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Ce qui ne meurt jamais - Carline Bourdelas- Editions Process

« Ce qui ne meurt jamais » de Carline Bourdelas, Deuxième ouvrage des Editions Process

Deuxième ouvrage des Editions Process après « Ce qui reste, ceux qui restent » de Camille Gharbi, nous sommes fiers et heureux de vous dévoiler le livre « Ce qui ne meurt jamais » de Carline Bourdelas.

Ce livre de Carline Bourdelas est issu de sa résidence dans le cadre du festival Planches Contact 2023 en partenariat avec la fondation photo4food.

Pour ce travail, elle a souhaité approcher l’intimité de Marcel Proust et son vécu sur le territoire normand, à Cabourg en particulier qui inspira à l’écrivain « À l’ombre des jeunes filles en fleurs » (1919). Il est l’expression visuelle du ressenti supposé – par la photographe – de Proust en Normandie.

« L’œuvre de Proust est hypnotisante, explique Carline. La réalité est son inconscient, la vie n’est qu’une rêverie, parfois heureuse, le plus souvent mélancolique. Avec mes images, j’ai tenté d’approcher l’âme de Proust, j’ai été à l’écoute de ce qui l’a profondément touché, son émerveillement du monde, ses sentiments douloureux, sa peur de vieillir et de voir mourir les êtres tant aimés. »

Ce travail de résidence s’inscrit dans la continuité de la démarche personnelle de la photographe, inspirée par les scènes de quotidien, par l’étrangeté des choses, par l’idée de « réparer des blessures » par l’image.

La mise en scène, le procédé technique de superposition, donnent à son travail une dimension intemporelle, imaginaire, où le monde apparait brumeux, lointain, poétique et beau.

L’OBJET
22cm x 27cm, 80 pages ; 28€.
Vous pouvez vous le procurer dès à présent sur notre boutique en ligne : shop.process.vision

Photos : Carline Bourdelas / Fondation photo4food – Institut de France
Site internet de l’artiste : carlinebourdelas.photo
Instagram de l’artiste : @carlinebourdelas

planchescontact.fr
fondationphoto4food.com

Benoit Pierre Emery: La carré, une passion en soie

Le créateur Benoit Pierre Emery nous a reçus dans son atelier pour une découverte visuelle de son univers et de quelques pièces de son exceptionnelle collection de carrés vintage.

On est d’abord frappé par son côté affable mêlant courtoisie et empathie. On découvre ensuite, progressivement, l’univers du personnage : designer, graphiste, concepteur…  À le fréquenter, on comprend qu’il est surtout un « homme de goût » au sens plein de l’expression : la recherche instinctive, bien que bonhomme, de beauté semble être une préoccupation de chaque instant, sans être un sujet.

Voir le beau, et lui donner naissance, c’est précisément la mission que la maison Hermès lui a confiée en le plaçant il y a quelques années à la direction de la création des Arts de la table. Un poste qui semble avoir été taillé pour lui, et qu’il a embrassé après avoir mené plusieurs expériences dans le domaine du design graphique et, déjà, de la création de foulards. Car voilà bien la grande affaire de sa vie : la soie ; les carrés plus précisément. Il est depuis toujours fasciné par l’association du graphisme et de ce matériau précieux, ses capacités de variations infinies, son élégante légèreté, son comportement dans l’air, et surtout, sa capacité à rendre les images vivantes et à embellir ceux qui le portent.

Bien sûr, il a créé pour lui-même ou pour d’autres marques des dizaines de carrés et il en dessine régulièrement pour Hermès. Il les collectionne aussi depuis plus de vingt ans, de façon plus ou moins compulsive selon les périodes, et a constitué au fil du temps une collection qui compte à ce jour pas moins de… 10 000 pièces. Cette collection est en tous points exceptionnelle : le nombre de foulards, les périodes couvertes, les styles, les techniques, les fonctions (publicitaires par exemple), etc.  Elle comprend même certaines pièces historiques comme les fameux escape scarves, les foulards que les pilotes alliés de la deuxième guerre mondiale portaient pendant leurs missions et sur lesquels était reproduite – avec une très grande finesse – une carte routière de la zone qu’ils survolaient, pour optimiser leurs chances de rejoindre leur camp en cas de crash. Comme un bon père de famille il semble tous les aimer de façon égale. Il faut dire qu’il les a tous choisis, un par un, et si le spécialiste qu’il est leur a prêté de l’attention c’est qu’ils ont quelque chose à dire – un détail, une approche, une technique, un symbole – ou simplement… parce qu’il a eu un feeling.

Évidemment il a acquis une connaissance encyclopédique des époques, des marques, des techniques, et peut commenter –en apportant à chaque fois une vraie information – à peu près chacun des carrés de sa collection.

L’éditeur Steidl ne s’y est pas trompé en proposant à Benoit Pierre d’éditer un livre qui recense et raisonne les pièces de sa collection. Bien que composé de deux volumes elle n’y est bien sûr pas montrée entièrement. Ce faisant il pose les jalons d’une encyclopédie du carré en soie, le mètre-étalon du genre en quelque sorte.

Benoît Pierre nous a reçus dans son atelier (il est aussi peintre à ses heures perdues) pour une découverte visuelle de son univers et de quelques pièces de sa collection.

 

 

Le livre « Carré, a vintage scarf collection » de Benoit Pierre Emery aux éditions Steidl
Disponible en septembre 2023. Pré-commandes ouvertes sur steidl.de
2 volumes dans un coffret
624 pages / 6500 images
Reliure toilée / 30.5 x 31 cm / 250€

IG : @benoit.pierre.emery

Harry Gruyaert, La photographie où le noir est couleur

Harry Gruyaert est un photographe belge (né à Anvers) qui vit et travaille à Paris, connu comme l’un des pionniers de la couleur.

En 1981, il devient membre de l’agence Magnum. Bien qu’il en soit l’un des grands représentants, il s’éloigne du goût des fondateurs pour le photojournalisme et le noir et blanc.

Avec pour fil rouge la couleur et la lumière – éléments de construction de ses images hypergraphiques – il arpente le monde. Le Maroc par exemple, voyage capital pour lui, lui vaudra le prix Kodak en 1976. Il y retournera de nombreuses fois pour en capturer la beauté et en témoigner dans ses ouvrages.

Belgium. Ostend. Thermal Palace. 1988
FRANCE. North. 2000

S’il a parcouru les richesses de l’Inde, de la Russie, du Japon, des États-Unis, etc., il n’en oublie pas les contrées moins lointaines, comme le nord de la France ou sa Belgique natale autour de laquelle il livre deux séries : Roots et Made in Belgium.

Il crée aussi du lien entre les différentes destinations qu’il a parcourues en alimentant des séries sur des thèmes comme les espaces transitoires (Last Call), les lieux du quotidien (Between Worlds) ou encore les bords de mer (Rivages).

Dans toutes ces images, on remarque une constante : il se passe quelque chose dans les ombres. En approfondissant leur noir, il met la couleur en lumière, la fait vibrer. Son utilisation de la couleur doit être, selon ses mots, « primordiale, sinon, c’est de la photo noir et blanc coloriée ».

FRANCE. Le Touquet. 1999 // Dans le podcast, c’est cette image qui a été choisie par Brigitte Patient pour être soumise au regard d’une observatrice, Annaëlle. Elle fait partie des 160 images du montage vidéo « A Sense of Place / Nord » réalisé par Harry Gruyaert pour l'Institut pour la photographie des Hauts-de-France.

Retrouvez l’interview d’Harry Gruyaert par la journaliste photo Brigitte Patient dans l’épisode 10 de son podcast « Écoutez Voir ».

Pour poursuivre votre exploration de l’œuvre d’Harry Gruyaert, nous vous renvoyons au Photo Poche qui lui est consacré (éditions Actes Sud, novembre 2022, 144 pages) et à l’exposition en cours au BAL à Paris (jusqu’au 24 septembre 2023) « Harry Gruyaert – La part des choses », qui réunit pour la première fois 80 tirages réalisés entre 1974 à 1996 selon le procédé Cibachrome qui se distingue par la netteté de l’image, l’intensité des couleurs et la saturation des aplats. L’exposition est organisée en collaboration avec la Gallery FIFTY ONE à Anvers, qui le représente.

FRANCE. Nord Pas de Calais. Carnival. 2000.
MOROCCO. Marrakech. 1986
USA. Los Angeles. 1981
Trans-Europ-Express, Brussels-Paris. 1981
FRANCE. Dunkerque. Sollac. 1987
BELGIUM. Waterloo. 1981

Benoît Coulpier :l’impression devient création

L’imprimeur sur étoffes s’empare des techniques traditionnelles d’impression pour mieux les détourner et s’associer aux recherches d’artistes contemporains.

C’est presque par hasard que Benoît Coulpier a découvert le monde de l’impression sur textile. Étudiant en communication visuelle, il effectue un stage chez un imprimeur spécialisé dans le livre d’art contemporain. Il découvre alors la mise en couleur, le travail d’empreinte, l’impression. Un univers se déploie sous ses yeux et, pour ce passionné de l’image et de la couleur, c’est un nouveau monde de possibles qui s’offre à lui. Très vite, il s’essaie à la sérigraphie sur papier, pour une recherche personnelle. Il essaie, tente, entrevoit de nouveaux chemins à explorer pour nourrir « une vraie appétence pour la fabrication de l’image », comme il le dit lui-même. Il y a là, dans cet espace ténu entre la création artistique et le savoir-faire artisanal, un endroit qui lui sied et qui peut être le sien.

À Lyon, il apprend une technique d’impression qu’il perfectionne depuis maintenant dix ans, celle de l’impression sur tissu au cadre plat. Il s’est installé sur la Croix-Rousse, haut-lieu de la soierie lyonnaise, la colline des anciens canuts, et c’est là, dans son atelier fondé en 2015, qu’il développe ce que l’on nomme depuis des siècles l’impression à la lyonnaise. Cette technique est moins utilisée de nos jours, mais elle se distingue du cadre rotatif utilisé par l’industrie. Le travail s’effectue donc à la main, au pochoir et en cela, explique Benoît Coulpier, « on se libère de la photogravure qui, par essence, produit une image figée. J’utilise le pochoir comme un outil d’empreinte. Sur un aplat, on vient poser successivement plusieurs couleurs, tour à tour ».

L’impression au cadre plat est un procédé d’impression sérigraphique. On passe les cadres plats sur le tissu qui est collé sur de longues tables chauffantes. Les tables d’impression sont de la largeur du tissu imprimé et peuvent mesurer plusieurs dizaines de mètres. Le cadre d’impression est constitué d’un encadrement en métal sur lequel est tendue une toile synthétique très fine. Un cadre correspond à une couleur et il est donc nécessaire de construire autant de cadres que de couleurs figureront sur la pièce finale. L’encre ou la pâte d’impression est ensuite déposée sur toute la longueur du cadre à l’aide d’une racle. L’impression en tons directs implique l’utilisation de couleurs que Benoît Coulpier prépare lui-même dans son laboratoire, en perpétuelle recherche des nuances qui pourront satisfaire son projet. « Le résultat est très brut », explique Benoît Coulpier, qui utilise ce procédé pour réaliser de petites séries uniquement. « J’essaie de m’approprier ces techniques traditionnelles pour en faire un outil servant une recherche graphique vraiment innovante. » Chaque pièce est donc unique, parce que l’empreinte est exécutée à la main, mais s’inscrit également dans une série. « Forcément, parler d’une série, c’est penser dès le départ la reproduction de la pièce. » Benoît Coulpier navigue dans un espace de création assez flou, celui de la série de pièces uniques. Dans son atelier, il peut imprimer, sur la soie ou sur la laine, sur des laizes de 160 centimètres de large, jusqu’à plus de 20 mètres de longueur, s’autorisant parfois des recherches sur de grandes pièces. Il peut être amené à travailler pour l’artisanat de luxe, mais aussi pour des galeristes, des artistes (Jason Cantoro, Camille Boileau…) ou des designers, tels que  Baptiste Meyniel, sur des projets précis.

« Avec chacun, c’est un long parcours de recherche sur la couleur, les nuances… Je tiens à ce dialogue avec l’artiste, avec la volonté d’introduire le processus de création dans le parcours d’impression », souligne Benoît Coulpier. Ainsi, avec Camille Boileau, l’impression traditionnelle au cadre plat est ici détournée de manière à intégrer l’acte de peindre au dispositif d’impression. Cette technique engendre volontairement des surprises et des accidents qui viennent enrichir les peintures initiales en s’en distinguant. L’imprimeur travaille sur la base d’un protocole défini avec l’artiste ou le designer, en jouant sur différents paramètres. Tout est pensé en amont. « Outre la couleur, la tension de la toile est l’un d’entre eux, reconnaît Benoît Coulpier. Le mouvement des corps pendant l’impression en est un autre. » Cependant, « le choix du support et du parcours d’impression, la viscosité de l’encre, le déplacement de la racle d’impression, celui des cadres », induisent de petites variations, de celles qui rendent chaque pièce unique et lui confèrent, sans doute, le caractère d’œuvre ou pour le moins d’objet singularisé par la trace, le mouvement, l’accident.

Benoît Coulpier, lui, se situe dans cet entre-deux entre artisanat et création, ne revendiquant pas le statut d’artiste, même si, lui, mène aussi ses propres recherches sur ses tables. Pourtant le geste de l’imprimeur penché sur la laize, posant l’encre, raclant la couleur et détournant ses outils à d’autres usages, est à bien des égards celui de l’artiste.

Le fonds Rondeau : Mémoire vivante d’un photographe

Sylvie Rondeau et ses enfants s’évertuent à diffuser et à valoriser l’œuvre laissée par le photographe Gérard Rondeau, brutalement décédé en 2016.

Immense artiste photographe, Gérard Rondeau est décédé brutalement en 2016, laissant derrière lui une œuvre protéiforme où se mêlent de très nombreux portraits, des recherches sur le paysage et le patrimoine et bien d’autres sujets encore. Depuis lors, son épouse Sylvie veille sur les milliers de négatifs conservés dans les tiroirs de la demeure familiale. Elle y conserve aussi les tirages de petit format, alors que les plus grandes pièces sont pour l’heure stockées dans les greniers de l’Hôtel du Marc, à Reims. Une chance, car la principale difficulté, lorsque l’on doit gérer un fonds patrimonial de cette importance, tient d’abord à l’espace nécessaire pour stocker autant de matériaux. Puis à l’organisation du fonds : « Nous avons la chance que Gérard ait été très minutieux dans ses classements, d’abord chronologiques jusqu’au début des années 2000, puis thématiques par la suite », observe Sylvie Rondeau, en charge avec ses enfants de faire vivre l’œuvre inestimable de l’artiste.

Sylvie Rondeau © DR
© DR

La tâche est conséquente, les demandes affluent chaque mois pour que l’on retrouve le négatif ou le tirage d’une photo de Gérard Rondeau. Bien que l’œuvre du photographe champenois soit représentée par l’agence VU’ pour ce qui concerne les photographies les plus diffusées, ainsi que par la galerie parisienne Baudoin Lebon, bien des sollicitations échoient à Sylvie Rondeau qui doit s’attacher, parfois pendant des jours, à rechercher la photo désirée pour une exposition, une insertion dans un magazine, une édition… « Heureusement, 35 ouvrages des photos de Gérard ont été publiés, constate-t-elle. C’est une source d’information très importante pour moi, je peux retrouver les clichés plus facilement en m’appuyant sur cette bibliographie. » Gérard Rondeau a aussi conservé tous les tirages, encadrés, des expositions qui lui ont été consacrées et son épouse dispose également de nombreuses boîtes de tirages de lecture dans lesquelles elle peut puiser et qu’elle peut, éventuellement, faire numériser en haute définition par le laboratoire Dupon, à Neuilly-Sur-Seine, qui travaillait déjà avec son mari de longue date. Seul un dixième des négatifs a pu être numérisé à ce jour, et aucun inventaire exhaustif de ceux-ci n’a été réalisé depuis 2004, preuve s’il en est qu’il reste un travail considérable à mener pour sauvegarder et faire circuler plus encore l’œuvre laissée par l’artiste. Un travail professionnel auquel ne peut bien sûr se livrer seule la famille du photographe.

La cathédrale de Reims vue par Gérard Rondeau. Une oeuvre emblématique de son travail © Gérard Rondeau
Le bureau de Gérard Rondeau. Posé sur le sol, son portrait de Pierre Soulages © DR

Les portraits de Gérard Rondeau, souvent des portraits d’artistes réalisés pour le quotidien Le Monde, avec lequel il a collaboré pendant plusieurs décennies, sont particulièrement recherchés. Pour illustrer l’hommage rendu au peintre Pierre Soulages lors de son décès, c’est un portrait de Gérard Rondeau qu’a choisi la rédaction du journal, voici quelques mois. Au décès du photographe, le critique d’art Philippe Dagen évoquait ainsi, dans les colonnes du Monde, l’art du portrait tel qu’il le pratiquait : « L’instant de l’image, pour Rondeau, n’est décisif qu’autant qu’on le sent lourd de ce qui a précédé – une histoire qui se déchiffre dans les rides et les vêtements – et plein de ce qui pourrait arriver ensuite – un sourire ou une colère. Celles et ceux que Rondeau regarde sont, quels que soient leur âge et leur situation, des êtres denses et compliqués que l’on ne peut que supposer et poursuivre par la pensée ». Une belle manière de toucher à la puissance d’une œuvre d’une rare profondeur. On sollicite Sylvie Rondeau pour des couvertures d’ouvrages. Ainsi récemment pour Les Vivants et les autres, le dernier livre de l’écrivain angolais José Eduardo Agualusa, ou bien pour la réédition de La Peste et de L’Étranger, de Camus, « qui ont été très lus durant les confinements ». Ou encore pour un portrait de Jean-Paul Riopelle, sans doute le plus grand peintre québécois, compagnon de Joan Mitchell et ami de Paul Rebeyrolle, dont le portrait, réalisé par Gérard Rondeau, figurera en bonne place, cet été, dans la rétrospective qui lui sera consacrée au Québec.

L’œuvre laissée par Gérard Rondeau est colossale et son épouse entend la partager avec le plus grand nombre. Elle a bien à l’esprit quelques idées d’ouvrages, pour l’instant à l’état de projet, mais elle s’évertue d’abord à monter chaque année deux expositions des photographies de Gérard Rondeau. « Ce n’est pas le plus simple. Je suis devenue commissaire d’exposition comme cela, seule. Gérard est décédé très brutalement, il n’y a pas eu de transmission pour cela. La préparation d’une exposition exige beaucoup de recherche, des choix et un travail que l’on n’imagine pas lorsqu’ensuite on la visite. » Sylvie Rondeau se charge personnellement de l’accrochage. « Je connais si bien les attentes que Gérard avait en la matière. J’essaie donc d’accrocher les œuvres dans l’esprit de ce que, lui, aurait aimé voir. » Contactée par les collectivités qui souhaitent exposer l’œuvre de Gérard Rondeau, son épouse n’a pas à porter de démarches spécifiques, la structure accueillant l’exposition se chargeant des demandes de subventions, des contrats d’assurance, du transport, etc.

Stockage des oeuvres © DR

Pour diffuser l’œuvre de Rondeau, son épouse est aidée par l’association Gérard Rondeau, que préside l’écrivain et journaliste Jean-Paul Kauffman et au sein de laquelle figurent quelques proches du photographe, comme l’auteur et académicien Frédéric Vitoux, l’éditeur et journaliste Olivier Frébourg, fondateur des Éditions des Équateurs, ou le musicien Miguel da Silva. Depuis sa fondation, en 2008, l’association a pour objet la promotion, la diffusion et la défense de l’œuvre du photographe. Elle peut être amenée à collecter des fonds sur des projets spécifiques permettant sa valorisation. « Ils sont tous d’un appui formidable pour faire connaître l’œuvre de Gérard, en parler autour d’eux, nous mettre en relation avec des personnes qui pourraient l’exposer ou l’éditer », souligne Sylvie Rondeau, assistée dans ses nombreuses démarches par ses trois enfants. « Ma fille a réalisé l’inventaire de toutes les photographies encadrées. C’est un travail conséquent sans lequel il nous serait impossible de sélectionner les photographies pour les besoins d’une exposition », assure-t-elle. À cela s’ajoute l’actualisation, difficile à tenir, du site Internet de l’artiste. Un modèle familial qui trouve ses limites tant la tâche est considérable. Pour aller plus loin, et donner plus de visibilité encore à la recherche unique de l’artiste champenois, un nouvel accompagnement du fonds devra être imaginé…

Gérard Rondeau © DR

Letizia Le Fur « Quadrille »

En résidence pour le Festival Portrait(s) qui explore depuis dix ans la figure humaine sous toutes ses coutures, la photographe Letizia Le Fur pointe les visages des séniors de la ville en autant de tableaux tendres et acidulés. Une déambulation visuelle en toute liberté avec le célèbre « carreau » de Vichy revisité.

 À l’époque de Napoléon III, la dernière mode voulait que l’on soit vu en « Vichy », c’est-à-dire être vêtu du célèbre motif du tissu de la ville, de petits carreaux de couleur mêlés à de petits carreaux blancs. L’impératrice Eugénie en serait même tombée amoureuse et aurait ainsi participé à propager le tissu dans toute l’Europe, les « élégantes » de la fin du XIXe siècle achevant le travail à ses côtés et faisant de lui un accessoire dernier cri. La photographe Letizia Le Fur a joué le jeu de ce carreau à fond : « J’ai quadrillé la ville de long en large pendant environ trois semaines pour préparer le shooting de cette série tout en m’inspirant de ce célèbre carreau. Nous avons réalisé ensuite quatre jours de shooting intense et puis je suis restée quelques jours pour prendre en photographie différents endroits de Vichy ».

Invitée par la ville, elle a ainsi dressé le portrait de « séniors actifs », de personnes qui vivent en plein « troisième âge » et semblent le revendiquer, le porter haut ainsi qu’une médaille, mais avec un certain humour et de la légèreté. Un casting a été réalisé auprès des habitants et, une fois sélectionnés, ils ont été habillés par la styliste Marjorie Donnart et placés dans des situations singulières, au cœur de différents lieux représentatifs de la ville. « Je voulais souligner la palette colorée de Vichy et montrer des coins qu’on ne voit pas forcément », explique Letizia Le Fur. Ainsi de tel théâtre aux fauteuils d’un jaune très prononcé, de ce vitrail art nouveau qui représente des musiciens en plein concert ou encore de cette cheminée en brique orange dans un pur style années 1970.

La photographe s’amuse des codes et des couleurs et vient pulvériser l’idée que nous nous faisons d’une vieillesse déclinante et décliniste. « J’ai voulu montrer des personnes âgées heureuses, bien dans leur âge », témoigne-t-elle et de confier que ce travail l’a changée, lui a permis d’ouvrir davantage les yeux sur le grand âge. Comme elle l’écrit dans un texte au début du livre qu’elle publie sur la série aux éditions Filigranes : « En rentrant à Paris, dans cette ville parfois hostile aux plus âgés, je me suis surprise à sourire à une dame voûtée et plus fluette que son caddie. Avant je serais peut-être passée à côté d’elle sans la regarder. »

letizialefur.com
IG : @letizialefur
Le livre « Quadrille » de Letizia Le Fur sur filigranes.com

Portrait(s), Rendez-vous photographique de Vichy
Jusqu’au 1er octobre 2023
À Vichy (Allier) : Esplanade du Lac d’Allier, Grand Établissement Thermal, Parvis de la gare
La programmation sur www.ville-vichy.fr/portraits

Rembrandt en eau-forte - Fontevraud

« Rembrandt en eau-forte » Au musée d’Art moderne de Fontevraud, Maine-et-Loire

Après une exposition consacrée à Claude Monet organisée l’été dernier, le musée d’Art moderne de Fontevraud, soutenu par la région Pays de la Loire, poursuit sa présentation de figures majeures de l’histoire de l’art avec une mise en lumière, jusqu’au 24 septembre 2023, des eaux-fortes de Rembrandt (1606 – 1669), un pan inattendu et pourtant fondamental de l’œuvre de l’artiste.

Si l’on connaît déjà le Rembrandt peintre, on y fait ici la connaissance du Rembrandt graveur, développant les possibilités infinies de l’eau-forte dès 1625, à Leyde aux Pays-Bas. Cette technique de gravure par procédé chimique, dont il est devenu un maître incontesté, a largement contribué à le rendre célèbre en Europe.

Présentant au total cent eaux-fortes – dont une majeure partie provient du Fonds Glénat, complétée par des œuvres issues d’autres collections comme celles de la Fondation Custodia et du musée du Petit Palais à Paris –, le parcours se focalise sur les moyens esthétiques (clair-obscur, trouée, accumulation…) et techniques (traits, hachures…) que l’artiste a imaginés pour restituer le monde en noir et blanc. On prend ainsi toute la mesure de la virtuosité de son geste et de son extraordinaire créativité.

Rembrandt en eau-forte - Fontevraud
Vue de l'exposition "Rembrandt en eau-fort" au musée d'Art moderne de Fontevraud.
Rembrandt en eau-forte - Fontevraud
Rembrandt, Rembrandt aux yeux hagards, 1630, Eau-forte. Collection Fonds Glénat pour le patrimoine et la création ; Cabinet Rembrandt – Couvent Sainte-Cécile à Grenoble

Dialogue avec Elger Esser

Elger Esser est un artiste photographe franco-allemand né en 1967, présent dans les plus grandes collections telles que le Guggenheim à New-York et le Rijksmuseum à Amsterdam. Avec sa chambre photographique, il sillonne de nombreux pays photographiant et répertoriant des paysages intemporels où ni la figure humaine, ni son empreinte ne sont visibles.
Il nourrit son travail d’inspirations littéraires (Proust, Flaubert ou Maupassant) et picturales du XIXe siècle. De ce siècle, il tire aussi les techniques qu’il expérimente et réinvente : héliogravure, impression sur cuivre.

L’aspect expérimental de son œuvre fait directement écho aux recherches de Rembrandt sur les eaux-fortes. On constate aussi des affinités plastiques entre eux : jeux de lumière, étagement des plans horizontaux et verticaux, cadrages qui laissent une large place aux zones claires ou, à l’inverse, obstruent le regard…

Disséminées dans le parcours d’exposition, les photographies sur cuivre d’Elger Esser révèlent la capacité des eaux-fortes de Rembrandt à entrer en résonance avec les expressions artistiques contemporaines et, de fait, de porter un regard neuf sur l’œuvre de celui qui vivait il y a quatre siècles.

Vue de l'exposition "Rembrandt en eau-fort". Ici, les oeuvres d'Elger Esser.
Elger Esser, Saint-Dyé-sur-Loire, 2018, impression numérique sur cuivre argenté, gomme laque © Atelier Elger Esser
Rembrandt en eau-forte - Fontevraud
Rembrandt, Le Paysage aux trois arbres, 1643, Eau-forte. Collection Fonds Glénat pour le patrimoine et la création ; Cabinet Rembrandt – Couvent Sainte-Cécile à Grenoble

« Rembrandt en eau-fort »
Jusqu’au 24 septembre 2023
Musée d’Art moderne de Fontevraud
Place Plantagenet
49590 Fontevraud-l’abbaye
fontevraud.fr  /  @fontevraud
elger-esser.com  /
@elger.esser

couverture Process Magazine

Process #35

On est très heureux de vous annoncer la sortie de notre nouveau numéro ! Vous le retrouverez dès samedi 1er juillet à 14h dans tous nos points de diffusion dont la liste est à retrouver ici. Vous pouvez aussi vous le procurer via notre shop ici.

Au sommaire :

  • Les Promenades Photographiques à Blois
  • Le portfolio d’Harry Gruyaert pour accompagner votre écoute du podcast « Écoutez Voir »
  • Le design transgénérationnel des éditions Lomm
  • Urbi & Orbi, biennale de la photographie et de la ville à Sedan
  • Le festival Portrait(s) à Vichy + focus sur la résidence de Letizia Le Fur (en couverture de ce numéro)
  • La collection de carrés de soie vintage de Benoit Pierre Emery
  • L’imprimeur sur étoffes Benoit Coulpier + sa collaboration avec le designer Baptiste Meyniel
  • La gestion du fonds photographique Gérard Rondeau
  • Le dialogue entre Rembrandt et Elger Esser au musée d’Art moderne de Fontevraud
  • La photographe polonaise Zofia Kulik à Arles
  • La photographe Camille Gharbi + son nouveau livre « Ce qui reste, Ceux qui restent » édité par les Editions Process
  • La céramiste Claire Lindner

Camille Gharbi, « la photographie est un mode d’action »

Alors qu’elle s’apprête à dévoiler sa dernière série sur la masculinité réalisée dans le cadre de la Grande commande photographique du ministère de la Culture portée par la Bibliothèque nationale de France, Camille Gharbi revient sur son parcours de près de dix ans de photographies. En ligne de mire, son livre « Ce qui reste, ceux qui restent » restituant un travail réalisé dans le cadre d’une résidence sur l’immeuble Tisserand à Bogny-sur-Meuse (Ardennes).

 

Diplômée en architecture à 24 ans, après avoir travaillé quelques années en agence, en 2014 vous décidez de vous consacrer à la photographie. Comment s’est opéré ce tournant ?

En effet, je n’ai pas de formation en beaux-arts ni en école de photo mais j’ai toujours fait de la photographie et du dessin, avec l’idée de représenter le monde – par des croquis de voyage, de la photo urbaine, etc. Progressivement, ces pratiques ont pris de plus en plus de place et j’ai commencé à développer des petites séries. C’est devenu un moyen d’expression, une façon de réfléchir sur le monde. Dès l’origine, il ne s’agissait pas simplement de témoigner mais d’affirmer un point de vue, ce que je ne pouvais pas faire en architecture. Mais à y regarder de plus près, ces métiers ont des points communs, dans les deux cas il s’agit d’un travail sur la lumière et la composition. Et il n’est pas si rare que des architectes deviennent photographes, comme le prouvent Reza et Gabriele Basilico.

La bascule s’est-elle faite aisément ?

C’était l’idée de trouver ma place. J’imagine que ce sont des questions que l’on se pose quand on entre dans l’âge adulte et dans la vie professionnelle… J’ai dû faire une crise de la trentaine ! Ce changement s’est fait à force de détermination et de beaucoup de travail. J’avais bien conscience que vivre de la photo serait compliqué. Du coup, j’ai trouvé logique de me servir de mon expérience dans l’architecture et, étonnamment, cela m’a permis de gagner ma vie assez rapidement. Ce n’est pas forcément le style de photo qui m’intéressait car j’étais déjà attirée par le reportage documentaire mais je n’avais pas les moyens de faire une formation. J’ai donc appris sur le tas, notamment avec des photographes, comme Frédéric Delangle, que j’ai pu suivre en prise de vue. Aujourd’hui, parallèlement à l’architecture et mes travaux personnels, je travaille aussi pour Le Monde et Télérama.

Toutes les images de l'article_Série "Ce(ux) qui reste(nt)", 2022-2023, Bogny-sur-Meuse, Immeuble Tisserand

Vous choisissez des sujets sociétaux qui suscitent le débat : les migrants, les féminicides, la masculinité… Vous considérez-vous comme une photographe engagée ?

Oui, c’est un terme qui me convient. Je travaille sur des sujets qui me touchent personnellement ou liés à des expériences vécues. Je trouve très dur d’être témoin des choses et de ne rien faire… Je les aborde de manière plasticienne pour tenter de couvrir un champ large de réflexions, de mener une analyse profonde, de susciter des questionnements… Je pense que l’art a une dimension politique parce qu’il permet de transformer les choses, même si ce n’est que de manière infime. Pour moi, la photographie est un mode d’action, ce qui ne m’empêche pas d’apprécier les œuvres purement poétiques.

La série sur la jungle de Calais (2016-2017) constitue un tournant car vous passez d’une écriture documentaire classique à un vocabulaire formel original. S’agit-il de dépasser le simple constat ?

Avec « Lieux de vie », je mets pour la première fois en adéquation discours et forme. J’en ai ressenti la nécessité quand je me suis retrouvée face aux images qui, à l’état brut, ne reflétaient pas ce que j’avais perçu à Calais. Et je voulais éviter de donner une image misérabiliste de cet endroit. À ce stade, le lieu était à moitié rasé. Ne subsistaient que quelques constructions qui témoignaient de la vie sociale qui s’était développée, avec des bâtiments convertis en bibliothèque, école, église orthodoxe, etc. Les mots inscrits sur les murs étaient pour moi comme des cris. Mon but était qu’on les regarde attentivement. C’est la raison pour laquelle j’ai utilisé le détourage pour les extraire de leur contexte. Cela permet de susciter la curiosité, car à première vue on ne sait pas ce qu’on regarde. Et cela oblige ensuite à se concentrer sur les architectures, à lire les inscriptions, etc.

Quel regard portez-vous sur les images produites aujourd’hui ?

Je me demande bien sûr ce que je peux apporter de plus… L’image est partout. De mon côté, j’en fait assez peu car je m’interroge : comment fait-on pour passer d’une logique de consommation de l’image à un regard attentif ? En ce qui me concerne, je ne cherche pas le sensationnalisme. Je fais le constat que les images violentes ne m’aident pas à réfléchir, qu’elles n’agissent pas sur moi. Je pense même que leur multiplication crée davantage une forme d’accoutumance qu’un éveil des consciences.

« Preuves d’amour » (2018) exposée en 2019 au festival Circulation(s) marque un nouveau virage. Comment est née l’idée d’aborder le thème des féminicides à travers une série de natures mortes d’objets du quotidien ayant servi à tuer ?

Comme souvent, mon travail commence par une enquête et de nombreuses lectures. Un article de presse sur les violences faites aux femmes faisant référence à un féminicide commis au cutter m’a interpelée. D’autant plus que c’est un outil qui m’est familier, en tant qu’architecte. J’ai creusé le sujet et je suis tombée sur une association menant un remarquable travail de recensement et de documentation sur la manière dont ces crimes sont perpétués. Entre 2016 et 2017, j’ai étudié plus de 256 cas de meurtres. Ce travail de fond qui s’apparente à une véritable immersion faisait écho à ma vie personnelle puisque j’étais alors enceinte d’une petite fille. Il faut vivre avec ces histoires ! Et dans mon entourage, j’ai été témoin d’événements liés à ce sujet. À travers mon enquête, j’ai mesuré l’ampleur du phénomène J’ai constaté que bien souvent les armes utilisées sont des objets du quotidien ordinaires, à portée de main. J’ai donc décidé de les photographier en jouant sur le contraste entre une esthétique douce des images et ces objets a priori inoffensifs qui pourtant sont devenus des armes meurtrières.

Dans le deuxième volet de « Preuves d’amours », vous donnez la parole à des hommes coupables de violence, une démarche audacieuse. Comment avez-vous procédé ?

J’ai mis du temps à trouver les bonnes personnes et le juste équilibre entre accusation et victimisation, au moins six mois de préparation. J’ai eu des échanges avec des experts médicaux, des psychiatres, des médecins légistes, des professionnels du monde carcéral, des avocats, etc. Les prises de vues ont été réalisées dans deux prisons différentes, dans des parloirs ou dans des salles d’activité. J’ai choisi des hommes menant un travail de remise en question. Et pour ne pas les valoriser, je ne montre pas leur visage.

Dans quel contexte l’ouvrage « Ce qui reste, ceux qui restent » sur l’immeuble Tisserand, à Bogny-sur-Meuse, a-t-il vu le jour ?

Cette série a été réalisée dans le cadre d’une résidence artistique à l’initiative du bailleur social HABITAT 08 en partenariat avec l’association de photographie contemporaine La Salle d’Attente. Au départ, le livre n’était pas prévu. C’est une initiative de Benoît Pelletier des Editions Process, dont c’est le premier ouvrage. Il a conçu la maquette à partir d’un editing que j’ai effectué avec Raphaële Bertho. Historienne de la photographie spécialiste de la représentation du territoire, elle avait déjà travaillé sur mon précédent ouvrage. Elle a signé également un des textes de « Ce qui reste, ceux qui restent ».

En quoi ce projet se distingue-t-il de vos précédentes séries ?

Comme il a été effectué dans le cadre d’une résidence, j’ai travaillé sur un temps court, ce qui est inhabituel pour moi. Autre différence, ce n’est pas une série répétitive, contrairement à celles que nous avons évoquées précédemment. Et bien que je ne sois restée que deux semaines sur place, il y a de nombreux types d’images : portraits, paysages, vues d’intérieurs d’appartements, des parties communes de l’immeuble… Soit un ensemble complexe bien restitué dans le livre auquel s’ajoutent les témoignages oraux que j’ai recueillis auprès des derniers habitants de ce logement social voué à la destruction. Ces destins individuels nous ramènent à une histoire collective. À travers les histoires singulières il y a toujours des choses qui nous concernent tous, c’est pour cela qu’on peut s’identifier.

Pourquoi avoir transformé certaines images ?

J’ai eu recours à la surimpression mêlant portraits et paysages afin de mettre les habitants en valeur, de les transcender d’une certaine manière. Et aussi afin d’être fidèle à leur témoignage faisant souvent référence à la nature environnante. Car nombreux sont ceux qui ont évoqué le cadre idyllique autour du bâtiment, avec la rivière, les arbres, etc. Par ailleurs, il y a deux types de paysages, ceux captés depuis les parties communes à travers les fenêtres et ceux réalisés à l’extérieur. Pour les premiers, il n’y a pas de transformation. J’ai fait la mise au point sur la crasse présente sur les vitres – qui n’ont sans doute pas été lavées depuis des décennies –, pour signifier l’abandon, si bien que les paysages sont flous. Et pour les seconds, j’ai retourné l’image. Ainsi, le reflet des arbres dans la rivière se retrouve en haut de l’image. Et j’ai retravaillé la chromie pour accentuer la singularité de ce cadre qui est à la fois ‘pauvre’ et beau, familier et étrange. C’est aussi une façon d’exprimer l’inversion du cours de l’histoire et l’amertume des habitants face à leur vie, étant contraints de quitter les lieux.

Studio Cartonnerie Reims

La Cartonnerie, Une ruche pour les talents de demain

4000m². Une centaine de concerts par an. Entre poids lourds de la scène internationale et artistes émergents ; bangers du rap français et riffs déchaînés. La Cartonnerie, à Reims, est un lieu de grande mixité, où se croisent des esthétiques de tous horizons. Mais c’est aussi un lieu d’accueil et d’accompagnement, où musiciens amateurs et confirmés viennent pratiquer, répéter, résider. Rencontre avec Guillaume Gonthier qui pilote, en coulisses, cette ruche dédiée à la jeune création musicale.

_Guillaume, en préambule de notre échange, pouvez-vous nous rappeler la vocation de La Cartonnerie ?
La Cartonnerie est une salle de concerts rémoise qui existe depuis 2005. Elle est dotée du label national “Scène des Musiques Actuelles” (SMAC), ce qui suppose trois grandes missions : d’abord, celle de défendre et de diffuser toutes les esthétiques musicales ; ensuite, celle de mener une politique d’action culturelle auprès de tous les publics ; et enfin, celle d’accompagner la création artistique et la scène locale.

_Ces missions sont donc constitutives de votre ligne éditoriale. Sont-elles pour autant bien identifiées du grand public ?
C’est là tout notre travail : les faire connaître au plus grand monde ! Quand j’ai commencé ma carrière dans ce milieu, il y a une quinzaine d’années, les musiques amplifiées* étaient encore qualifiées par certains de “nuisances sonores”.
Petit à petit, le métier s’est davantage institutionnalisé : l’accompagnement des pratiques artistiques, le développement des publics, et l’action culturelle sont aujourd’hui solidement formalisés.

Benjamin Biolay © VinceVDH
La Cartonnerie © DR
Chester Remington, l'un des groupes accompagnés par La Cartonnerie © Margaux Fremaux

_Vous êtes “Responsable de l’accompagnement des pratiques et des publics”, qu’est-ce que ça veut dire précisément ?
C’est très large ! Il y a toute la partie orientée vers le “public” dont s’occupe ma collaboratrice Anaïs Gittinger, qui est chargée de l’action culturelle. Ensemble, on travaille à la médiation et au développement du public, de la petite enfance jusqu’à l’Université, et on intervient aussi auprès de certains publics qui ne peuvent pas venir jusqu’à nous : en EHPAD, en maison d’arrêt, ou dans des instituts médicaux spécialisés. On leur propose des concerts, des ateliers d’écriture ou de composition avec les artistes du cru. Ce qui m’amène à ma seconde casquette : celle de l’accompagnement des pratiques.
Sous ma responsabilité, il y a aussi toute l’activité liée à nos studios de répétition, ouverts tous les jours de la semaine, dans lesquels on peut venir jouer de la musique pour une somme assez modique. 300 projets musicaux s’y croisent chaque année, ce qui représente plus d’un millier d’adhérents de tous profils, tous âges (du lycéen au retraité) et de tous niveaux (de l’amateur qui n’ambitionne pas de jouer en public, jusqu’à Vladimir Cauchemar.)

_Dans ces studios, on vient donc pratiquer, qui que l’on soit. Mais on peut aussi solliciter un accompagnement plus étroit, c’est cela ?
Absolument. On propose 3 dispositifs graduels, en fonction de l’état d’avancée des projets. Le dispositif “répétition” offre par exemple un soutien logistique aux artistes, avec un accès facilité aux studios ainsi qu’à un local de stockage. L’ambition et l’aboutissement du projet nous importent peu ici : c’est l’envie de pratiquer qui prime.
Les dispositifs “Carto Cru” et “Grand Carto Cru” demandent en revanche une véritable implication des artistes pour structurer et développer leur projet : ces deux accompagnements proposent des soutiens spécifiques pour émerger et/ou se professionnaliser davantage.

_Comment choisissez-vous les artistes que vous accompagnez chaque année ?
Grâce à des appels à candidatures, qu’on lance pour ces trois dispositifs.
Les lauréats sont sélectionnés par un jury composé d’une dizaine de personnes officiant dans les métiers de la musique (programmateur·ices, attaché·es de presse, directeur·ices de labels, tourneur·euses). Il y a chaque année 60 à 80 candidatures auxquelles nous faisons systématiquement un retour argumenté.

_Pour les chanceux qui sont lauréats, comment organisez-vous ensuite ce suivi au long cours ?
On se rencontre d’abord pour cerner tous les contours du projet artistique, ses objectifs et son niveau de développement. Puis, on établit ensemble un diagnostic et un programme d’actions séquencé sur l’année. La plupart du temps, les artistes qu’on accompagne ont déjà mené une réflexion sur leur projet et leurs ambitions. Nos dispositifs servent à apporter un soutien spécifique : qu’il s’agisse de travailler la communication en ligne, la méthodologie de démarchage pour trouver des dates, ou encore la création d’une scénographie pour le live.

Bien souvent, nous sommes face à des artistes dont on est le seul entourage professionnel: l’objectif est donc de travailler tous les aspects du projet pour qu’ils s’autonomisent le plus possible.

_Quels sont les jeunes artistes dont vous avez aimé croiser la route ?
Comme ça, à brûle-pourpoint, je pense à Fishback, par exemple, qu’on a accompagnée ici à ses tout débuts. Elle avait d’ailleurs participé à des actions culturelles en EHPAD, un public qui la touchait particulièrement.
Il y a aussi la rappeuse Leys, qu’on a suivie pendant deux années, avant qu’elle ne gagne le prix du jury des Inouïs en 2020, et se fasse connaître via l’émission Nouvelle École, sur Netflix. Je pense aussi au projet indépendant de l’artiste Ian Caulfield, au rappeur San-Nom qui a connu une belle visibilité et à Inward, un groupe de métal très talentueux qu’on accompagne en ce moment.

_Quels sont vos enjeux pour les années à venir ?
La question de l’égalité femmes-hommes reste un de nos axes de développement majeurs: trop peu de jeunes filles se lancent dans des projets de musiques amplifiées. C’est en train d’évoluer, mais il faut y travailler encore, et encore.

Tout comme il nous faut développer un certain public jeune, qui n’a pas pu se créer des habitudes de sorties culturelles, à cause du Covid. Notre enjeu est de leur faire découvrir le concert comme pratique à part entière, complémentaire de l’écoute sur les plateformes de musique. À la fin de l’année dernière, nous avons par exemple lancé des soirées “open mic” : en amorce de certains concerts de rap, on laisse la possibilité à des artistes en devenir de prendre le micro, une minute ou deux. Ça leur permet d’appréhender la performance en public et de désacraliser la scène. Ces soirées rencontrent un vrai succès et commencent à essaimer à Reims, ce qui me réjouit !


*Par le terme « Musiques Amplifiées », on désigne toutes les expressions musicales utilisant l’amplification électrique.

© Sylvere_H

La Cartonnerie
84 rue du Docteur Lemoine, 51100 Reims
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