Publié le 06 octobre 2021
Temps de lecture : 5 minutes

Maisonjaune Studio, Le blond est une matière

TEXTEBenoît Pelletier
PHOTOSBenoît Pelletier
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Depuis plus de 20 ans, les rémois de Maisonjaune Studio, tracent un sillon singulier dans l’univers de la déco avec pour fil conducteur la chaleur, la lumière, la blondeur…

On entre dans une belle maison ancienne de Reims. « Une des quelques – une poignée – restées debout après les bombardements de la Première guerre mondiale » précise la maîtresse des lieux. Pas une demeure bourgeoise, ni un de ces fameux « particuliers rémois » (des maisons de ville tout en longueur), plutôt une maison d’apparence extérieure assez brute, qui porte son âge, dans les 200 ans sans doute, sans fards, mais avec la sérénité tranquille de celle qui résiste au temps. À l’intérieur, on est frappé par la façon dont il a été donné à la rusticité simple des matériaux, une élégance, une chaleur, un velouté, qui ont sans doute beaucoup à voir avec une certaine idée du confort. Rien d’ostensible, même si l’on se doute que l’emploi de matériaux ou d’aménagements de qualité a un coût, mais un sentiment d’harmonie évident. Partout des meubles ou des objets qui semblent avoir vécu 1000 vies, du bois clair, du blond, du rotin, quelques couleurs sourdes : ocre, bleu marine, le vieux rouge des tomettes…  Apparemment une pure déco de « magazine », pas un interrupteur ne semble avoir été choisi au hasard, mais à la différence des images glacées, tout ici respire la vie, on sent que cette maison – de famille – est habitée. À tous les sens du terme.

Nous sommes chez Élodie et Julien Régnier, les fondateurs de Maison Jaune Studio, le nom sous lequel ils réunissent leurs activités d’antiquaires, de quelque chose qui ressemble à « directeurs artistiques d’espace », et, depuis peu, d’éditeurs de mobilier.

Julien c’est l’enfant de la balle. Il a traîné ses guêtres avec ses parents, eux-mêmes antiquaires, et, plus tard, travaillé avec eux. Pour lui, « la chine » est clairement une seconde nature. Après un an aux beaux-arts, et des envies foisonnantes de jeune homme dans les domaines de la scénographie, de la musique, des arts, il est rattrapé par l’atavisme familial. Il est vrai que, d’un billet d’argent de poche attrapé entre 2 ventes, à une activité quasi professionnelle capable de nourrir son homme, il n’y a qu’un – tout petit – pas pour ce marchand né. Et surtout, il a du pif. L’instinct très sur. Pas d’intellectualisation du propos : du feeling. Il saura sentir le potentiel des objets, les recontextualiser, leur faire montrer un visage de beauté qui se cachait. Trajectoire finalement moins rectiligne pour la juriste Élodie qui s’est d’abord destinée au droit de l’urbanisme, avant de rencontrer Julien et de switcher complètement vers ce qui n’était qu’un loisir : les objets, la déco, la chine…

La lampe "Parme"
Le miroir "Dune"

Ils fondent ensemble leur première société EJ Régnier en 1999 avec très vite une boutique au Marché Paul Bert (aux puces de Saint-Ouen), la plaque tournante de tout ce qui fait le monde des antiquités de l’époque. « C’était un peu le pré-google des objets anciens » ajoute Julien. Si une question se posait à propos d’un objet, beaucoup de réponses pouvaient se trouver à Paul Bert. Et surtout c’est là que tout  s’achetait et se vendait. Ça reste aujourd’hui encore un lieu d’échange très important, sans doute majeur, mais internet est passé par là.

Ils ont déjà une patte. Et vendent des objets qui s’inscrivent dans un univers très lisible, composé de meubles d’inspiration pré-industrielle, d’éléments de décor de jardin XVIIIe surdimensionnés, de pièces d’art contemporain associées à des portraits classiques… Ça s’inscrit dans les tendances de l’époque (la vague industrielle) mais avec beaucoup de distance, de personnalité et de caractère. Rentrer dans leur appartement de l’époque est un vrai petit dépaysement et la personnalité plutôt rock & roll des deux hôtes ajoute encore un peu de saveur au voyage.

Les professionnels ne s’y trompent pas et leur business, qui fonctionne beaucoup avec des galeries étrangères et notamment américaines tourne très bien jusqu’à… un certain 11 septembre 2001. Gros coup d’arrêt et reconstruction jusqu’à la crise de 2008 qui marque un deuxième coup dur à encaisser. Cette fois, il faut se remettre en question plus fondamentalement. Un travail dans lequel Élodie jouera un rôle moteur et structurant à côté de Julien, plus artiste : il ne faut plus seulement vendre des objets, mais vendre une vision, un univers.

Chez Élodie et Julien Régnier

Ils sentent aussi que la composition chimique de l’air du temps se modifie et ils commencent à s’intéresser à du mobilier plus récent : années 40 à 60, avec quelques incursions dans les seventies. Il faut dire que l’âge des objets ou leur appartenance à un mouvement, est devenu moins leur sujet que son intégration à un univers qui se dessine de plus en plus clairement. C’est le moment où commencent à apparaître dans leur boutique du mobilier fait des matériaux qui les identifient aujourd’hui : le laiton, le rotin, le velours clair, le blanc cassé, le biscuit blanc, la peau de mouton, le clair, le chaud, la blondeur, le soleil, l’été… Cette vision trouve l’occasion de se déployer dans des conditions idéales en 2010 quand ils investissent la boutique qu’ils occupent aujourd’hui. Située dans une artère très passante du marché Paul Bert, c’est, non plus seulement un simple stand, mais, une véritable petite maison. Jaune.

Changement d’échelle et création d’une nouvelle société : on passe de EJ Régnier à Maisonjaune Studio. Un mouvement qui coïncide avec l’affirmation de leur style, qui commence à susciter des collaborations d’un genre nouveau. Si on recherche toujours chez eux ces trouvailles qui font leur patte, on les sollicite désormais pour adapter ces objets à un lieu, à les faire coïncider avec d’autres meubles, à rendre un ensemble cohérent, voire, à créer de toutes pièces un objet qui sera le chainon manquant entre du mobilier vintage et la vie d’une famille. Petit à petit, ils apprennent ce nouveau métier et à déployer une direction artistique, qui, toujours, s’inscrit dans le réel. Des espaces faits pour qu’on y vive.

Ils réalisent vite que certains objets qu’ils ont créés pour un lieu précis peuvent aussi vivre ailleurs et autrement, et décident de les reproduire à plusieurs exemplaires – les voici devenus éditeurs. Le premier – on est en 2017 – sera leur miroir « Dune » très reconnaissable avec ses formes ovales king size entrelacées et ses boiseries en rotin. Il sera suivi des lampes « Parme » et « Rome », du tabouret « Delta » avec son piètement triangulaire en métal, de la lampe « Flamme » et son pied en biscuit qui fait penser à un ananas… Le catalogue des éditions Maisonjaune Studio compte aujourd’hui une dizaine de pièces qui vivent leur vie et sont devenues une vraie réalité dans leur fonctionnement économique.

Stand Maisonjaune Studio au PAD.
Restaurant Lexperience à Reims.
Au coeur de leur boutique du marché Paul Bert.

Ces activités d’édition ont sans nul doute conforté l’assurance de la qualité de leur regard. Et ils se voient depuis 2018 confier l’aménagement complet de lieux comme les restaurants Lexperience ou Le Lion de Belfort à Reims pour lesquels ils ont contribué à quasiment tous les échelons nécessitant une direction artistique, du design des meubles à la bande son… Ils ont également participé à la création du restaurant Sacré Burger, devenu un incontournable de la vie rémoise.

D’autres projets sont en cours, et ces deux-là continueront à les mener à leur façon. Avec eux on est loin des cabinets très techniques, des projections 3D, des plans ultra-millimétrés. Il est avant tout question de feeling, d’empirisme, de ressenti. Et en place d’une précision informatisée, ils auraient plutôt tendance à proposer une… bonne dose de charme. Un de leurs meilleurs atouts, porté au rang d’argument économique, tant il participe de leur personnage.

Et ça continue. Le duo vient d’éditer un canapé onctueux en deux parties. Il sera présent aux prochains salons PAD, qui réunit la crème de la crème des antiquaires, à Londres et à Paris. Et surtout, il ouvre une nouvelle boutique rue de Seine, dans le saint des saints du quartier des antiquaires. Difficile de ne pas y voir une forme d’aboutissement, pour le gamin qui traînait avec son père les petits matins de déballage, et, à quelques distances de là, l’étudiante sage en quête d’une vie qui vaille le coup d’être vécue.

Élodie, Julien, et leur canapé "Isola".

Maisonjaune Studio
Marché Paul Bert
Stand 145, Allée 3
96, rue des Rosiers
93400 Saint Ouen
+
42, rue de Seine
75006 PARIS

maisonjaunestudio.com
instagram.com/maisonjaunestudio