Imaginer. Un froissement de taffetas, un reflet d’étoffe moirée, des dentelles empesées, des velours duveteux. Du luxe, un temps passé. L’art du portrait peint. Fermer les yeux. Puis les rouvrir, au XXIe siècle. Des déchets à foison, un climat qui se réchauffe, la photographie omniprésente, la mise en scène permanente. Tout semble si loin, et si contemporain. Suzanne Jongmans en a fait de l’art, en trompe-l’œil.
Artiste pluridisciplinaire, Suzanne Jongmans compose des portraits photographiques qui s’inscrivent visuellement dans la lignée des grands peintres hollandais des XVe, XVIe et XVIIe siècles, rappelant les œuvres d’Holbein le Jeune ou de Rembrandt, aux compositions et aux jeux de lumière particulièrement élaborés. Mais à y regarder de plus près, on découvre un travail résolument contemporain, tant sur le fond que sur la forme. Chacune de ses photographies s’inscrit dans un long processus : « Mon inspiration se traduit de différentes manières, à travers les matériaux, l’expression du personnage et le titre de l’œuvre. Je conçois et réalise tout ce que vous voyez dans l’image finale, cela peut prendre plusieurs semaines, parfois des mois. Je fais des recherches dans des livres présentant des œuvres de vieux maîtres et quand une idée est née, qu’une image me vient à l’esprit, je l’explore, je trouve le matériel, puis je commence à construire un costume sur un mannequin jusqu’à ce que quelque chose soit là. » Vient ensuite la sélection, primordiale, du modèle : « Je cherche toujours des visages qui m’intriguent.
Les modèles sont souvent des personnes proches, des amis, des amis d’amis, de la famille, mais aussi des gens que je rencontre ou que je vois dans la rue, qui ont une apparence qui me parle. » L’acte principal de la composition se joue devant l’appareil photographique de Suzanne Jongmans. « Je prends des photos du modèle, plusieurs centaines de détails de chaque détail, ainsi le modèle oublie presque que je suis là, en train de tourner en moi-même à la recherche d’une sorte de moment magique. Enfin, je monte ce matériel photographique dans l’ordinateur. C’est à ce moment-là que tous les composants, aussi précis que possible, se marient et s’emboîtent. » Et concernant l’utilisation de nos déchets modernes dans ses œuvres, l’artiste livre un discours plus empreint d’une douce philosophie que de leçons d’écologie : « Je suis une collectionneuse. J’adore le fait que certains objets ou matériaux trouvés (plastiques, mousses, vieilles couvertures de laine, choses de la nature…) aient déjà eu une vie antérieure et racontent une histoire en eux-mêmes. Je prends ces matériaux et les ajoute à mon histoire, ce qui crée automatiquement un dialogue dans le temps. »
Par ce travail de récupération, Suzanne Jongmans propose « une façon de regarder les choses autrement ». Mais comment envisage-t-elle la pérennité de ses créations dans les siècles à venir ? « Je ne sais pas si mon travail sera perçu comme ayant changé l’art, mais peut-être aura-t-il un impact sur la manière d’envisager l’assemblage des œuvres. »