Publié le 07 octobre 2021
Temps de lecture : 4 minutes

Les jardins de Marqueyssac, Un patrimoine vivant

TEXTECYRILLE JOUANNO
PHOTOSLes Jardins de Marqueyssac © Laugery
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Les 150 000 buis du domaine de Marqueyssac, dans la vallée de la Dordogne, constituent l’exemple unique d’un immense jardin à la fois romantique et contemporain. Nous revenons sur la genèse et la construction du projet.

À Vézac, depuis des millénaires, la Dordogne ronge et sculpte le calcaire des falaises du domaine de Marqueyssac. Une terre boisée, abrupte, un éperon rocheux qui est depuis toujours peuplé de chênes, de hêtres et de buis sauvages. C’est ici que Bertrand Vernet de Marqueyssac élève en 1692 quatre puissantes terrasses qui constituent ce que l’on nomme encore « le Bastion ». Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’un de ses descendants, Julien de Cerval va fortement marquer les lieux de son empreinte. Juge à Sarlat, il se passionne pour la culture des arbres fruitiers mais aussi pour les jardins de buis, souvenirs de ses voyages de jeunesse en Italie. Il plante 150 000 pieds de buis sur l’éperon rocheux qui accueille le château. Aux deux allées cavalières, il ajoute six kilomètres de sentiers parcourant son étonnant domaine. Loin d’installer un parc « à la française », il s’ingénie à créer toutes sortes d’espaces et de surfaces, au gré des mouvements de terrain. Il aménage des bosquets, des chambres cachées des regards, des belvédères ouvrant largement sur la campagne… Ses descendants seront moins attachés que lui à sa passion quasi obsessionnelle pour les buis, jusqu’à ce que Kléber Rossillon fasse l’acquisition du domaine en 1996 et décide de lui redonner toute sa splendeur. « Notre famille a ses racines dans le village, juste à côté », explique Geneviève Rossillon, sa fille, désormais gestionnaire de ce domaine et d’une douzaine d’autres sites en France (grotte Cosquer, grotte Chauvet 2, Château de Langeais…).

Dans ce qui n’est alors qu’une forêt de buis qui n’ont plus connu la cisaille depuis quelques décennies, Kléber Rossillon veut revenir à l’essence même de ce qu’avait pu être le domaine de Julien de Cerval. Il mène alors avec le paysagiste en charge de la restauration José Leygonie, de nombreuses recherches pour retrouver l’esprit des jardins du milieu du XIXe siècle. « Ce jardin correspondait tout à fait à la période des jardins romantiques anglo-chinois, pour lesquels on s’inspirait des volumes des paysages naturels afin de les reproduire en modèles réduits. On retrouvait beaucoup ça en Chine et au Japon, or c’était l’époque où les Anglais disposaient de nombreux comptoirs commerciaux le long des côtes asiatiques. Ils ont ramené ce style qui contrastait avec les jardins à la française et les jardins à l’italienne » affirme José Leygonie.

Pour revenir à l’esprit des jardins du Second Empire, il faut alors dégager, tailler, sculpter ces buis qui prolifèrent sur un sol calcaire parfaitement adapté à leurs besoins. On retravaille les buis existants, mais de nouveaux buis nécessitent d’être plantés – environ 3500 sur l’ensemble du domaine.

Tout en gardant pour idées directrices la fantaisie et le romantisme au moment de la conception du Bastion, les formes des buis ont été entièrement inventées. « Nous avons travaillé les formes des buis de façon empirique, au regard de ce que les buis existants nous permettaient de faire, précise José Leygonie. C’est-à-dire que l’on procédait par touches, en improvisant sur place un petit peu tous les jours. Quant au schéma d’ensemble, nous l’avons pensé de façon à ce que l’on puisse circuler à l’intérieur, manœuvrer, ajouter la signalétique… ».

Ainsi, courbes, formes douces, nuages, moutonnements se succèdent au niveau du Bastion comme une série de vagues et de vaguelettes en sommet de falaise. Plus loin, devant le château, ce sont de grands parallélépipèdes, comme tombés du ciel en un chaos savamment ordonné qui accrochent le regard. Ce nouveau parterre a été créé en 2003.
Mais Marqueyssac ne se réduit pas à la puissance visuelle de ces parterres de buis emblématiques. Un équilibre a été trouvé sur l’ensemble de ce Domaine qui montre aussi parfois des inspirations italiennes, et offre à ses visiteurs du contraste et des respirations visuelles, qu’il s’agisse des grandes étendues de verdure ou encore des allées sèches, adoucies grâce aux motifs réalisés avec des plants de romarin, dont la couleur tranche avec le vert profond du buis.
Ce site, dont le style n’a pas d’équivalent dans le monde, est depuis 2004 classé « jardin remarquable ».

Deux années pleines, l’apport de soixante entreprises différentes et l’emploi de dix jardiniers ont été nécessaires pour reprendre en main les jardins alors en friche de Marqueyssac. Ils demandent aujourd’hui un entretien quotidien, et ont jusqu’alors été préservés des assauts de la terrible pyrale du buis, cette chenille que l’on combat ici en lui opposant des armes naturelles : le Bacille de Thuringe (un bio-insecticide) et des trichogrammes (de petits insectes qui détruisent les œufs de la pyrale). « Et pour renforcer la résistance des buis aux champignons, nous pulvérisons tous les mois entre avril et octobre des mélanges de purins de plantes : ortie, prêle, consoude » ajoute le jardinier en chef, Jean Lemoussu.

Les buis sont taillés à la main, à l’aide de gabarits qui guident les jardiniers. Les formes réalisées confèrent à chaque pied un rôle précis dans le schéma d’ensemble. L’essentiel de la taille a lieu fin mai / début juin, après la première pousse de printemps, puis en septembre, bien que les soins restent quotidiens.

On remarque aussi des buis sur les falaises, taillés par des jardiniers encordés à la manière des alpinistes. Ailleurs, certains buis taillés conservent une forme sauvage ou sont palissés jusqu’à former une voûte en berceau. D’autres, enfin, sont taillés dans les règles de l’art topiaire, adoptant des formes géométriques. « Je crois que ce qu’aiment les visiteurs à Marqueyssac, c’est le charme d’une longue promenade où tout est à la fois extrêmement travaillé mais aussi parfaitement naturel. Marqueyssac, c’est à la fois un jardin et un parc, des espaces de quiétude et des points de vue époustouflants. Ils aiment aussi, je crois, le fait que ce projet soit porté de manière profondément familiale », note Geneviève Rossillon. Elle et son équipe travaillent déjà à l’année prochaine, 2022, qui marquera le 25e anniversaire de la réouverture des jardins. Après une année en demi-teinte marquée par la crise sanitaire, elle espère retrouver bien vite les 200 000 visiteurs qui, chaque année, foulent les sentiers bordés de buis centenaires.