Publié le 07 octobre 2021
Temps de lecture : 4 minutes

Entre la terre et le ciel, La Closerie.

TEXTECYRILLE JOUANNO
PHOTOSBENOÎT PELLETIER
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Construire une maison d’habitation et un chai sur une parcelle contrainte, au pied des vignes. Un désir profond pour le vigneron Jérôme Prévost – si attaché à sa terre –, mais aussi un défi, qu’a relevé l’architecte Jean-Philippe Thomas.

Les racines
L’histoire est belle. Familiale, avec sa part de hasard, beaucoup d’envie et un attachement puissant à la terre, à une petite parcelle, Les Béguines, située à Gueux, à proximité de Reims. Selon toute logique, Jérôme Prévost n’aurait pas dû être vigneron. Rien ne l’y prédestinait vraiment. Cette terre à laquelle il est tant attaché, il la tient de sa grand-mère. Polonaise, elle fuyait les combats qui ont ravagé son pays au cours de la Première guerre mondiale. Elle fuit et arrive là, à Gueux. Elle y trouve un verger et s’y établit, dans une « baraque », assez rudimentaire. C’est elle qui a fait planter la vigne. « Ma grand-mère n’était pas vigneronne, précise Jérôme Prévost. Le raisin était récolté par un vigneron des environs, qui avait cette parcelle en fermage. Elle n’était pas du milieu viticole. »

Du milieu viticole, Jérôme Prévost quant à lui le devint lorsqu’il se lança, à 20 ans. « Au début, je dois le reconnaître, c’était surtout pour moi un moyen de fuir l’école, dit-il dans un sourire. J’ai donc fait une formation viticole. Ensuite, j’ai mis 10 ans pour apprendre à faire du vin. Travailler une vigne et faire du vin, ce sont deux choses différentes. » Sa première récolte de vigneron, avec les vignes de sa grand-mère, date de 1987. Il attendra 1999 pour sortir son premier millésime. La Closerie – c’est le nom de sa maison de Champagne – ne propose que deux cuvées : « Les Béguines », la même depuis le début de l’exploitation, à laquelle s’est ajouté plus récemment un champagne rosé, « Fac similé ». Jérôme Prévost est modeste mais la qualité de son travail est bien reconnue. La Revue des vins de France lui octroie un 15/20 pour « Les Béguines », le guide du très célèbre Robert Parker poussant l’hommage à la quasi-perfection avec une note de 98/100.

Maison et chai, vue sur vignes
Voici quelques années, Jérôme Prévost rencontre l’architecte Jean-Philippe Thomas. Il a l’idée de construire un bâtiment pour y entreposer les fûts. Le projet n’aboutit pas, mais le vigneron a une autre idée : rassembler en un même endroit, sur sa parcelle de vignes, sa maison d’habitation et le chai.  « J’aimais ces échanges avec Jean-Philippe Thomas, la façon dont il produit des bâtiments très simples dans leur conception, vraiment fonctionnels. J’aimais aussi son travail sur l’épure, cette volonté de ne pas faire du beau pour le beau ». C’est un challenge. Il faut construire là, sur le site, en contrebas des vignes, avec des limites de propriété, à l’emplacement de l’ancienne « baraque » de la grand-mère de Jérôme Prévost. Les deux hommes s’entendent assez rapidement pour donner naissance à ce bâtiment en L, situé à 3 mètres des vignes. L’ensemble est brut, posé en retrait du mur d’enceinte existant. De larges baies vitrées s’ouvrent vers le Sud sur les vignes. Le bardage est bois. La toiture en zinc noir, avec un débord pour protéger l’habitation des ardeurs du soleil d’été. « Il y a là toute une recherche dans ce lien entre intérieur et extérieur, que ce soit pour la maison ou pour le chai, souligne Jérôme Prévost. On aime ou on n’aime pas, c’est un lieu qui ne laisse pas indifférent. Mais ça me plaît. Il y a dans le projet de Jean-Philippe Thomas l’idée de ne pas faire seulement un ensemble architectural agréable au regard. C’est une expérience qu’il nous propose. »

La plupart des gens qui visitent le chai expliquent y trouver une atmosphère, une quiétude et un rapport intime à la nature proches de l’image qu’ils ont des pays scandinaves, ou du Japon. « C’est ce que nous voulions, se réjouit Jérôme Prévost, une certaine épure qui puisse se marier avec le paysage. Au début, je dois l’avouer, j’étais un peu inquiet lorsque Jean-Philippe Thomas m’a proposé d’utiliser un zinc et un bois noirs. Je craignais que la présence du bâtiment ne soit trop marquée sur le site. Or, c’est tout le contraire qui se produit. Il se confond entièrement avec le paysage.  Tout s’estompe, il s’oublie. On a là un ensemble qui n’est absolument pas démonstratif. » Le bois du bâti, comme un écho à celui des fûts dans lesquels sont exclusivement entreposés les vins de La Closerie. Du chai, lorsque s’ouvre la baie vitrée, la vigne est là, à quelques mètres. Tout près. Omniprésente, que l’on soit au chai ou dans la partie habitation. « C’était quelque chose qui m’inquiétait un peu. Je passe le plus de temps possible dans les vignes, j’adore ça. Mais tout mon projet était centré sur la proximité avec la vigne. Et le travail du vigneron, ce sont aussi des coups durs qui vous tombent dessus, la maladie, la gelée… Je crois que j’appréhendais d’avoir la vigne toujours sous les yeux. En fait, c’est génial ! ».