’un nouveau genre en créant un filtre Instagram qui permet de « johnhamoniser » n’importe quelle œuvre à visage du Louvre : une campagne de communication home made qui EST l’exposition. Succès sur les réseaux sociaux.
Artiste par effraction
On reste assez étonné d’apprendre que toutes ces opérations se font sans aucune autorisation, ni même échange préalable avec le musée ou le monument en question. Chacune de ses interventions est totalement sauvage. Les affiches que l’on peut voir partout dans Paris avec le logo du Louvre pour promouvoir son intervention sont elles aussi réalisées sans aucun accord…
Le tout, du collage de la plus petite affiche à la projection sur la tour Eiffel, est réalisé par John lui-même, sans aucune équipe. Seul un photographe l’accompagne pour certaines prises de vue de nuit.
Pas non plus de modèle économique particulier constitué autour de son œuvre ou de son personnage. Pas de mécène ou de sponsor. Pas davantage de galerie pour promouvoir ou vendre son œuvre. Seule la vente d’affiches constitue une source de revenus.
John Hamon, l’histoire et l’institution
Il y a quelque chose du systématisme de Roman Opalka dans le travail de John Hamon, mais qui s’inscrit à un autre endroit que dans l’écoulement inexorable du temps. Sous des dehors rieurs, une forme de vertige comparable à celui ressenti à l’écoute des auteurs de musique sérielle. L’œuvre de John Hamon, grâce à sa répétition, se place en dehors du champ purement conceptuel et pénètre celui de « l’intuitivement appréhendable », qui fait appel aux sens plutôt qu’à l’intellect.
Lui, voit son travail s’inscrire dans la lignée d’un Buren, par exemple, et de son rapport à l’affichage, ou dans une démarche parallèle à celle d’un JR sur la notion d’intervention dans l’espace public.
Cette vision n’est pas partagée par tous, et sa démarche accueillie plutôt avec tiédeur par les acteurs des institutions culturelles qui semblent ne pas savoir par quel bout prendre le personnage et son « œuvre ». On peut comprendre le doute qui les saisit quand atterrit sur leur bureau le cas John Hamon. Que penser en effet de ce travail qui, d’un côté, jouit d’une notoriété folle et d’une empathie naturelle du public (136 000 abonnés sur Instagram, c’est-à-dire bien plus que nombre de grandes marques) mais dont la proposition, plus que minimale, s’avère difficile à appréhender, et, le tout, étant néanmoins pratiqué avec une sincérité artistique et un engagement incontestables…
Si on ajoute à cela la posture du sale gosse qui impose une présence non désirée, et l’absence chronique de réseau et des codes du milieu de l’art, l’on devine que sa démarche puisse ne pas susciter l’adhésion, voire franchement irriter.
Qu’importe, John Hamon, s’il en conçoit une certaine amertume, n’en continue pas moins de cheminer sur la trajectoire qu’il s’est tracé, hors des sentiers identifiés du monde de l’art, avec une liberté sidérante et son corollaire fréquent, la solitude. Un sentiment qui transpire de ses propos, sans être pour autant un sujet, et qui n’entame à aucun moment sa volonté de pratiquer et de faire connaître sa démarche.
La détermination tranquille du personnage est fascinante. Malgré les difficultés, jamais il ne doute, ni ne se lasse de faire la promotion d’une simple et unique image, qui n’a d’ailleurs plus vraiment de rapport avec lui, le visage de la photo étant devenu celui d’un autre. Et si il y a de l’ego dans sa démarche, c’est celui, classique, d’un artiste qui souhaite partager son travail et convaincre de sa pertinence.
On pensait rencontrer un trublion sautillant et surfant sur l’époque et nous avons trouvé un homme très affable et ouvert, un peu « fêlé », dans tous les sens du terme, pratiquant une discipline pas vraiment identifiée, mais avec une sincérité et un engagement époustouflants. On pensait sourire, on est plutôt ressortis émus, et pour tout dire, carrément impressionnés. Sous des dehors débonnaires et rigolos, voici un personnage qui, s’il pratique un art conceptuel, est d’abord, lui-même, conceptuellement un pur artiste. Derrière ce visage innocent, une vie d’artiste vous contemple.