Au printemps, sera dévoilée à l’Abbaye royale de Fontevraud la cloche réalisée par l’artiste Paul Cox. Ce sera la quatrième de ce programme audacieux mêlant art campanaire et contemporain.
On dit souvent d’un artiste – par paresse – qu’il est « inclassable ». À bien y réfléchir, s’il est un peu facile, le qualificatif vaut pourtant pour Paul Cox, graphiste et artiste plasticien atypique dont le travail est reconnu dans bien des domaines. Parallèlement à la peinture, il produit en effet des livres pour les enfants, des affiches, des illustrations de presse, des logos, et beaucoup d’autres objets qui ont à voir avec le design. Il est aussi le concepteur de scénographies d’exposition, de projets de communication culturelle ou encore de décors et costumes pour l’opéra (Paris, Genève, Nancy…). Cet autodidacte, formé en histoire de l’art et en littérature anglaise, utilise les images qu’il crée comme des mots, développant des dispositifs d’apparence simples mais dont la sophistication se révèle au fil de leur accumulation. Ainsi se construit un langage graphique singulier, figuratif et coloré, empreint de poésie et de symbolisme. Et l’on devine ici l’attachement qui le relie consciemment, par sa production dans ce domaine, et sans doute inconsciemment, au monde de l’enfance, à celui du jeu, de l’agencement permanent des choses, de l’imaginaire fertile et sans limites.
La construction de ses images est bien plus complexe qu’il n’y paraît. L’artiste lit, se documente, dessine, crayonne, reprend, avant que ne surgisse la forme finale. Des dizaines d’esquisses précèdent ici l’œuvre qui sera révélée. Celui qui dit percevoir le monde comme « un vaste collage, une collection de jeux de construction », procède souvent de la sorte. Chaque dessin / objet est alors découpé, manipulé, posé, repris avant d’être collé. Paul Cox joue des superpositions, change de cadre, d’angle, et compose tel un musicien une partition d’images justes et signifiantes. En cela, tout en recherchant cette « justesse », il cède volontiers à l’accident, à l’heureux hasard et à l’improvisation. Il y a dans son œuvre une dimension légère, presque enfantine, où affleure l’humour et la poésie, sans que le sens, et une certaine gravité, ne s’en détachent. C’est là tout l’art de Paul Cox, un artiste capable avec la même cohérence de réaliser les affiches de plusieurs théâtres et des livres pour enfants, de concevoir un mobilier-jeu pour le Centre Pompidou ou les décors du chorégraphe Benjamin Millepied.
C’est en 2006 qu’il crée un jeu de piste spécialement conçu pour l’Abbaye royale de Fontevraud, non loin de Saumur (Maine-et-Loire). Utilisant des détails de l’architecture, il inaugure ainsi une collection originale de carnets de visite d’artistes que viendront nourrir ensuite des collaborations avec Ange Leccia, François Place, Kveta Pacovska… Il y est revenu en 2013 pour une exposition, « Paysage », qui mettait en relief une autre dimension importante de sa recherche en dessin et en peinture, son rapport à la nature, aux forêts, au cycle des saisons. Un lien ténu l’associe à cette abbaye fondée au XIIe siècle par Robert d’Arbrissel, qui abrite les gisants d’Aliénor d’Aquitaine et de son fils Richard Cœur de Lion, qui fut une prison – Jean Genet y fut incarcéré – et est devenue un centre culturel de rencontres.
Lorsqu ’ Emmanuel Morin, le directeur artistique de l’Abbaye royale, lui propose de réaliser une cloche, la quatrième du programme campanaire qu’il porte, Paul Cox lui répond « oui, sans hésiter, sans connaître non plus la complexité technique d’un tel projet ». Il imagine alors une spirale se déroulant sur sept niveaux pour y porter un récit en images, « à l’image de la colonne de Trajan ou de la tapisserie de Bayeux ». Sur le projet final, on découvre donc un double mouvement en spirales ascendantes s’entrelaçant jusqu’au somment du cône. Les personnages et figures viennent d’être réalisés en cire et reportés sur ce qui deviendra le moule en négatif de la future cloche. « J’ai pensé à ce mouvement ascendant pour matérialiser l’élévation spirituelle propre à la vie monastique », souligne Paul Cox, encore émerveillé par la semaine qu’il vient de passer, les mains dans la cire, au sein de la fonderie de cloches Cornille Havard, à Villedieu-les-Poêles (Manche). On retrouve dans cette procession de figures des éléments de l’architecture de l’abbaye, l’évocation de la vie agricole qui l’entourait mais aussi plusieurs références à la vie de l’abbesse dont le nom sera attribué à cette nouvelle cloche : Gabrielle de Rochechouart. « Une femme remarquable, la sœur de Madame de Montespan, très lettrée pour son temps, omniprésente à la cour de Louis XIV et dans ses intrigues. Elle était aussi polyglotte, c’est pourquoi j’ai apposé dans le cheminement de la spirale une Tour de Babel », explique l’artiste. D’autres symboles figureront sur la cloche, « pour témoigner par exemple, de ce qui peut faire obstacle à l’élévation ». Pour ce projet, Paul Cox entend « faire cohabiter la vie spirituelle et la vie séculière, les grandes lignes du paysage de cette région (les forêts, la vigne…), quelques éléments sculptés de l’art roman, mais aussi ces figures populaires, cocasses et naïves que l’on retrouve parfois sur les chapiteaux des églises ». Le Roi Soleil est ainsi présent sur la frise avec, à ses côtés… un cochon. Dans cet imagier, tout fait symbole, même le mouvement en spirale qui évoque une portée musicale. Chaque figure a été réalisée séparément par Paul Cox, puis apposée sur le futur moule à la manière d’un bas-relief. « Tout est à plat, en légère élévation de deux millimètres par rapport au corps de la cloche, comme contre-découpé. » Au-delà de cette faible épaisseur, il n’aurait plus été possible d’accorder la cloche dans de bonnes conditions. « Il y a dans cette découpe et cette pose, un côté ‘un peu mal fait’ qui me plait bien, des jointures imparfaites qui rendent l’ensemble plus vivant, s’amuse Paul Cox. J’ai appris le travail de la cire, et je dois dire que cela m’a passionné. » Il reste encore quelques semaines à patienter avant de voir le résultat final de ce travail.
« Un projet d’artistes pour raconter autrement le patrimoine »
Emmanuel Morin, Directeur artistique de L’Abbaye royale de Fontevraud
Voici cinq ans, Emmanuel Morin, le directeur artistique de l’Abbaye royale de Fontevraud, s’est vu proposer un défi par ses partenaires de la Région des Pays de la Loire. Il devait faire feu de tout bois pour proposer « une autre manière, plus patrimoniale, de raconter le monument ». La tâche est passionnante, mais complexe. L’histoire de l’abbaye est riche, l’ensemble architectural est très vaste, témoignant de plusieurs époques de construction, il peut y faire froid… « Ma première intuition a été de me dire que nous devions absolument confier le soin de ce nouveau récit à des artistes d’aujourd’hui. C’était une évidence » se souvient celui qui, à travers des expositions, performances et spectacles, confère une âme à ce lieu de vie et de culture. Il imagine alors « la chambre des cloches », dans laquelle il entend réinterroger l’histoire d’une abbaye où plus aucune cloche n’a résonné depuis la Révolution française. Une première cloche voit le jour en 2019, une commande artistique passée à Nicolas Barreau et Jules Charbonnet. Les deux designers et plasticiens nantais collaborent régulièrement avec l’abbaye, ils imaginent dans le même temps un dispositif permettant sa mise en scène visuelle et sonore dans le parc. Le succès est immédiat, le public se passionne pour cette cloche accessible à tous dans l’aire qui lui est réservée, derrière le chœur de l’église abbatiale. Trois autres cloches, confiées à des artistes, ont été depuis réalisées. Pour chacune d’elle, le directeur artistique fait le choix « d’un ou d’une artiste qui a un lien fort avec Fontevraud, avec le souci de varier les talents et les expressions plastiques ». Éclairant sa volonté de faire appel à Paul Cox, il ajoute : « J’aime la fraîcheur du trait de Paul Cox et l’intelligence qu’il a face au sujet. Paul développe un propos intellectuel toujours très dense ».
« Certains visiteurs reviennent chaque année, d’autres vont même sur le site de la fonderie, en Normandie. Et l’on commence à me solliciter d’un peu partout en France et en Europe car ce programme de six cloches commandées à des artistes par un monument public est absolument unique. » À terme, les six cloches qui ne pourront pas être installées dans le clocher du XIIIe siècle de l’Abbaye royale, trop fragile, le seront « dans une chambre des cloches imaginée ad hoc, pour que l’on puisse les voir et les entendre ». Des sonneries à certains moments de la journée, des concerts de cloches, des commandes passées à des compositeurs, plusieurs pistes sont sur la table. Pour l’heure, au printemps prochain, c’est la cloche réalisée par Paul Cox, et qui pèsera au bas mot 1,2 tonne, qui rejoindra sur les pelouses de Fontevraud celles de Nicolas Barreau et Jules Charbonnet, François Réau et Makiko Furuichi.
Abbaye Royale de Fontevraud
49590 Fontevraud-l’Abbaye
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