À Romainville, Laurel Parker Book est un lieu dédié aux livres d’artistes, au croisement de la galerie d’art, la librairie et l’atelier de design et fabrication.
À la tête d’une structure aux multiples projets, sa fondatrice et directrice artistique, la pétillante Laurel Parker – ancienne étudiante de la School of the Museum of Fine Arts de Boston (Etats-Unis) – est une artiste américaine arrivée en France voici plus de quinze ans. Outre-Atlantique, à Boston, puis à l’université Tufts, elle s’était plutôt consacrée à l’image, au film et à la peinture. « Je réalisais des films en 10 ou en 16 millimètres et j’aimais beaucoup ça. Mais, dans un cours de mon école des beaux-arts, j’ai découvert l’univers du livre d’artiste. J’ai tout de suite aimé cela : le design, le graphisme, l’objet, le rapport à la matière, au papier, les techniques d’impression. Il y a là toute une chaîne de création qui me passionne. » Si la jeune diplômée devient tout d’abord l’assistante d’un photographe, le livre d’artiste demeure l’endroit d’une recherche personnelle. Arrivée à Paris pour y travailler dans l’atelier parisien du photographe, elle le quitte rapidement pour se plonger dans cette activité de création qui lui sied un peu plus. « Je ne pense pas que l’on puisse aimer le travail d’un seul artiste, j’avais besoin de découvrir d’autres formes de création. » Le temps de la création de son atelier fut « long et difficile » – elle le reconnaît aujourd’hui – mais Laurel Parker se fait rapidement un nom dans ce petit milieu de l’édition de livre d’artistes.
Depuis 2008, elle conçoit des livres, des boîtes et des multiples pour les artistes et les éditeurs, ainsi que pour les agences, les maisons de luxe, les institutions et le secteur privé. Parmi ses clients, Cartier, les éditions Louis Vuitton, Hermès ou encore Studio KO, Magnum Photos, les éditions Xavier Barral… Artiste, Laurel Parker l’est. Par sa formation comme par l’approche qu’elle a de son métier. Elle aime « le travail collaboratif » qui l’associe à un artiste dans la réalisation d’un livre et regrette d’ailleurs qu’en France « on sépare art et artisanat ». À ses côtés depuis 2011, Paul Chamard. Ancien stagiaire, il est le chef de production de l’atelier. Il a étudié la gravure à l’École Estienne et obtenu un Master en option objet-livre à la Haute École des Arts du Rhin de Strasbourg. « Dans notre duo, explique Laurel Parker, je suis plus impliquée dans le design des livres d’artistes, la réalisation des prototypes, une partie de la production. Paul est responsable de la fabrication quotidienne des projets à l’atelier ainsi que des techniciens qui y travaillent. Il est par ailleurs très à l’aise dans la réalisation des boîtes et coffrets que l’on peut nous demander. » Ensemble, en 2019, ils ont été lauréats de la Villa Kujoyama, l’équivalent de la Villa Médicis, mais au Japon. Ils y ont travaillé sur le papier japonais washi, très différent de ce que l’on connaît en Europe. « Il est conçu à partir de trois plantes (kozo, gampi, mitsumata) que l’on ne connaît que sur l’archipel. Il est très fin et très solide. On l’utilise pour toutes sortes de choses : des vêtements, des cloisons… Il est élastique, translucide… et très inspirant pour nous ». Ils ont réalisé là plusieurs installations en papier washi, présentées depuis à la Collection Lambert, à Avignon, et au Musée de la Chasse et de la Nature, à Paris. « Nous en avons aussi gardé quelques idées pour une autre partie de nos activités liées à la conservation d’œuvres historiques ». Un autre volet de l’activité de l’atelier.
Lorsque les artistes arrivent devant le bureau de Laurel Parker, ils ont généralement une idée bien définie du concept de leur projet. À elle de partager sa vision de l’œuvre « sans jamais rien leur imposer » et de les guider avec des solutions techniques et artistiques adaptées. « J’essaie de traduire leur désir artistique, d’affiner l’objet dans lequel ils se projettent en leur ouvrant d’autres possibles », témoigne-t-elle. Pour une boîte ou un coffret accueillant une œuvre, l’objectif est de respecter l’œuvre de l’artiste, « sans l’écraser ». Si parfois le projet semble si fou qu’elle peine à y croire, c’est pourtant à elle de lui donner un tour concret. « Nous avons créé un livre avec trois artistes plasticiens et un auteur iraniens (Ramin Haerizadeh, Rokni Haerizadeh, Hesam Rehmanian et Vahid Davar), à distance car ils vivent éloignés de la France. Il s’agissait de recréer un atlas du monde, mais du point de vue des migrants qui le parcourent. D’anciens altas achetés sur Amazon étaient découpés, réagencés, des textes et des images collés sur des morceaux de couvertures de survie. » Un projet très complexe, mais qui a vu le jour. Le British Museum a acquis le premier livre ainsi réalisé et produit par la galerie In Situ-Fabienne Leclerc, le Musée d’Art et d’Histoire de Genève le second. La création est longue – de trois semaines pour une boîte à plus de six mois pour un livre –, les prototypes multiples avant d’atteindre l’objet final ; le travail est manuel pour toutes les étapes de la fabrication et les coûts sont assez élevés. Les artistes se tournent vers Laurel Parker et Paul Chamard après avoir obtenu une ou plusieurs bourse(s) de création, ou lorsqu’ils sont accompagnés de maisons d’édition ou galeristes souhaitant porter ce projet.
L’atelier Laurel Parker Book peut aussi se lancer dans la production d’un livre d’artiste ou d’un objet, en tant que maison d’édition. Une option rare mais réelle lorsque Laurel Parker partage une vraie connivence avec un artiste et que la reconnaissance de celui-ci ou de celle-ci lui laisse entrevoir la possibilité, un jour, d’équilibrer pour le moins les coûts afférents au projet. Ce fut le cas, voici quelques années, avec Françoise Pétrovitch, dans une recherche sur la figure de l’oiseau, et qui aboutit alors à la réalisation d’un objet singulier, entre boîte à spécimen et mini-théâtre d’inspiration japonaise. 17 exemplaires tirés en 2020.
Parmi ses plus grands souvenirs, Laurel Parker a aussi à l’esprit la réalisation d’un livre avec Mark Dion, artiste plasticien américain de grand renom, dont la recherche artistique se teinte d’anthropologie. « Il s’agissait d’un carnet de voyage, fait de fac-similés de textes et de croquis sur l’Amazonie. Une coproduction de la galerie In Situ, Christophe Daviet-Théry et XN Éditions, un livre relié en buffle rouge et papier Zerkall, intégrant une pochette en toile avec quelques tirages et deux mini-livres. » C’était en 2007, peu de temps avant la création de l’agence. Elle exerçait alors en freelance.
Aujourd’hui, c’est vers le Japon, à nouveau, que Laurel Parker et Paul Chamard aimeraient se tourner. Ils rêvent de s’y rendre à nouveau d’y poursuivre leurs explorations sur le papier. « Là, avec le papier washi, nous avons approché autre chose dans notre travail : le volume, les trois dimensions, la possibilité d’imaginer des installations », ajoute Laurel Parker. Désormais galerie d’art membre de Komunuma, dotée d’espaces qui permettent aux artistes d’y présenter leurs travaux, c’est aussi à cet endroit que le duo de designers entend se positionner. Maison d’édition, galerie d’art, librairie, atelier de design et de fabrication, Laurel Parker Book est un lieu où s’inventent toutes les relations à l’art : on y crée, on y fabrique et l’on peut aussi y voir, découvrir, et s’élever.
Laurel Parker Book
43, rue de la Commune de Paris
93230 Romainville
www.laurelparkerbook.com
IG : @laurelparkerbook