La photographe italienne, installée à Paris, nous entraîne dans ses pérégrinations au cœur de la jungle de Paranapiacaba, au Brésil, où s’entremêlent rêve et réalité, texture et contraste, sensibilité et poésie.
Le portfolio de Costanza Gastaldi nous fait cheminer de paysages en atmosphères, d’histoires en mystères. Cette ancienne diplômée de l’école des Gobelins et d’un master en sciences des arts et des lettres à l’université de la Sorbonne est parvenue en seulement cinq ans à se faire un nom sur la scène photographique.
Ses œuvres procèdent d’une fusion entre tradition et innovation. Celle qui souffle cette année ses trente printemps est une adepte de l’héliogravure, une technique du XIXe. Ce procédé d’impression, dont le principe est de produire une image à partir d’une matrice en cuivre, elle-même gravée par la lumière, permet une restitution très délicate avec une profondeur particulière. Sa mise en œuvre nécessite un savoir-faire exceptionnel et assez rare. « Je l’affectionne particulièrement car elle remet en valeur l’artisanat, souvent oublié dans la photo, explique-t-elle. Sur certaines images, je recolorise à la main et j’emploie en moyenne 25 heures pour chacune d’elles avec l’aquarelle. J’accorde une importance capitale à la matérialité, comme les papiers rares pour restituer le concept de chaque série. » Avoir recours à ce procédé a un coût très élevé. Choisir cette voie est une vraie preuve d’engagement de la part de l’artiste qui doit mobiliser beaucoup de moyens.
Entre onirisme et réalisme
C’est tout le savoir-faire de Costanza Gastaldi que de mêler onirisme et réalisme en une seule image. Capturer tout à la fois la beauté, l’étrangeté et le mystère des environnements luxuriants, montagneux, collinaires ou glacés. Ses séries The Loto Nero, Loto Nero Color Rebirth, Géographie sentimentale ou encore Combien d’hiver as-tu ? sont une interaction entre la photographie, la peinture et le paysage. Ses vues nimbées de brume filtrant une lumière surnaturelle transforment le présent pour un futur énigmatique. « Il y a toujours une tension dans les différents plans de mes images qui invite le regardeur à poursuivre son discours narratif. » Ses expéditions se révèlent être des témoignages puissants où rêve et réalité se confrontent, nous embarquant « dans les montagnes chinoises, au-dessus du cercle polaire arctique ou dans le désert blanc ».
Pas étonnant que cette Edgar Allan Poe de la photographie attire les regards de la profession entre les expositions, les récompenses et les galeries qui la représentent. En 2023, elle a remporté une résidence artistique au Brésil initiée par Photo Days dans le cadre des lectures de portfolio 2022. Une collaboration avec le collectif Iandé et le Festival Foto Paranapiacaba, qui aborde les problématiques sociales et environnementales de cette région latine oubliée. Costanza Gastaldi a ainsi arpenté la forêt tropicale de Paranapiacaba. Ce petit village, sis à une quarantaine de kilomètres de São Paulo, dédié à la caféiculture et à l’activité ferroviaire, regorge d’histoires, de légendes et de mystères.
À travers sa série Oro Negro (nom du café pendant l’époque coloniale), ses déambulations sensibles se transforment en un voyage dans le temps, au cœur du XIXe siècle. Pour la première exposition de ce travail en novembre, dans le cadre de Photo Days, les images seront réalisées par impression pigmentaire. Pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la piézographie, qui soigne particulièrement les noirs et les blancs. « Cette technique d’impression à base de huit encres, composées de pigments au charbon, confère un rendu velouté, qui donne vie à la brume, souligne-t-elle. Produire une série d’images en héliogravure nécessite un temps très long, je dédie donc cette technique à une exposition plus lointaine, en 2025, l’année du Brésil à Paris. »
Aux confins de la jungle brésilienne
Son approche de la photographie se marie à merveille avec la picturalité de l’espace sauvage, silencieux et infini. Il en ressortirait presque quelque chose d’hypnotique. « J’interprète les paysages toujours de manière sentimentale et émotionnelle, plutôt que physique et géographique. Ce lieu est fascinant, il est le dernier petit village avant la jungle. C’est ici que les colons anglais ont décidé de faire passer la ligne ferroviaire pour acheminer dans les capitales le café, l’argile et le fer. »
Son œuvre témoigne d’une approche sensible du médium entre le classicisme de la pratique et la modernité de son regard. « Je garde en mémoire l’image que j’ai capturée à 4h30 du matin avec cette lumière dorée qui tombe sur les ruines d’un ancien hôpital. Cette brume coutumière est à l’origine d’un bon nombre de légendes. Deux autres montrent encore cette nébulosité qui envahit le village, provoquée par la vapeur des courants de l’océan Atlantique. Mon choix de la couleur non couleur donne cet aspect fantasmagorique entre lumière et ombres chinoises. »
Costanza Gastaldi présentera un solo show à Hong Kong de sa série Erosiva, qui sonde la maladie, et une exposition immersive à Art Genève en janvier 2024, en collaboration avec un DJ de deep techno. Sur le thème de la méduse, elle présentera des images sur les sons qu’il a reproduits de la nature.