Le peintre Marc Desgrandchamps s’est intéressé à la ville de Barcelone pour un projet débuté en 2018 et confié par les éditions Louis Vuitton en vue d’enrichir leur collection de Travel Books. Dans ce travail où il est demandé à l’artiste de restituer de façon personnelle et créative les lieux et les ambiances de son voyage, Marc Desgrandchamps s’est pris au jeu d’appliquer à la ville de Barcelone son trait, et les principes qui régissent son œuvre.
Marc Desgrandchamps cultive « une peinture du doute ». Il prend de la distance par rapport à la réalité au profit du regard qu’il porte sur elle et n’hésite pas à s’éloigner de la figuration pure en tordant les perspectives, en jouant sur les anomalies et la transparence des corps. Dans ses œuvres, et notamment dans son travail sur Barcelone, les notions d’espace et de temps, sont brouillées pour laisser place à des moments suspendus plutôt qu’à la narration. « Mon travail s’éloigne de la narration, même si ce concept n’est pas entièrement absent de mes œuvres, explique-t-il. C’est comme regarder quelqu’un flâner dans les rues de la ville ou observer une voiture filer à toute allure. Alors que rien ne se passe, une histoire peut être sur le point de naître. »
Pour le Travel Book Barcelona, Marc Desgrandchamps a réalisé plus de 120 dessins de la ville, répartis en quartiers (Gòtic, Eixample, Raval, Montjuïc…).
À l’occasion de la sortie de ce livre, une première partie de son travail est exposée à la Galerie Lelong & Co. – qui le représente – jusqu’au 24 juillet, puis une seconde partie sera exposée à partir du 3 septembre, jusqu’au 10 octobre 2020.
Nous avons profité de l’événement pour poser à Marc Desgrandchamps quelques questions sur la façon dont il a abordé ce projet.
Quels ont été vos partis pris dans ce que vous avez choisi de montrer de la ville de Barcelone ?
Je n’avais pas de parti pris, sinon le fait de restituer ce qui m’avait le plus visuellement et mentalement impressionné. C’est une vision très personnelle, attentive à certains détails, par exemple les statues qui bornent l’espace de la ville comme des vigies ou des repères. Ou certaines petites places désertes à l’exception d’une personne assise, qui regarde l’écran de son téléphone ou reste les yeux dans le vague.
Il y a l’idée d’une dérive méthodique, si ces deux termes sont conciliables, dans un lieu où l’imaginaire agit au sein d’une réalité urbaine déterminée par son histoire et ceux qui l’habitent.
Comment s’organisait votre travail sur place ?
Sur place, j’ai beaucoup marché et pris beaucoup de photos. J’ai eu aussi quelques visites guidées, notamment avec un guide, Hugo Janssens, qui m’a emmené dans des quartiers où je ne serais pas spontanément allé, comme le site des jeux olympiques.
D’autres fois, je marchais au hasard. Il fallait être attentif et disponible.
Pouvez-vous nous raconter votre processus créatif sur ce projet ?
J’ai donc pris beaucoup de photos à Barcelone, lesquelles devaient agir comme documentation et aide-mémoire. De retour à Lyon où je vis, j’ai aménagé un espace de travail spécialement dévolu à ce projet. J’ai classé les photos par secteur et les ai imprimées et rangées dans des dossiers, chaque dossier concernant un quartier.
Quand j’ai estimé avoir assez de matière, j’ai commencé à dessiner, le 2 juillet 2018 exactement, c’était un dessin de la Sagrada Família. J’ai voulu démarrer par un monument incontournable de cette ville, un bâtiment que je redoutais un peu de représenter, il m’intimidait.
En septembre de cette même année je suis retourné à Barcelone pour compléter mes observations et découvrir des lieux que je n’avais pas encore vus. Revoir la ville après avoir commencé à travailler était une expérience intéressante. Et ainsi j’ai continué ce travail dessiné sur plusieurs mois, parallèlement aux projets d’expositions que j’avais alors. À la fin, pour l’édition, la grande majorité des dessins ont été reproduits. Quelques-uns ont été retirés mais très peu, c’étaient plutôt des dessins en noir et blanc qui s’accordaient moins avec les autres, et cela s’est fait sur la suggestion du graphiste Frédéric Bortolotti.
Cherchiez-vous à rester fidèle à la réalité et à vos photographies ou vous en émancipiez-vous volontiers ?
Je restais fidèle, car si je représente la Sagrada il faut au moins que l’on puisse l’identifier, et cela est valable pour tous les lieux, mais mon approche était ouverte car si je m’étais limité à un registre documentaire l’ennui serait venu très vite.
C’est une question d’écart dans la représentation ; entre le site et sa restitution il y a cet écart, cet espace où le regard porté sur la réalité devient une aventure personnelle.
Aviez-vous une intention plastique particulière pour ce projet, par rapport à votre travail habituel ?
C’était une commande très particulière, je n’avais jamais travaillé à partir d’un lieu donné. Il y avait donc une forme de coupure par rapport à ma façon de peindre, et je n’avais pas d’idée préconçue sinon celle de me laisser saisir par la ville.
Qu’est-ce qui va attirer l’œil du plasticien que vous êtes lorsque vous visitez une ville, un pays inconnu ?
De multiples choses vont m’attirer mais je ne peux pas les décrire à l’avance car c’est l’effet de surprise visuelle qui agit avant tout centre d’intérêt prédéterminé.
Par exemple pour Barcelone, alors que je n’avais rien anticipé, les statues qui ponctuent la place de Catalogne m’ont beaucoup intéressé. En général, la plupart des passants circulent entre elles sans les voir. C’est ce qui fait la spécificité d’un regard ou d’une attention.
Pourquoi avoir choisi cette destination ? Avez-vous pensé qu’elle s’inscrirait facilement dans votre approche habituelle ou au contraire, l’avez-vous choisie parce que vous pensiez qu’elle allait vous permettre d’expérimenter de nouvelles choses, d’aller sur de nouveaux terrains ?
Je pense que les deux motivations étaient présentes. Je suis sensible aux lumières du sud, on les retrouve souvent dans mes tableaux, et Barcelone rejoint ce type d’ambiance lumineuse. C’est également une ville de plages, territoires particuliers que j’ai souvent représentés.
Mais il y avait aussi une grande part d’inconnu, car une ville est faite de bâtiments et d’atmosphères diverses, et Barcelone est un lieu très dense de ce point de vue.
L’architecture moderniste catalane par exemple, qui ne se résume pas à la personnalité très forte de Gaudí. L’architecture est d’ailleurs peu présente dans mes peintures, j’ai du mal avec ces motifs, mais pour un ensemble de dessins de cet ordre, il faut passer outre à toute réticence ou attirance.
Avez-vous dû faire un effort particulier pour vous projeter dans cet exercice où est-ce que cela s’est fait de façon plutôt fluide ?
Je craignais d’être lassé au bout du vingtième ou trentième dessin, mais cela n’est pas arrivé et au contraire ils se sont enchaînés à un rythme soutenu, stimulant, je travaillais quartier par quartier, et tout s’est bien articulé.
Votre palette est généralement très portée sur les bleus, les verts, les gris et les beiges qui se mélangent presque. Ici, on remarque des couleurs vives et marquées. Avez-vous abordé la couleur différemment pour ce projet ?
Je n’ai pas l’impression d’avoir abordé la couleur différemment, simplement j’ai pris acte des coloris variés qui jalonnent cette ville, une ville à la fois ocre et multicolore. Dans mes tableaux il arrive aussi que des couleurs vives apparaissent, même si c’est peut-être plus rare.
Qu’avez-vous retenu de cette expérience ?
Je ne sais pas. C’est encore trop proche. Il faut que les choses mûrissent. Si je retiens quelque chose c’est peut-être cela, une idée du temps, le temps du regard pour remarquer, retenir, mémoriser, évoquer, saisir, oublier.
Exposition du travail de Marc Desgrandchamps pour le Travel Book Barcelona à la Galerie Lelong & Co jusqu’au 24 juillet, puis du 3 septembre au 10 octobre 2020 – 13 rue de Téhéran, Paris 8e / www.galerie-lelong.com
Livre Travel Book Barcelona, disponible en librairie ou sur fr.louisvuitton.com
(168 pages / relié format : 280 x 190 mm – Prix TTC 45 €)