Publié le 02 mars 2020
Temps de lecture : 4 minutes

Stephen Felton au Frac Champagne-Ardenne, Le jeu de l’amour et du hasard

TEXTEMARIE-CHARLOTTE BURAT
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« Everyone’s life is a love story ». La vie de chacun est une histoire d’amour aux yeux de Stephen Felton. Peintre américain basé à Brooklyn, cet amoureux des histoires d’amour fait le voyage jusqu’au Frac Champagne-Ardenne pour nous narrer son récit pictural.

Dans un langage entre pictogrammes et rébus, il expose du 20 mars au 31 mai sa version du sempiternel « ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ». Une exposition pensée comme un show par un artiste qui joue sur tous les tableaux.

Le hasard est bien fait. C’est lors d’une rencontre au Centre Pompidou Metz que Marie Griffay, directrice du Frac Champagne-Ardenne, fait la connaissance de Stephen Felton. Présent à l’occasion de l’exposition « Peindre la Nuit » à laquelle il participe, il donne au commissaire de l’événement Jean-Marie Gallais l’opportunité de faire les présentations. Si Marie Griffay est tout d’abord séduite par sa démarche singulière, très spontanée, à main levée entre décontraction et concentration, ainsi qu’à ses formes épurées à l’extrême, c’est finalement le Frac lui-même qui va les réunir. Depuis plusieurs années, Stephen Felton nourrit l’idée d’une exposition, un remake d’une histoire d’amour qui serait la synthèse de toutes les histoires d’amour. Un spectacle en deux actes qui s’inscrit à la perfection dans l’architecture du lieu. C’est le début d’une idylle.

«  I think everything is everything  »
Ici une vague, là un oiseau, des poissons, une baleine et là une porte puis un rayon de lune, le tout sur fond écru la plupart du temps et d’une couleur unie, avec une préférence tout de même pour les couleurs douces et primaires. Les peintures de Stephen Felton fonctionnent comme des symboles, des pictogrammes simplifiés au possible mêlant formes géométriques et tracés approximatifs. On se croirait devant un tableau d’écolier avec ce jargon juvénile et ces couleurs comme sorties d’une boîte de Crayola. Un alphabet ludique, basé sur l’évocation, l’imaginaire collectif et les représentations schématisées qui le rendent universel. On est dans le domaine du concept, le mouvement devient une flèche, la lumière un trait, et par métonymie une silhouette suffit à identifier un animal, une expression ou une émotion. Ses toiles sous-entendent au premier regard une gestuelle très libre et impulsive, presque irréfléchie. Une fois face au châssis, c’est son instinct qui mène la danse. « Je pense à quelque chose avec quoi j’aimerais jouer, et je me laisse aller dans cette direction » explique l’artiste. Tout devient inspiration, « I think everything is everything » nous dit-il, « Je pense que tout est tout », la création devient un jeu avec ses codes et ses rituels, une performance par l’acte même de peindre.

« La peinture a ses propres règles. Les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde, mais lorsque vous commencez à faire beaucoup de peintures, ces règles commencent à se montrer à vous. C’est ainsi que vous trouvez votre propre ‘voix‘ dans la peinture. J’ai entendu des gens dire que chaque peinture est le début de la suivante. Je pense que c’est vrai. C’est ce qui fait avancer les peintures » ajoute l’artiste. Avant de se mettre au travail, Stephen Felton mûrit longuement son intention, contrairement à notre première impression, puis c’est devant la toile que sa pensée se concrétise. Il décrit : « Quand je prépare une toile, c’est le meilleur moment pour imaginer ce que je veux faire. Mettre des couches de peinture sur la toile déclenche votre esprit et démarre le processus. C’est un moment vraiment important parce que vous êtes connecté physiquement avec cette peinture pour la première fois. »

L’amour est un sport de combat
Pour ce projet au Frac Champagne-Ardenne, Stephen Felton concevra ses œuvres lors d’une résidence in situ, en amont de l’exposition, et non pas dans son atelier. Une histoire d’amour en deux temps, sur les deux étages du Frac comme « un spectacle de peinture à grande échelle où je pourrais faire une peinture dans ce qui est connu comme mon style standard et une peinture dans mon style inversé. Les tableaux que j’appelle ‘tableaux à l’envers’ » nous dit-il sans plus d’explication, préférant laisser le soin aux peintures de parler d’elles-mêmes. Une histoire à double tranchant, c’est le moins qu’on puisse dire. Intitulée « Teeth in the Grass » que l’on peut traduire par « mordre la poussière », on sait déjà que l’on n’est pas au bout de nos peines avant même de débuter cette aventure amoureuse. « C’est une référence à ce qu’il reste après la fin d’un combat. Toutes les bonnes histoires d’amour ont du mal » nous explique Stephen Felton. Cette notion de « remake » ou de « refaire » est essentielle pour l’artiste comme nous l’explique Marie Griffay. Sans avoir une référence littéraire ou cinématographique particulière en tête, c’est l’ensemble de ce registre qui compose ce remake, au même titre que ses propres expériences, vécues ou relatées. « S’ouvrir à une histoire d’amour, c’est s’ouvrir à l’imprévu » ajoute Marie Griffay.

En concevant cette exposition, Stephen Felton remet en question son processus de création, il s’essaye à de nouvelles expériences et, il prend en considération l’empreinte carbone du projet, préférant se déplacer lui-même plutôt que de faire traverser l’Atlantique à chacune de ses toiles. Là encore, il joue le jeu en respectant ce pan de l’art contemporain avec ses facteurs écologiques et économiques. Il déconstruit par la même occasion ce mythe de l’artiste romantique, rappelant que peindre est une activité douce et constante, pas forcément pleine de gloire. « Honnêtement, la peinture est toujours dans mon esprit. Donc, que je travaille sur une peinture ou que je prépare des pâtes avec mes enfants, je pense toujours en quelque sorte. Que ce soit consciemment ou subconsciemment. » De quoi nous donner pleinement envie d’entrer à notre tour dans la partie.

Stephen Felton Teeth in the grass
Frac Champagne-Ardenne du 17.06.20 au 25.10.20

frac-champagneardenne.org