Publié le 18 septembre 2020
Temps de lecture : 6 minutes

Jean-Michel Othoniel, Oracles & Prophéties

TEXTEHÉLÈNE VIRION
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Le plasticien explore depuis ses débuts les capacités de la matière, notamment le verre soufflé – matériau emblématique de sa pratique –, pour réaliser des sculptures poétiques qui reposent sur la répétition d’éléments modulaires comme les briques ou les perles.

Une aquarelle jaune vif, ressortie récemment des archives de Jean-Michel Othoniel s’impose comme une forme providentielle. L’enveloppe irrégulière de ce parallélépipède peint en 1990 est à lire tout à la fois comme l’unité d’un tout et comme une forme universelle. Cette brique de soufre est le module, l’essence de ses réalisations. Elle est la pierre angulaire d’assemblages, de combinaisons, d’agencements de soufre, de verre, de métal, de cire ou d’or. Elle est à l’origine d’un procédé systématisé par l’artiste, déjà lisible dans cette planche d’esquisse, où la brique est le fragment d’un pan de mur, d’un parapet en construction.

Ce métalloïde découvert par l’artiste dans les années 1980 est prophétique. Il est à l’origine de ses expérimentations formelles, de ses préoccupations artistiques, comme de ses exploitations de modules. Sa quête du soufre dans les îles Eoliennes au nord de la Sicile, le conduit en effet vers la découverte de l’obsidienne de Lipari. Séduit par le pouvoir de métamorphose de cette roche noire née de la vitrification de la lave volcanique, il entame des recherches plastiques pour la récréer artificiellement. Pour retranscrire sa texture tout à la fois opaque et translucide, tout comme son éclat vitreux, il entre en relation avec Saint-Gobain Recherche. De cette rencontre, dans le sillage de sa formation à l’École des Beaux-Arts de Cergy-Pontoise, se déploient deux années d’expérimentations jusqu’à ce que l’obsidienne renaisse en laboratoire.

Jean-Michel Othoniel, ALFA, 2019. Photo : Othoniel Studio / Martin Argyroglo © Othoniel / ADAGP, Paris 2020

Les propriétés des matériaux deviennent dès lors l’occasion d’expérimenter par la rencontre d’un savoir-faire artisanal, de connaissances scientifiques et de projets de plus en plus monumentaux, le potentiel de métamorphose du verre, du métal ou de la cire. Par le feu, l’air et la chaleur, chaque pièce est soufflée, taillée, modelée pour donner forme aux obsessions de l’artiste. Une géographie sensible se dessine, se précise en une ode à la matière. Entouré d’une équipe dans son atelier de la rue de la Perle à Paris et d’une soixantaine de maîtres verriers du Mexique au Japon en passant par l’Inde, l’artiste explore à toutes les échelles le verre et ses possibles. En émanent ses récurrentes perles creuses montées en colliers à travers le monde, comme sur un fil d’Ariane, du kiosque des noctambules de Paris au musée national du Qatar.

Ses perles de verre, telles des boules de cristal, des Oracles pour reprendre l’intitulé de son exposition à la Galerie Perrotin en 2019, le conduisent vers une nouvelle métamorphose pour le moins signifiante. Comme une prédiction, voire une prémonition Jean-Michel Othoniel revient à la brique dessinée sur le papier trente ans auparavant. La brique de soufre se mue en une brique de verre irisée ou d’acier. Son miroitement délicat résonne avec celui de l’eau, de la vague, comme avec celui du feu. Elles font écho aux briques entassées en murets le long des routes indiennes, accumulées par les habitants jusqu’à ce qu’ils puissent bâtir une maison. Surtout elles témoignent de préoccupations universelles. Par une nouvelle variation d’échelle, la renaissance de ce parallélépipède ancien, donne vie à un nouveau corpus d’œuvres entre feu et eau. Telle une ode à la matière elle se joue de métamorphoses, de sublimations et de transmutations, non sans résonances avec les mutations liées à l’anthropocène.

Jean-Michel Othoniel, Le Kiosque des Noctambules, 2000. Photo: Jean-François Mauboussin © 2020 Othoniel / ADAGP, Paris.

Le dessin prend une place importante dans votre processus de création. Pourriez-vous nous dévoiler vos secrets de réalisation et la place que vous lui accordez dans votre pratique actuelle…
Le dessin est à la base de mon travail. Il est le départ de toute œuvre. Il intervient dans une pratique exploratoire, comme une sorte de journal, où je travaille les couleurs, les formes de chaque œuvre sous forme d’aquarelle ou de graphique. Pour autant mes dessins n’ont été montrés qu’une seule fois à la Galerie Perrotin. J’en conserve les recherches, les archives.

À l’occasion des 30 ans de la Pyramide du Musée du Louvre vous avez réalisé en écho avec « Le Mariage par procuration de Marie de Médicis et d’Henri IV » (1621-1625) des peintures à l’encre sur feuilles d’or (« La Rose du Louvre », 2019). Comment avez-vous envisagé le dialogue de vos perles avec les statuaires des 17ème et 18ème siècles de la cour Puget, comme avec ce chef-d’œuvre de Rubens ?
Invité par Jean-Luc Martinez, en hommage aux trente ans de la Pyramide, j’ai proposé un parcours à la recherche de la symbolique des fleurs autour des œuvres qui me touchaient le plus. J’ai en effet un rapport très personnel avec le Louvre puisqu’il y a trente ans, j’en étais l’un des gardiens. Raconter cette histoire à travers les œuvres du musée m’a donc paru indispensable. Le placement des œuvres s’est fait quant à lui de manière presque fortuite. Les six niches vides derrière les sculptures répondent à mes peintures à l’encre sur feuilles d’or blanc. Plus encore, elles évoquent les grottes ou les arrière-plans aux surfaces réfléchissantes, en nacre, en coquillage, qui créaient au 17ème et 18ème siècle un environnement aux sculptures. Elles résonnent également avec les sculptures qui parlent elles aussi, par la thématique des saisons, de la symbolique des fleurs.

Jean-Michel Othoniel, La Rose du Louvre, 2019. Photo : Claire Dorn © 2020 Othoniel / ADAGP, Paris

« The Big Wave », votre vague monumentale de 25 tonnes, de 6,5 mètres de haut et de 15 mètres de large, conçue à partir de 20 000 briques aux reflets d’encre menace d’engloutir le spectateur. Par ce bleu abyssal et ce risque potentiel, attirez-vous notre attention sur les enjeux écologiques du monde contemporain ?
En tant qu’artiste nous sommes comme des plaques photosensibles, des éponges. Nous sommes tous hypersensibles au changement du monde, à ses frayeurs ou beautés. Nous absorbons l’époque et nous avons même parfois des visions. Le pouvoir visionnaire de l’artiste lui permet de saisir intuitivement des choses importantes dans la société, dans le monde. Je ne dirais pas que le propos écologique est présent dans cette vague – elle n’est pas née d’un tel désir – pourtant elle fait écho aux dessins réalisés au Japon lors du tsunami. Cette idée a infusé dans mon travail et est ressortie comme une urgence. Quand je me suis lancé dans cette folie, dans ce projet entièrement conçu et monté moi-même – dans la logistique comme dans le financement –, une première version a été réalisée à Sète, une seconde définitive a ensuite été montée à Saint-Étienne. Elle est à présent exposée dans l’atelier à Montreuil. Déménager l’atelier est devenu en ce sens une nécessité. Il est nécessaire de vivre les œuvres, de les regarder afin de faire naître d’autres œuvres. Je rêve en effet de construire autour de la vague car je crois que les œuvres engendrent d’autres œuvres.

Vous convoquez également la photographie « La Grande Vague » (1857) de Gustave Le Gray. Cette référence est d’autant plus évidente que vous avez exposé « The Big Wave » au Centre Régional d’Art Contemporain de Sète en 2017. Dites-nous en plus sur votre affinité avec cette marine, avec la photographie…
À mes débuts je m’inspirais beaucoup de photographies anciennes, de ces apparitions qui m’émeuvent encore beaucoup aujourd’hui, comme l’aura d’une main, la face d’une fleur sur le papier photosensible… D’ailleurs ma première exposition était en lien avec la photographie ancienne, composée d’œuvres en gélatine photosensible dont je puisais le côté chimique et alchimique encore présent dans mes œuvres. « The Big Wave » est en ce sens un hommage à Gustave Le Gray.

Jean-Michel Othoniel, The Big Wave (détail), 2018. Photo : Charlotte Piérot © ADAGP, Paris 2019

Le risque de la désillusion semble dans votre démarche éminemment latent, comme dissimulé sous la beauté poétique de vos univers. Ce second niveau de lecture a toujours été présent dans vos œuvres depuis votre brique de soufre. Pourriez-vous nous en dire plus ?
L’œuvre offre un remède au risque de la désillusion, elle offre des réponses à la désillusion du monde. Pour autant l’idée du réenchantement part forcement d’une image de la fracture ou de la catastrophe. Elle permet de penser comment reconstruire et proposer une œuvre qui vient répondre à ce manque, à ce vide afin de penser le monde de manière positive.

Élu en novembre 2018 à l’Académie des Beaux-Arts, représenté par la Galerie Perrotin, vous venez également de publier une monographie chez Phaidon. Que pouvons-nous vous souhaiter de plus providentiel pour l’avenir ?
À travers le grand atelier de Montreuil – appelé la Solfatara en regard du lieu où les pythies se réunissaient pour lire l’avenir sur les vapeurs de soufre – l’idée est de travailler avec des artisans, des danseurs, des gens de théâtre, de littérature ou de l’art thérapie. Elle est d’activer une ouverture, de réactiver le groupe qui aujourd’hui travaille pour moi, dans l’objectif de créer de manière différente, de manière plus ouverte sur le monde et surtout de façon plus active socialement.

Jean-Michel Othoniel © Claire Dorn

Du 16 septembre au 24 octobre la Galerie Perrotin présentera vos œuvres à Tokyo lors d’une exposition personnelle intitulée « Dream Road ». Donnez-nous l’envie de réserver nos billets d’avion pour découvrir vos pièces sur les terres du soleil couchant…
« Dream Road » est inspirée du chrysanthème, fleur impériale, solaire, très liée à la poésie japonaise. Il sera le motif de trois peintures et d’une dizaine de sculptures, comme il influencera toute l’exposition. L’exposition sera inspirée dans sa forme des expositions florales qui ont lieu chaque année au Japon. Je me suis inspiré de cette mise en scène très mathématique, liée aux formes et aux couleurs, pour obtenir un rendu tout à la fois précis et délicat, où les fleurs seront transformées en sculptures.

Le contexte actuel est particulièrement contraignant pour le monde, comme pour la création. Comment allez-vous continuer à produire durant cette période tourmentée ?
Dans l’art contemporain nous sommes des nomades, et cela est altéré par la situation actuelle. J’ai en effet construit ma carrière avec cette idée de voyage, de rencontre. La situation actuelle est donc très contraignante. L’agrandissement de l’atelier à Montreuil va me permettre de travailler dans l’attente sur mes archives, sur toutes ces images ramenées de voyage…

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