Publié le 22 septembre 2022
Temps de lecture : 4 minutes

Paris par Smith

TEXTEAmélie Cabon
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En novembre 2021 le festival Photo Days et l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris s’associent pour lancer le Grand Prix de Photographie « Paris je t’aime x Photo Days ». Un nouveau rendez-vous annuel dont l’objectif est de créer un ensemble de visions singulières de la ville de Paris. La première édition a pour thématique « Paris Vert », un thème ouvert pour lequel la proposition de l’artiste SMITH s’est démarquée. Alors que l’artiste finalise son projet en prévision de son exposition lors de Photo Days 2022 – à La Caserne du 7 au 20 novembre –, il nous présente son parcours et sa démarche.

Créé par Emmanuelle de l’Ecotais, Photo Days fédère près de 90 lieux dans Paris et en Île-de-France autour de la photographie et de la vidéo. Les institutions, galeries, ateliers d’artistes et appartements de collectionneurs ouvrent leurs portes aux visiteurs, professionnels ou amateurs, pour une immersion photographique totale au moment où Paris devient la capitale mondiale de la photographie. L’an dernier le Grand Prix de Photographie « Paris je t’aime × Photo Days » a sélectionné le regard ingénu de l’artiste SMITH sur « Paris Vert ». Il s’explique : « J’ai grandi à Paris. Dans mon imaginaire d’enfant, les parcs de Belleville, les Buttes Chaumont et les quais du canal Saint-Martin constituaient la nature. Je n’en étais pas triste, au contraire, et j’ai toujours eu avec ces parcs une relation particulière. Mal entretenus à l’époque, ils avaient aux yeux d’un enfant une dimension sauvage. Avec ‘Paris Vert’ je vais proposer une vision de Paris et de ses espaces verts à travers ce regard d’enfant, son impression d’immensité et de nature.»

Né en 1985, SMITH est photographe, cinéaste, plasticien et doctorant en esthétique. Son travail interdisciplinaire s’appréhende comme une observation de la constitution, de l’évolution et des mues de l’humain. Mêlant art et sciences, technologies et savoirs-faire, SMITH développe un répertoire poétique de la métamorphose. Il donne corps à des processus de subjectivation qui agissent en creux ou en négatif, jusqu’à l’effacement, l’altération ou l’atteinte de l’identité. Ses œuvres invitent à une immersion dans une esthétique fantomale propice à la contemplation ou à la rêverie. « Je fais des photos partout, en permanence, depuis que je suis petit. C’est ce que j’aime appeler ma langue maternelle. J’ai une pratique quotidienne et permanente d’un côté et de l’autre des projets transdisciplinaires. »

Depuis 2011, Smith interroge les limites du visible et du non visible à l’aide d’une caméra thermique. Il s’agit d’un outil de pointe permettant de capter le rayonnement infrarouge (ondes de chaleur) émis par les corps et qui varie en fonction de leur température. « Elle perçoit les ondes de chaleur dégagées par le sujet et les restitue sous forme de zones de couleurs. C’est assez magique. Je la considère presque comme une prothèse. J’ai l’impression d’avoir un nouveau sens qui se superpose au toucher. Voir la chaleur est une dimension sensitive supplémentaire que je souhaite partager avec le spectateur. »
Utilisée comme un moyen d’observation de l’identité humaine et d’étude des frictions avec le non humain – végétal, minéral, fiction – la caméra thermique offre une perception du monde plus grande et la compréhension que notre réalité n’est en fait qu’« une infinité minuscule de la réalité ».

C’est alors doté de cette caméra que SMITH explore les espaces de frictions entre l’humain et la nature parisienne. L’expérience est éminemment sensorielle et autobiographique. Sur les traces des ruelles de son enfance, il y inscrit la valeur psychique du rêve qui parsème son œuvre depuis plus de 15 ans.
Cette déambulation intime et sentimentale, similaire au tropisme de Verlaine, nous renvoie à une certaine mélancolie parisienne par laquelle l’être se perd dans le paysage. « Je pense que dans ma vie je cherche à aller en permanence vers cette tranquillité et cette disposition à la rêverie. Cette série est une façon de retranscrire cela. »

La caméra capte toute chose reflétant la lumière du soleil et traduit chaque degré par une valeur chromatique. Au milieu de l’immensité bleutée de la ville, l’humain retranscrit en orange, apparaît comme un épiphénomène dans cette formation thermique. Chaque image captive le regard par la manière dont le photographe réussit, à travers elles, à faire revivre un certain romantisme allemand. Empreintes de mysticisme, elles évoquent en effet aux yeux de l’artiste l’iconographie allemande du XVIIIe ou l’œuvre d’Andreï Tarkovski par « la diffusion de l’identité dans le paysage et l’idée d’une sorte d’harmonie qui se dissout dans l’immensité d’un paysage merveilleux. Il y a quelque chose de très poétique et mystique dans l’imagerie thermique qui rend l’image profondément romantique ».

On peut sans peine percevoir les points de convergence entre certaines images prises du sommet des Buttes Chaumont et Le Voyageur contemplant une mer de nuages de Caspar David Friedrich, figure de proue du romantisme. Paris, ville économique et dynamique, se transforme en un paysage grandiose où l’horizon s’étend à perte de vue, laissant au spectateur un sentiment d’immensité et de liberté mêlé à celui du vide. « À Paris, nous sommes sollicités en permanence, chaque quartier est un supermarché à ciel ouvert. La caméra thermique ne voit pas ça. La publicité est une surface vierge, la ville n’est pas polluée par la bouche dévorante du capitalisme. On revient à quelque chose de plus essentiel et finalement de plus photographique : de la lumière et son reflet. » La nature impose sa puissance face à l’humanité, c’est elle qui dirige en fin de compte.

« PARIS VERT » PAR SMITH
DU 7 AU 20 NOVEMBRE À LA CASERNE
12 RUE PHILIPPE DE GIRARD, 75010 PARIS
instagram.com/traumsmith

SMITH, Artiste de la galerie Christophe Gaillard
galeriegaillard.com