Publié le 21 septembre 2022
Temps de lecture : 5 minutes

Emmanuelle de L’Ecotais, La vision PHOTO DAYS

TEXTECyrille Jouanno
PHOTOSMarjolijn de Groot
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Alors que s’annonce sa troisième édition, le festival parisien de photographie grandit et cultive l’art de faire découvrir la photo au plus grand nombre.

Lorsque l’on écoute attentivement Emmanuelle de L’Ecotais évoquer Photo Days, le temps fort dédié à la photo à Paris qu’elle a imaginé en 2019, on est surpris par son ton calme, posé, dans lequel point une profonde humilité. Pas une trace de fierté, ni d’ego mal placé. Il y aurait pourtant de quoi se féliciter d’une belle réussite. L’événement a mobilisé 90 lieux différents (galeries, foires, maisons de vente…) lors de sa seconde édition, à l’automne dernier…

Photo Days est né de l’envie de redonner à Paris un événement qui aurait une dynamique similaire au Mois de la Photo, « avec le désir de sensibiliser les publics à la photo, de passer des commandes à des artistes pour des lieux emblématiques ou atypiques habituellement fermés au public, de créer une synergie entre le travail d’un artiste et l’architecture ; un peu comme si l’on faisait vivre les Journées du Patrimoine avec l’art contemporain » tel que l’explique Emmanuelle de L’Ecotais. La crise Covid-19 intervient et rend impossible l’organisation de la manifestation dans certains lieux institutionnels fermés au public. « Je risquais de devoir annuler, je craignais de perdre tous mes soutiens », se souvient Emmanuelle de L’Ecotais, qui a alors l’idée de se tourner vers les galeries pour réaliser un événement à l’échelle de toute la ville de Paris. « Je suis allée voir toutes les galeries avec l’idée qu’il fallait créer un parcours pour palier l’annulation de Paris Photo. Les galeries étant de petits commerces, elles étaient en mesure d’ouvrir. » Elles seront une trentaine à répondre présentes. Lors de cette première édition, Photo Days a également produit sa première exposition dans un lieu fermé au public jusqu’ici : Alkis Boutlis – Penser, c’est voir ! à La Rotonde Balzac, située dans les jardins de l’Hôtel de Rothschild (Fondation des Artistes). Audacieuse dans son projet, portée par une forte volonté de démocratisation de son art, elle entend changer le rapport qu’entretient le grand public avec la photographie, mais aussi avec les photographes. Un leitmotiv : décloisonner, ouvrir, rendre les rencontres possibles. Photos Days a su, sur ce plan, briser les codes et transformer la relation d’un festival à ses publics.

S’il est ici question de découverte, Emmanuelle de L’Ecotais joue la carte de la proximité. Des visites « à la carte » peuvent être proposées sur réservation à celles et ceux qui en font la demande. « On peut nous contacter et nous solliciter pour une visite organisée, soit dans un quartier, soit autour d’une thématique. Et nous procédons de même, quand cela est possible, pour des rencontres avec les artistes. » Plus de 500 visites ont été organisées en 2021. Du jamais vu dans les grands festivals de photo et même, plus généralement, dans l’univers des festivals où l’on ne prend guère le temps du « sur-mesure ». Photo Days propose aussi, comme d’autres, des lectures de portfolios, ces moments où des passionnés de photographie donnent à voir leur travail à des professionnels. Le temps d’échange est riche d’enseignement, de conseils. Là où les festivals commercialisent ces temps de rencontre, sur réservation, Photos Days les ouvre au plus grand nombre, gratuitement, à la Fondazione Sozzani. La rencontre, elle, n’est pas dévaluée, puisque que ce sont de très grands noms de la photographie (photographes, commissaires d’exposition…) qui rencontrent à cette occasion les amateurs éclairés et les artistes en devenir. Une chance incroyable pour ceux qui vivront les 300 lectures prévues en 2022. Enfin, et il est légitime de le souligner, Photo Days est aussi un projet solidaire qui collabore avec la fondation « photo4food », qui propose l’acquisition de photos en échange de dons permettant de financer des repas pour des personnes démunies. Il y a là, dans cette attention portée aux publics, et avant tout à l’autre, un axe singulier d’un projet qui dépasse la seule exposition de photographies.

L’écosystème Photo Days
La seconde édition marque une montée en puissance avec 90 lieux partenaires mais aussi « quelques lieux privés soigneusement choisis comme des ateliers d’artistes, des hôtels, des appartements de collectionneurs, ainsi que deux laboratoires, afin de proposer aux visiteurs, professionnels ou amateurs, une immersion photographique totale ». Pour la programmation du festival, Emmanuelle de l’Ecotais encourage la prise d’initiative, invitant les galeries partenaires à choisir les artistes qu’elles souhaitent mettre en valeur.
Tout un monde professionnel, par ailleurs concurrentiel, se réunit à l’année sur un projet commun dans la rencontre des publics. Autant dire que la quasi-totalité des lieux gravitant dans l’univers de la photographie à Paris sont engagés dans ce qui ressemble à une aventure commune, à une organisation partagée.
À ceci s’ajoute la programmation d’Emmanuelle de L’Ecotais avec les expositions qu’elle produit elle-même : ainsi pour Jean-Michel Fauquet à la Rotonde Balzac, Nancy Wilson-Pajic au club privé We are_, Pieter Hugo à la Sorbonne Artgallery, de grands artistes internationaux. Photo Days mobilise une bonne part de son budget pour passer des commandes artistiques aux photographes. « Le soutien à la création est pour moi fondamental et je ne pouvais pas imaginer que Photo Days voit le jour sans que nous nous engagions sur cela aux côtés des artistes. Nous finançons ces commandes, elles sont présentées au public mais nous ne demandons aucune contrepartie aux artistes, qui demeurent propriétaires de leurs œuvres ainsi réalisées. » Une pratique peu commune dans l’univers de la photographie. Rares sont les manifestations qui ne demandent pas aux photographes de leur céder quelques œuvres en retour, à commencer par les Rencontres d’Arles. Un soutien qui s’exprime aussi dans de nouvelles collaborations comme cette création in situ de Georges Rousse produite par Photo Days pour le festival Planches Contact à Deauville. Dans une débauche d’énergie, et sans soutien majeur des institutions publiques, Emmanuelle de L’Ecotais a construit une troisième édition passionnante de Photo Days. À ses côtés, INOCAP Gestion, l’Office du Tourisme et des Congrès de Paris, Van Cleef & Arpels, Tikehau Capital et, depuis cette année, la Société Générale. Mais aussi toutes les galeries participantes qui s’acquittent d’un droit d’entrée – le budget collecté grâce aux sponsors étant utilisé pour passer commande aux artistes tandis que les cotisations servent à l’organisation et à la communication.

« Photo pas photo » en préambule
En préambule de cette nouvelle édition, Photo Days croisera le chemin de Parcours Saint-Germain*, autre figure de la création contemporaine dans ce prestigieux quartier parisien. Il sera ici question de l’art contemporain, de matière et de matériaux, et de la façon dont la photographie y trouve place. « Aujourd’hui, la photographie n’est plus perçue comme une technique mais comme le prolongement de notre regard, observe Emmanuelle de L’Ecotais. Ensemble, avec Parcours Saint-Germain, nous nous sommes demandés ce qu’un artiste d’aujourd’hui pouvait réaliser en travaillant avec ce médium. Les œuvres sélectionnées suggèrent une sorte de mutation génétique de la photographie, qui s’affranchit de sa nature pour devenir une forme hybride, le mélange de modes d’expression artistique les plus variés. » Ce parcours conjoint intitulé « Photo pas photo » (du 15 octobre au 6 novembre) mettra donc en lumière des artistes qui réinventent la photographie en lui imaginant un nouveau langage, donnant naissance à des résultats totalement inattendus. L’objectif est ici aussi de faire découvrir la photographie au plus grand nombre. « C’est, dans le monde de l’art contemporain, le médium qui reste le plus accessible à tous. C’est une porte d’entrée dans le monde de l’art. C’est ainsi que je le conçois et c’est ce qui me motive chaque jour, assure-t-elle. Je reste très attentive, notamment aux jeunes générations. C’est dans la photographie, parce que les prix y sont abordables, que l’on rencontre le plus de jeunes collectionneurs. » Certains y resteront, d’autres se tourneront vers d’autres formes d’art contemporain, mais Photo Days aura tenu son rôle de vecteur d’une découverte et d’une passion artistique.
* parcoursaintgermain.com