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Théo Coutanceau Domini, Concevoir l’espace en fonction du mode de vie

À travers sa pratique, Theo Coutanceau Domini nous invite à conscientiser notre environnement et notre place en son sein. Présentation du projet Stone House, atelier et domicile de l’architecte.

Diplômé de l’ENSAP de Bordeaux en 2016, Theo Coutanceau Domini part à la recherche du beau dans l’obscur par le biais de stages avec le photographe japonais Hisao Suzuki, personnalité de l’architecture contemporaine. Cette rencontre sera le point de départ de nombreux voyages photographiques avec l’architecture comme sujet central. Il voyage en Europe et notamment en Espagne où il s’installe plusieurs mois dans le quartier troglodyte de l’alto Albaicín de Grenade en Andalousie. Il s’intéresse alors aux architectures vernaculaires et aux modes de vie traditionnels théorisés par Bernard Rudofsky et André Ravéreau, architectes américains et français qui ont chercher à créer du lien entre architecture et culture. Lors de ses voyages, Theo Coutanceau Domini réalise des clichés et reportages des architectures qui l’émeuvent. Très vite sa démarche lui ouvre de belles collaborations et ses reportages sont publiés dans des ouvrages monographiques pour Rudy Ricciotti, Antonio Jimenez Torrecillas ou encore le collectif RCR Arquitectes avec qui il restera en relation. Il passera plusieurs séjours à leurs côtés notamment au milieu des volcans de la Garrotxa à Olot (Catalogne) entouré d’artistes, chorégraphes, scénographes et architectes pour interroger la place de l’art, du corps et des sens dans l’architecture et le paysage.

Grâce à la visibilité que lui ont apporté ses photographies, Theo Coutanceau Domini va commencer à recevoir de petites commissions lui permettant de développer son activité d’architecte. En même temps il conçoit du mobilier pour son propre compte.

En 2020, avec sa compagne architecte et parfumeuse Daphné Lesfauries, il achète une ancienne maison de ville en pierres dans le quartier historique du Sacré Cœur de Bordeaux. Ils vont faire de cet espace peu volumineux, soit 70m², un atelier pour la création de leurs projets ainsi que leur lieu de vie.

Leur souhait pour ce projet nommé Sacré Cœur, Stone House : pousser la matérialité vers son état le plus brut et dessiner un espace qui suscite un mode de vie simple et épuré. Aucune frontière, pas de porte, les espaces s’enchaînent, les éléments techniques sont masqués pour effacer la référence domestique.

Stone House est un projet complet, dessiné jusqu’au mobilier et réalisé en étroite collaboration avec des artisans pour du sur-mesure – L’espace et les objets étant fabriqués dans le même temps. Avec pour référence Carl Andre, artiste minimaliste américain, des formes très simples viennent dessiner cet intérieur afin de laisser la pierre, « l’enveloppe du projet », s’exprimer.

Malgré une surface au sol déjà restreinte, les planchers du niveau supérieur ont été découpés, renonçant à quelques mètres carrés pour dilater la sensation d’espace et donner plus de place à la lumière.

La décoration étant inhérente à l’enveloppe, c’est finalement la vie qui se déploie dans ces espaces qui permet d’animer le projet.

Avec la conception et la réalisation du projet Stone House, Theo Coutanceau Domini s’est constitué sa première référence d’espace. Aujourd’hui de beaux projets sont en cours dont un appartement à Paris, une maison et une boutique à Bordeaux ainsi que du mobilier.

Dans ses créations, la notion de matérialité s’exprime à travers une utilisation dosée des matériaux afin de ne pas surcharger leur lecture et ainsi exprimer le maximum de chaque élément. Il s’agit de soustraire plutôt que d’ajouter, la matière est à la fois le point de départ et la finition du projet.

Afin de garder un lien avec l’environnement et la nature, la maison a été imaginée pour vivre au rythme de la lumière naturelle. Tout en explorant la beauté de la pénombre et des cycles journaliers, la lumière artificielle est, quant à elle, minimisée et dissimulée.

Plus qu’un style architectural c’est l’expression d’une attitude, d’une posture et d’une façon de voir les choses.

Theo Coutanceau Domini interroge en fait « la place du corps comme lieu de perception, de pensée et de conscience ». Ses projets sont conçus en fonction du mode de vie et non comme un simple environnement esthétique. Une écriture totale du projet – en tenant le fil conducteur de l’esquisse jusqu’au mobilier voir jusqu’aux fournitures – est alors nécessaire pour que cela fasse sens.

Plutôt casanier, Theo Coutanceau Domini fait souvent les mêmes voyages afin de réellement décortiquer son environnement et s’en imprégner. Sa profession est son quotidien, selon lui « les projets naissent dans l’intensité et la passion ». C’est aussi comme cela qu’il compose ses voyages et à l’image de sa maison de pierre qui est aussi son atelier, « l’idée est d’en faire le moins possible mais le mieux ».

Entre la terre et le ciel, La Closerie.

Construire une maison d’habitation et un chai sur une parcelle contrainte, au pied des vignes. Un désir profond pour le vigneron Jérôme Prévost – si attaché à sa terre –, mais aussi un défi, qu’a relevé l’architecte Jean-Philippe Thomas.

Les racines
L’histoire est belle. Familiale, avec sa part de hasard, beaucoup d’envie et un attachement puissant à la terre, à une petite parcelle, Les Béguines, située à Gueux, à proximité de Reims. Selon toute logique, Jérôme Prévost n’aurait pas dû être vigneron. Rien ne l’y prédestinait vraiment. Cette terre à laquelle il est tant attaché, il la tient de sa grand-mère. Polonaise, elle fuyait les combats qui ont ravagé son pays au cours de la Première guerre mondiale. Elle fuit et arrive là, à Gueux. Elle y trouve un verger et s’y établit, dans une « baraque », assez rudimentaire. C’est elle qui a fait planter la vigne. « Ma grand-mère n’était pas vigneronne, précise Jérôme Prévost. Le raisin était récolté par un vigneron des environs, qui avait cette parcelle en fermage. Elle n’était pas du milieu viticole. »

Du milieu viticole, Jérôme Prévost quant à lui le devint lorsqu’il se lança, à 20 ans. « Au début, je dois le reconnaître, c’était surtout pour moi un moyen de fuir l’école, dit-il dans un sourire. J’ai donc fait une formation viticole. Ensuite, j’ai mis 10 ans pour apprendre à faire du vin. Travailler une vigne et faire du vin, ce sont deux choses différentes. » Sa première récolte de vigneron, avec les vignes de sa grand-mère, date de 1987. Il attendra 1999 pour sortir son premier millésime. La Closerie – c’est le nom de sa maison de Champagne – ne propose que deux cuvées : « Les Béguines », la même depuis le début de l’exploitation, à laquelle s’est ajouté plus récemment un champagne rosé, « Fac similé ». Jérôme Prévost est modeste mais la qualité de son travail est bien reconnue. La Revue des vins de France lui octroie un 15/20 pour « Les Béguines », le guide du très célèbre Robert Parker poussant l’hommage à la quasi-perfection avec une note de 98/100.

Maison et chai, vue sur vignes
Voici quelques années, Jérôme Prévost rencontre l’architecte Jean-Philippe Thomas. Il a l’idée de construire un bâtiment pour y entreposer les fûts. Le projet n’aboutit pas, mais le vigneron a une autre idée : rassembler en un même endroit, sur sa parcelle de vignes, sa maison d’habitation et le chai.  « J’aimais ces échanges avec Jean-Philippe Thomas, la façon dont il produit des bâtiments très simples dans leur conception, vraiment fonctionnels. J’aimais aussi son travail sur l’épure, cette volonté de ne pas faire du beau pour le beau ». C’est un challenge. Il faut construire là, sur le site, en contrebas des vignes, avec des limites de propriété, à l’emplacement de l’ancienne « baraque » de la grand-mère de Jérôme Prévost. Les deux hommes s’entendent assez rapidement pour donner naissance à ce bâtiment en L, situé à 3 mètres des vignes. L’ensemble est brut, posé en retrait du mur d’enceinte existant. De larges baies vitrées s’ouvrent vers le Sud sur les vignes. Le bardage est bois. La toiture en zinc noir, avec un débord pour protéger l’habitation des ardeurs du soleil d’été. « Il y a là toute une recherche dans ce lien entre intérieur et extérieur, que ce soit pour la maison ou pour le chai, souligne Jérôme Prévost. On aime ou on n’aime pas, c’est un lieu qui ne laisse pas indifférent. Mais ça me plaît. Il y a dans le projet de Jean-Philippe Thomas l’idée de ne pas faire seulement un ensemble architectural agréable au regard. C’est une expérience qu’il nous propose. »

La plupart des gens qui visitent le chai expliquent y trouver une atmosphère, une quiétude et un rapport intime à la nature proches de l’image qu’ils ont des pays scandinaves, ou du Japon. « C’est ce que nous voulions, se réjouit Jérôme Prévost, une certaine épure qui puisse se marier avec le paysage. Au début, je dois l’avouer, j’étais un peu inquiet lorsque Jean-Philippe Thomas m’a proposé d’utiliser un zinc et un bois noirs. Je craignais que la présence du bâtiment ne soit trop marquée sur le site. Or, c’est tout le contraire qui se produit. Il se confond entièrement avec le paysage.  Tout s’estompe, il s’oublie. On a là un ensemble qui n’est absolument pas démonstratif. » Le bois du bâti, comme un écho à celui des fûts dans lesquels sont exclusivement entreposés les vins de La Closerie. Du chai, lorsque s’ouvre la baie vitrée, la vigne est là, à quelques mètres. Tout près. Omniprésente, que l’on soit au chai ou dans la partie habitation. « C’était quelque chose qui m’inquiétait un peu. Je passe le plus de temps possible dans les vignes, j’adore ça. Mais tout mon projet était centré sur la proximité avec la vigne. Et le travail du vigneron, ce sont aussi des coups durs qui vous tombent dessus, la maladie, la gelée… Je crois que j’appréhendais d’avoir la vigne toujours sous les yeux. En fait, c’est génial ! ».

La Comédie de Reims : un exemple de l’architecture brutaliste française

La Comédie de Reims, lieu emblématique de la vie culturelle rémoise, célébrait en 2019 ses 50 ans. Si elle est aujourd’hui un lieu bien vivant de travail et de spectacle, elle offre aussi un double témoignage : celui d’un moment charnière dans l’évolution des politiques culturelles françaises et celui d’un mouvement architectural de première importance, le brutalisme. 

Comme chacune des Maisons de la Culture édifiées en France dès 1961, celle de Reims – devenue plus tard La Comédie, centre dramatique national de Reims – s’inscrivait dans la politique de démocratisation et de décentralisation de la culture initiée par André Malraux. Ces structures multidisciplinaires, en constituant un réseau sur tout le territoire, devaient permettre au plus large public, et non plus seulement aux parisiens, l ’accès aux « œuvres capitales de l’humanité ». Espaces de confrontation avec les arts, les Maisons de la Culture étaient aussi envisagées comme des lieux de rencontre et d ’échange – un esprit d ’ouverture que souhaite perpétuer la nouvelle directrice de la Comédie, Chloé Dabert, en faisant de cet établissement une « maison pour les artistes et les publics ».

C’est à partir de 1966 que la Maison de la Culture de Reims fut construite. L’État et le maire de la ville de Reims de l’époque, Jean Taittinger, firent appel à l’architecte Jean Le Couteur, qui imagina un bâtiment à l ’âme brutaliste.
Apparu dans les années 50, après-guerre, le brutalisme répondait à une volonté architecturale de modernité et de vérité. Cela se traduisait par la suppression de l’ornement et l’utilisation de matériaux bruts. « Il n’y a plus de langage qui rappelle les architectures antérieures, explique Giovanni Pace, architecte et président de la Maison de l’Architecture de Champagne-Ardenne. Ce courant a été magnifié par l’usage du béton armé, un matériau assez magique puisqu’il permet d’exprimer une architecture quasi sculpturale grâce à la technique du coffrage. C’est selon cette technique qu’a été construite la Maison de la Culture de Reims. On voit d’ailleurs les empreintes laissées dans le béton par les planches qui, placées les unes à coté des autres, formaient le moule. »
L’identité de l’édifice de la Comédie de Reims ne repose cependant pas seulement sur le béton, elle tient aussi à la brique qui recouvre les façades, « un autre matériau brut, dans le sens où il n’est ni enduit, ni recouvert par de la pierre. Les brutalistes privilégiaient le béton, la brique, et l’acier Corten – un acier qui rouille – car ce sont des matériaux qui gardent les traces des dégoulinures et du temps qui passe. Les brutalistes voulaient faire en sorte que le bâtiment vive et montrer la matière telle qu’elle était, avec ses qualités et ses défauts. On ne cachait rien et l’on revenait à l’essentiel. On ne peut plus rien enlever dans le brutalisme. »

Bien que la Maison de la Culture de Reims ait été bâtie dans la plus pure tradition brutaliste, Jean Le Couteur, son architecte, n’a pourtant jamais revendiqué son appartenance à une tendance. Son œuvre, extrêmement diverse, est davantage marquée par le rejet de toute idée préconçue et par l ’empirisme dont il fait preuve pour chaque projet, que par l’utilisation de certains matériaux ou techniques constructives.

Pour la Maison de la Culture de Reims, il a conçu un bâtiment aux volumes généreux, imbriqués et polyvalents, articulés autour d’un foyer central. « La Comédie rappelle les formes courbes d’Alvar Aalto, souligne Giovanni Pace. Alvar Aalto était un architecte finlandais qui s’est beaucoup inspiré de la nature. Elle est conçue de façon organique, c’est-à-dire par petits bouts, comme si l’on mettait des organes les uns à coté des autres pour que le bâtiment prenne vie. C’est une architecture qui donne l’impression que l’air passe. Ce n’est pas un bloc, ça vit. »

Un sentiment de vie accentué par le jeu de lumière qui baigne l’intérieur du bâtiment. « Jean Le Couteur a traité les façades avec des trames en béton de grande hauteur, sortes de vantelles verticales, qui permettent d ’amener une lumière filtrée. Cela donne un bâtiment fait d’ombres et de lumière. Le foyer est déjà un théâtre en soi. »

Le bâtiment répond à un désir de pureté, d’honnêteté de la structure et de la matière, à la fois propre au brutalisme mais aussi caractéristique de l’ensemble de l ’œuvre de Jean Le Couteur. Disparu peu après les années 70, le brutalisme reste aujourd’hui un courant architectural très important – puisque reflet de son temps – ainsi qu’une grande source d ’inspiration pour les architectes de notre époque sensibles à l’esthétique minimaliste.

La Comédie – Centre dramatique national de Reims
3 Chaussée Bocquaine, 51100 Reims
lacomediedereims.fr

O-S Architectes au théâtre de Cachan

Une tournure d’esprit qui tient plus du constructeur que de l’artiste, voilà ce qui pourrait résumer la philosophie du trio de jeunes hommes à la tête des « Ateliers O-S Architectes ». Depuis 2002 Vincent Baur, Guillaume Colboc et Gaël Le Nouëne multiplient les projets ambitieux particulièrement remarqués, avec une constante énergie à créer des volumes à l’échelle humaine et pensés avant tout pour l’usager. Au dernier trimestre 2018 après quatre ans de travaux, ils livraient aux habitants de Cachan un théâtre entièrement réhabilité. 

C’est au programme Erasmus que les « Ateliers O-S Architectes » doivent leur existence. Un séjour d’étude à Rotterdam réunit les trois architectes qui jusqu’alors suivaient leurs études respectivement à Paris, Montpellier et Lille. « Nous nous sommes retrouvés autour de valeurs communes : la sobriété, la rigueur, l’exigence, l’envie d’être inventifs, de développer une architecture de qualité et en même temps une architecture d’auteurs », explique Gaël Le Nouëne.

Retour à Paris en 2007 où ils s’associent pour créer leur société. Le temps de se rôder via de multiples concours internationaux et en 2011 l’agence est nominée au Prix de la Première œuvre du Moniteur avec le projet des « Decks Bleus », 39 logements à Chalon-sur-Saône. En 2014, le trio reçoit le prix « Europe 40 Under 40 », organisé par l’European Centre for Architecture Art Design and Urban Studies et le Chicago Athenaeum Museum of Architecture and Design, récompensant les 40 architectes de moins de 40 ans les plus prometteurs en Europe.

« Nous travaillons sur plans bien sûr mais nous sommes surtout des constructeurs dans le sens où nous aimons particulièrement suivre le chantier sur le terrain et contrôler les phases de A à Z », précise l’architecte.

L’agence qui compte maintenant une dizaine de personnes, s’attache avant tout dans les différents projets menés à valoriser l’usager, à en faire un véritable acteur au sein d’une architecture réactive et évolutive. « Pour être fonctionnel, le bâtiment doit être logique quant à sa conception et son orientation solaire par exemple. Et bien entendu, le respect de l’environnement est la base, nous sommes d’une génération qui a intégré ces notions ainsi que l’usage des matériaux biosourcés ou de récupération. Ce n’est pas un slogan que nous mettons en avant mais cela fait partie des fondamentaux. »

En continuité avec l’espace public
Projet marquant et particulièrement remarqué des Atelier O-S : le théâtre Jacques-Carat que les habitants de Cachan ont retrouvé en septembre 2018 après quatre années de travaux de réhabilitation. « Nous avons remporté le concours en 2011 et notre parti pris a été de conserver la cage de scène qui a une histoire forte et de construire une nouvelle structure tout autour » note Gaël Le Nouëne.

Une salle principale rénovée, la création d’une seconde salle plus petite, des espaces de répétition, un lieu d’exposition, une cafétéria… : « tous ces éléments sont comme enveloppés par une nouvelle façade qui vient les unifier, qui coiffe le bâtiment comme un rideau de scène. » Les pierres moulées aux couleurs chaudes constituant cette façade offrent un relief ajouré qui se joue de la lumière créant des jeux de moucharabieh.

Le bâtiment est pensé comme un lieu de vie, avec en point d’orgue un grand foyer en béton brut et bois, ouvert sur la ville et conçu pour accueillir un large public et pas seulement les spectateurs. « Le foyer est une continuité de l’espace public, il est connecté à la rue, ouvert sur l’extérieur et relie tous les espaces du théâtre. Nous l’avons voulu comme une agora, un lieu de passage et de rencontre. »

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