L’illustrateur de bandes dessinées François Schuiten et l’écrivain-voyageur Sylvain Tesson signent le dernier Travel Book des éditions Louis Vuitton. Et nous proposent un formidable récit d’exploration sur Mars.
Au commencement, il y a une collection, celles des Travel Books des éditions Louis Vuitton, une invitation au voyage, même immobile, pour partir à la découverte d’une ville ou d’un pays. À chaque édition d’un Travel Book, un illustrateur est envoyé sur les lieux d’une nouvelle destination afin qu’il puisse y livrer ses impressions.
C’est pour un carnet de voyage un peu particulier que s’est établie la connexion entre l’illustrateur belge François Schuiten – qui se dit peu enclin à voyager, sinon derrière sa planche à dessin – et l’auteur, voyageur impénitent, qu’est Sylvain Tesson. Face à eux, un défi, inédit dans cette collection, celui que François Schuiten a posé. Là où les autres auteurs se sont évertués à partager leur lecture sensible, architecturale et paysagère de Tokyo, Los Angeles, Venise ou de la mythique Route 66, eux allaient s’attacher à décrire un voyage… sur Mars. Un carnet de voyage de 188 jours au cours desquels deux explorateurs du début du 22e siècle explorent Mars pour savoir si la planète a suffisamment de ressources pour y accueillir leurs premières colonies de terriens. Il faut savoir qu’alors la Terre est transformée par le changement climatique et les humains contraints de vivre sous terre, sous la surface des hauts plateaux tibétains, pour échapper aux chaleurs suffocantes des plaines. La température moyenne des mers et océans atteint alors 25°C (!). X et Y, envoyés sur Mars, auront à explorer la planète rouge et, in fine, à affronter un choix cornélien : Faut-il l’offrir à la voracité de l’espèce humaine ?
De François Schuiten, Sylvain Tesson ne connaissait que le Blake et Mortimer qu’il a livré voici quelques années. Et Mars n’était pour lui qu’un lointain souvenir d’étudiant en géographie physique. Mais le choix de la planète rouge ne doit rien au hasard. « Mars est tout de même la dernière véritable proposition de rêve pour les hommes, explique Sylvain Tesson. On a réussi quand même à nous sentir à l’étroit sur Terre. On a réussi à ravager notre planète. On a réussi à dévaster nos écosystèmes. On a réussi à le faire. On se sent trop à l’étroit sur Terre. Alors on regarde ailleurs. Donc tout ce qui concerne Mars, c’est un appel au rêve. » Le processus de travail entre les deux hommes n’est pas commun. Il est pourtant au cœur de cette collection. François Schuiten n’a pas illustré un texte. Il a produit des dessins sur lesquels Sylvain Tesson est ensuite venu poser sa plume et produire une œuvre de fiction. « Ce que me demandait François, c’était d’organiser les dessins qu’il avait déjà produits et de les aménager, d’en tirer un récit, se souvient l’auteur de La Panthère des neiges (Prix Renaudot 2019). Il s’agissait de partir de l’image et de trouver une narration. En réalité, cela me paraissait un exercice auquel j’étais, non pas rompu, mais dont j’avais quand même une certaine habitude. »
Au cœur du récit imaginé par Sylvain Tesson, une Terre ruinée par l’appétit dévorant des hommes qui n’ont pas su en prendre soin ni s’en contenter. Dès lors, la seule solution est de chercher ailleurs un monde nouveau à découvrir et à coloniser. « C’est ce qui a poussé les hommes, depuis la grande aventure des Grecs dans l’Antiquité, à sortir d’eux-mêmes, à s’arracher à leur condition, à dépasser leur destin, à aller voir ailleurs. Mais, en même temps, c’est l’aveu de quelque chose. […] Il y a, dans l’aventure martienne, à la fois une grandeur et une misère humaine. » Cette même grandeur, ces paysages vastes, inexplorés, on la retrouve dans les planches de François Schuiten. Pour parvenir à son but, l’illustrateur a choisi l’inconfort, un espace de création qui ne lui permettait pas de trouver ses marques habituelles car il n’y a pas de trait filaire comme en bande dessinée. Ici, c’est la couleur qui joue tout son rôle. Le trait initial est enseveli sous le pinceau d’acrylique, puis les pigments des crayons viennent densifier les couleurs. Pour explorer cette terra incognita dessinée, il a fait le choix de « se perdre » suffisamment pour pouvoir chercher, « Je voulais effectivement être un peu comme un explorateur qui se cherche, qui cartographie au fur et à mesure ce qu’il découvre et qui voit se dévoiler un monde nouveau, observe-t-il. J’avais très peur de fabriquer le livre, d’être un peu trop à l’aise. J’avais envie d’être un peu en danger, comme on l’est sans doute dans un lieu aussi hostile. » Et c’est cette même recherche qui l’a conduit vers Sylvain Tesson car François Schuiten souhaitait par-dessus tout éviter la trop simple sollicitation adressée à « un écrivain en chambre, aussi talentueux ou aussi spécialiste de science-fiction soit-il ». Au lieu de cela, il souhaitait s’adjoindre la collaboration de « quelqu’un qui soit éprouvé par le terrain ». « C’était une évidence, ajoute le dessinateur. En plus, quand je l’entendais, quand je le lisais, je me disais qu’il pouvait apporter une dimension du réel, du danger, que je suis incapable de donner. […] En regardant mes dessins, il m’a aussitôt raconté l’histoire de mon livre. Son idée remettait tout en place. Elle m’a accompagné et mené au terme du voyage. »