Publié le 03 novembre 2020
Temps de lecture : 7 minutes

Exposition « Paysage Intérieur », Par la galerie Sinople

TEXTEAmbre Allart
PHOTOSAnthony Girardi pour Sinople
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À la fois studio de création et galerie, Sinople est né en 2018 d’une rencontre entre Julien Strypsteen et Éric-Sébastien Faure-Lagorce. Après plusieurs années d’exercice dans des structures différentes mais ayant en commun la promotion des métiers d’art, les deux compères ont voulu, en créant Sinople, donner corps au discours de l’interdisciplinarité entre les arts, le design et les savoir-faire de la main. À travers une sélection fine d’œuvres et d’objets réunis pour l’exposition collective « Paysage intérieur », ils dévoilent avec une délicatesse extrême leur sensibilité commune pour la beauté du geste.

Yves-Vincent Davroux

Pourquoi avoir choisi le thème « Paysage intérieur » ? Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
Sinople : Les thèmes que nous mettons en place sont toujours étroitement liés à l’identité de Sinople. Il y a une réelle histoire derrière l’origine de ce mot – « Sinople » – et de cette histoire, nous avons tiré le fil pour imaginer des thématiques de travail. La nature était la première, elle était évidente car ça fait partie de notre sensibilité. L’origine du mot « Sinople » désigne un pigment ou une pierre que l’on vient collecter dans la nature. Pour l’acte 1 de « Collectible Nature » nous avons donc rencontré une multitude de personnes qui dans leur démarche collectaient des éléments de la nature pour créer leurs œuvres/objets ou, de façon plus intellectuelle, procédaient à une classification qui relevait de l’ordre de la collection. À partir de là, on s’est projeté sur la notion d’herbier, de musée d’histoire naturelle, etc.
« Paysage intérieur » est le volet 2 de « Collectible Nature ». Il est lié à la notion d’enfermement, à l’idée d’avoir des réminiscences du paysage et donc de développer une dimension psychique du paysage en l’intériorisant.

Au cours de nos quinze années d’expérience dans le milieu, lors desquelles nous étions en permanence en « mode veille », nous avons identifié de très nombreux artistes et artisans. Nous avons déjà été amenés à travailler avec certains d’entre eux dans le cadre de nos fonctions précédentes ou dans le cadre de la partie studio de Sinople.

On a effectué un travail de sélection dans leurs travaux pour que chacun des projets présentés relève, d’une manière ou d’une autre, d’une interprétation de la notion de paysage de façon visuelle.

Atelier Polyhedre

Avec certaines personnes – comme avec l’Atelier Polyhedre – vous avez passé des commandes personnalisées plutôt que de sélectionner dans leurs œuvres existantes, qu’est-ce qui a motivé cette envie ?
L’idée de la commande est venue d’une envie de s’exprimer chez Sinople. Quand on a créé cette société c’est parce que l’un et l’autre étaient bercés depuis quelques années déjà dans un secteur qui portait un message autour de la création artistique contemporaine, qui est celle d’une interdisciplinarité entre les arts, le design et les métiers d’art. On était porteur de ce message mais on avait une seule envie réelle qui était d’être au cœur de l’atelier. La commande est une façon pour nous d’être un acteur de ces rencontres créatives qui donnent naissance à des projets.
Avec l’Atelier Polyhedre, on a senti qu’il y avait des croisements possibles. Il y a un énorme rapport entre nature et architecture dans notre exposition et ce lien est très fort chez eux. Il n’était pas forcément question de commande à l’origine mais on a finalement établi une relation plus profonde avec eux. Ils nous ont tout de suite parlé du Japon car ils ont été en résidence à la Villa Kujoyama* et ils nous ont proposé des pistes. De notre côté, nous leur avons expliqué la façon dont on voulait monter l’exposition. De là sont venues deux propositions d’ « ensembles vases » auxquelles on a adhéré immédiatement.

Il y a d’autres sortes de commandes comme avec l’architecte Hugo Haas, qui a pensé avec nous la scénographie de l’espace d’exposition, et l’Atelier Chatersen. Arnaud Mainardi (Atelier Chatersen) a une technique très traditionnelle de transformation des branches de châtaigner en mobilier. C’est un métier en voie de modernisation. Nous lui avons fait rencontrer Hugo Haas en partant du principe qu’on voulait mettre au point des éléments de mobilier d’exposition qui ne seraient pas jetés. Ils ont accepté le défi. On a suivi le projet et ça a donné naissance à une table de travail, qui est éditée par Sinople et qui sera proposée à la vente.

Vous présentez comme une œuvre à part entière un parfum de Aoiro, un studio de design olfactif. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce parfum ?
Le parfum que nous présentons fait partie de leur gamme Hakudo, inspirée du Kōdō, une cérémonie traditionnelle japonaise d’appréciation du parfum. Il s’agit d’une senteur qui évoque un paysage. Quand nous avons eu Hakudo en main ça a été une évidence pour nous, ça pouvait être l’identité olfactive de l’exposition. C’était un territoire imaginaire qui nous plaisait beaucoup et les senteurs correspondaient en tous points au projet global et pouvaient être associées également à chacune des œuvres de l’exposition. On aimerait dans le futur aller plus loin avec Aoiro, mais développer un parfum s’inscrit sur un temps très long.
On nous fait souvent la remarque de cette curiosité que l’on peut représenter pour certains en n’hésitant pas une minute à associer ce que les gens classeraient dans l’art contemporain à des objets fonctionnels et à d’autres formes de pratiques, sans aucune hiérarchie. Le parfum incarne ça. Quelles que soient la pratique et l’œuvre produite, en fin de compte, les personnes que l’on expose sont toutes parties, à un moment, d’une représentation du paysage que leur imaginaire a complètement absorbée, transformée et retranscrite en un objet, une œuvre, une odeur pour susciter chez quelqu’un la sensation d’une beauté esthétique immédiate.

Zoom sur quelques artistes de l’exposition « Paysage intérieur » :

Sylvain Rieu-Piquet 
« Sylvain a une formation de designer mais il a d’abord une pratique du dessin. Cette pratique du dessin est chez lui très obsessionnelle, très méticuleuse, et à la fois un peu exubérante avec un dessin extrêmement dense qui relève presque parfois de la performance ou de l’écriture automatique.
Son lien à la matière est très instinctif et il y a à peu près deux ans il s’est mis à la céramique. Dans sa pratique, il part d’un bloc de terre et développe une forme très organique qu’il va par la suite entièrement graver. De cette façon, il  transpose sa pratique du dessin sur la forme, jusqu’à la couvrir complètement. Ensuite il y a tout un travail de l’émail. La pièce que nous exposons a la particularité d’associer les émaux à de la poudre de métaux. Comme il n’a pas de formation de céramiste, il est très libre et n’hésite pas à prendre des risques assez spectaculaires sur la cuisson, la taille des pièces ou les émaux justement… »

Léa Barbazanges
« Le principe des œuvres de Léa Barbazanges est de réaliser des assemblages pour révéler la beauté naturelle d’éléments qu’elle va glaner dans la nature. C’est ce qu’elle appelle le ‘graphisme naturel’. Nous présentons chez Sinople deux types de travaux :
Le premier est un travail autour de la fougère pour lequel elle a collaboré avec un artisan carrossier d’art qui restaure des véhicules de collection. Ils ont mis au point une technique qui permet de réaliser une sorte d’empreinte fossile de la fougère dans de l’aluminium. L’idée est de rendre compte du graphisme de cette fougère. Le fait de la ‘fossiliser’ ramène à une pratique du dessin et permet ainsi de voir le moindre détail de la fougère, que ce soit dans la symétrie, les nervures, les spores… Ce sont vraiment des fossiles contemporains. Ces fougères sont une exclusivité à Sinople.
Nous allons aussi exposer des cristaux qu’elle développe sur des plaques de verre. Il y a deux variétés de cristaux : ceux qui laissent passer la lumière et ceux qui la réfléchissent. Dans les deux cas, il s’agit de révéler le graphisme naturel des phénomènes de calcification de l’eau qui donnent des agglomérats de cristaux qui vont s’organiser de manière physique pour créer des motifs et de la matière. Le résultat s’apparente presque à de la plume ou de la fourrure, c’est en cela un travail assez troublant. »

Marion Chopineau
« À l’origine Marion est designer textile, elle travaille avec de grandes maisons de couture, ce qui l’a amenée à une technique qu’elle développe aujourd’hui à des fins plus artistiques à savoir de la sculpture sur peau. Toutes les œuvres qui naissent de cette technique sont travaillées sur des peaux qui viennent de Mongolie car là-bas chaque famille possède une horde de chevaux élevés à l’état sauvage. À l’entrée de l’hiver, certains chevaux sont mangés de façon rituelle ce qui représente une certaine quantité de peaux à l’échelle de la Mongolie. Or, celles-ci ne sont plus transformées alors qu’avant, naturellement, elles étaient transformées et tannées. Aujourd’hui, c’est devenu un rebus alimentaire. Marion avec sa technique de sculpture sur peau va venir sculpter un paysage qui raconte ce lien entre l’homme, la nature et l’animal en Mongolie. Cela donne lieu à la série ‘Nomade’. Les motifs représentent des paysages, ou des motifs plus animaux comme la plume par exemple. Elle retranscrit sa propre intériorisation du paysage sur l’un des premiers supports sur lequel l’homme pouvait s’exprimer. Ses motifs sont très proches de l’art pariétal, il y a quelque chose de très archaïque dans ses dessins. »

Martine Rey
« Martine Rey a été résidente à la Villa Kujoyama. C’est une dame qui a appris la laque Urushi – la laque traditionnelle végétale japonaise – lorsqu’elle étudiait les beaux-arts à Kyoto. C’est vraiment quelqu’un qui se démarque dans sa pratique car elle n’a pas du tout employé la laque à des fins décoratives. Très vite, elle est entrée dans une pratique plus expérimentale et artistique où elle venait par exemple recouvrir de laque des morceaux de bois qu’elle glanait dans la forêt et qui portaient les stigmates des vers qui les avaient rongés. Elle a aussi fait une performance à la Villa Kujoyama où elle venait laquer des arbres qui avaient été coupés. La laque n’est pas là pour embellir l’objet mais vient plutôt accentuer un détail et raconter la vie de cet objet là. Il y a deux ans, elle a voulu expérimenter une nouvelle technique en venant déposer de la laque sur de l’eau pour générer un motif naturel de l’ordre des fractales. Cette technique s’inspire d’une autre technique japonaise d’impression qui s’appelle le ‘Suminagashi’ ; il s’agit de déposer de l’encre sur de l’eau, l’encre flotte, on dessine un motif sur l’eau et en posant une feuille de papier sur l’eau, le motif va s’y imprimer. Martine a développé une technique qui s’appelle ‘Urushinagashi’ – qui est le mélange de la laque et de la technique du ‘Suminagashi’ – pour imprimer ce qui est présenté chez Sinople, c’est-à-dire des motifs présentés sur un espace circulaire, qu’elle a appelés ‘cosmographie’. Dans toutes ces variations de motifs on va retrouver différents paysages qui peuvent être une interprétation du cosmos. Au Japon son travail est très reconnu, jamais aucun laqueur japonais n’a eu l’audace d’utiliser la laque de cette façon. »

* La Villa Kujoyama est un établissement artistique français, situé sur le mont Higashi à Kyoto et destiné à l’accueil en résidence d’artistes et de créateurs français.

« Paysage intérieur » – Réouverture le 28 novembre, jusqu’au 30 décembre.
21-23 rue des Filles du Calvaire
75003 Paris
(fond de cour gauche)

Du lundi au vendredi : 9H30 à 20H30
Samedi : 10H à 20H
Dimanche  : 11H à 19H
Samedi & dimanche : demander le code d’accès à contact@sinople.paris

www.sinople.paris
instagram.com/sinople.paris
catalogue d’exposition 

Julien Strypsteen & Éric-Sébastien Faure-Lagorce © Sophie Soudoplatoff