Sylvie Rondeau et ses enfants s’évertuent à diffuser et à valoriser l’œuvre laissée par le photographe Gérard Rondeau, brutalement décédé en 2016.
Immense artiste photographe, Gérard Rondeau est décédé brutalement en 2016, laissant derrière lui une œuvre protéiforme où se mêlent de très nombreux portraits, des recherches sur le paysage et le patrimoine et bien d’autres sujets encore. Depuis lors, son épouse Sylvie veille sur les milliers de négatifs conservés dans les tiroirs de la demeure familiale. Elle y conserve aussi les tirages de petit format, alors que les plus grandes pièces sont pour l’heure stockées dans les greniers de l’Hôtel du Marc, à Reims. Une chance, car la principale difficulté, lorsque l’on doit gérer un fonds patrimonial de cette importance, tient d’abord à l’espace nécessaire pour stocker autant de matériaux. Puis à l’organisation du fonds : « Nous avons la chance que Gérard ait été très minutieux dans ses classements, d’abord chronologiques jusqu’au début des années 2000, puis thématiques par la suite », observe Sylvie Rondeau, en charge avec ses enfants de faire vivre l’œuvre inestimable de l’artiste.
La tâche est conséquente, les demandes affluent chaque mois pour que l’on retrouve le négatif ou le tirage d’une photo de Gérard Rondeau. Bien que l’œuvre du photographe champenois soit représentée par l’agence VU’ pour ce qui concerne les photographies les plus diffusées, ainsi que par la galerie parisienne Baudoin Lebon, bien des sollicitations échoient à Sylvie Rondeau qui doit s’attacher, parfois pendant des jours, à rechercher la photo désirée pour une exposition, une insertion dans un magazine, une édition… « Heureusement, 35 ouvrages des photos de Gérard ont été publiés, constate-t-elle. C’est une source d’information très importante pour moi, je peux retrouver les clichés plus facilement en m’appuyant sur cette bibliographie. » Gérard Rondeau a aussi conservé tous les tirages, encadrés, des expositions qui lui ont été consacrées et son épouse dispose également de nombreuses boîtes de tirages de lecture dans lesquelles elle peut puiser et qu’elle peut, éventuellement, faire numériser en haute définition par le laboratoire Dupon, à Neuilly-Sur-Seine, qui travaillait déjà avec son mari de longue date. Seul un dixième des négatifs a pu être numérisé à ce jour, et aucun inventaire exhaustif de ceux-ci n’a été réalisé depuis 2004, preuve s’il en est qu’il reste un travail considérable à mener pour sauvegarder et faire circuler plus encore l’œuvre laissée par l’artiste. Un travail professionnel auquel ne peut bien sûr se livrer seule la famille du photographe.
Les portraits de Gérard Rondeau, souvent des portraits d’artistes réalisés pour le quotidien Le Monde, avec lequel il a collaboré pendant plusieurs décennies, sont particulièrement recherchés. Pour illustrer l’hommage rendu au peintre Pierre Soulages lors de son décès, c’est un portrait de Gérard Rondeau qu’a choisi la rédaction du journal, voici quelques mois. Au décès du photographe, le critique d’art Philippe Dagen évoquait ainsi, dans les colonnes du Monde, l’art du portrait tel qu’il le pratiquait : « L’instant de l’image, pour Rondeau, n’est décisif qu’autant qu’on le sent lourd de ce qui a précédé – une histoire qui se déchiffre dans les rides et les vêtements – et plein de ce qui pourrait arriver ensuite – un sourire ou une colère. Celles et ceux que Rondeau regarde sont, quels que soient leur âge et leur situation, des êtres denses et compliqués que l’on ne peut que supposer et poursuivre par la pensée ». Une belle manière de toucher à la puissance d’une œuvre d’une rare profondeur. On sollicite Sylvie Rondeau pour des couvertures d’ouvrages. Ainsi récemment pour Les Vivants et les autres, le dernier livre de l’écrivain angolais José Eduardo Agualusa, ou bien pour la réédition de La Peste et de L’Étranger, de Camus, « qui ont été très lus durant les confinements ». Ou encore pour un portrait de Jean-Paul Riopelle, sans doute le plus grand peintre québécois, compagnon de Joan Mitchell et ami de Paul Rebeyrolle, dont le portrait, réalisé par Gérard Rondeau, figurera en bonne place, cet été, dans la rétrospective qui lui sera consacrée au Québec.
L’œuvre laissée par Gérard Rondeau est colossale et son épouse entend la partager avec le plus grand nombre. Elle a bien à l’esprit quelques idées d’ouvrages, pour l’instant à l’état de projet, mais elle s’évertue d’abord à monter chaque année deux expositions des photographies de Gérard Rondeau. « Ce n’est pas le plus simple. Je suis devenue commissaire d’exposition comme cela, seule. Gérard est décédé très brutalement, il n’y a pas eu de transmission pour cela. La préparation d’une exposition exige beaucoup de recherche, des choix et un travail que l’on n’imagine pas lorsqu’ensuite on la visite. » Sylvie Rondeau se charge personnellement de l’accrochage. « Je connais si bien les attentes que Gérard avait en la matière. J’essaie donc d’accrocher les œuvres dans l’esprit de ce que, lui, aurait aimé voir. » Contactée par les collectivités qui souhaitent exposer l’œuvre de Gérard Rondeau, son épouse n’a pas à porter de démarches spécifiques, la structure accueillant l’exposition se chargeant des demandes de subventions, des contrats d’assurance, du transport, etc.
Pour diffuser l’œuvre de Rondeau, son épouse est aidée par l’association Gérard Rondeau, que préside l’écrivain et journaliste Jean-Paul Kauffman et au sein de laquelle figurent quelques proches du photographe, comme l’auteur et académicien Frédéric Vitoux, l’éditeur et journaliste Olivier Frébourg, fondateur des Éditions des Équateurs, ou le musicien Miguel da Silva. Depuis sa fondation, en 2008, l’association a pour objet la promotion, la diffusion et la défense de l’œuvre du photographe. Elle peut être amenée à collecter des fonds sur des projets spécifiques permettant sa valorisation. « Ils sont tous d’un appui formidable pour faire connaître l’œuvre de Gérard, en parler autour d’eux, nous mettre en relation avec des personnes qui pourraient l’exposer ou l’éditer », souligne Sylvie Rondeau, assistée dans ses nombreuses démarches par ses trois enfants. « Ma fille a réalisé l’inventaire de toutes les photographies encadrées. C’est un travail conséquent sans lequel il nous serait impossible de sélectionner les photographies pour les besoins d’une exposition », assure-t-elle. À cela s’ajoute l’actualisation, difficile à tenir, du site Internet de l’artiste. Un modèle familial qui trouve ses limites tant la tâche est considérable. Pour aller plus loin, et donner plus de visibilité encore à la recherche unique de l’artiste champenois, un nouvel accompagnement du fonds devra être imaginé…