Reconvertie comme faiseuse de porcelaine, le rapport que nourrit Sophie Masson avec la matière est d’abord sensuel… C’est le contact avec la terre, les sensations qui passent sous les doigts, c’est sentir la résistance de la pâte encore humide contre la paume des mains lorsqu’elle la « tourne ». C’est ce toucher poreux après cuisson, lisse après émaillage. C’est regarder, d’abord, la porcelaine avec ses mains.
Celle-ci et pas une autre. De toutes les matières auxquelles a pu s’essayer Sophie Masson, c’est la porcelaine qui était faite pour ses mains. Un toucher particulier, une douceur à manipuler qui l’a fait s’éprendre de cette sensualité blanc cassé. « J’adore sa transparence, elle est très agréable à travailler. Il y a un rapport, un contact qui est vraiment très plaisant. Elle prend la chaleur, la lumière, elle fascine à chaque étape de la conception, et en découle un rendu toujours raffiné » explique Sophie Masson. Un dialogue charnel, dénué d’aspérité, qui s’est installé entre l’artiste et sa matière, donnant naissance à des créations d’une simplicité et d’une pureté apparentes dans son atelier de Roubaix.
Liberté d’expression
« Je laisse vivre la porcelaine, je la laisse s’exprimer. » Il existe de nombreuses façons de la travailler, et elle requiert une grande dextérité pour aboutir à ce que l’on recherche. Sophie Masson se détache de toute idée de perfection pour développer une nouvelle expression, un style libre. Si elle produit des formes très simples, un bol, une assiette ou des tasses, c’est lors de la cuisson qu’elles se révèlent et deviennent uniques. Leur donnant une impulsion avant de les mettre au four, elle va insuffler le mouvement dont la porcelaine va se saisir pour s’épanouir. Elle lui apporte un relief sans la contraindre.
Le but est d’apporter une vibration à l’ensemble, à la table dressée. « Le fait que chaque assiette rayonne donne une énergie à la composition. Je cherche quelque chose de sensible. » Ce n’est pas uniquement un empilement d’accessoires figés une fois le service disposé, mais un effet choral où chaque élément entre en communication avec les autres. « Je veux que toutes les pièces de toutes les collections puissent aller ensemble. » De cette manière, la créatrice va pouvoir ponctuer la table selon le rythme qu’elle souhaite donner.
Humer l’air du temps
À l’origine styliste de mode, Sophie Masson s’est initiée à la porcelaine il y a longtemps. Lorsqu’elle vivait à Paris, sa première rencontre avec la matière s’est faite dans le cadre des cours de la mairie, en décoration sur porcelaine. Un premier contact qu’elle ne perdra jamais, la travaillant en marge de son activité professionnelle. Au moment de la fermeture de l’entreprise où elle exerçait, c’est donc naturellement qu’elle s’est dirigée vers ce nouveau défi. Désireuse d’aller plus loin dans sa démarche, elle suit des cours à Limoges. Souhaitant donner vie à un autre modèle de porcelaine, moins conventionnel, elle s’émancipe du carcan académique depuis 2016 pour affirmer une patte qui lui est propre.
Sa carrière de styliste derrière elle, elle observera cependant plusieurs similitudes entre les deux secteurs. Celle tout d’abord « d’humer l’air du temps » précise-t-elle, d’être à l’affût de ce qui se fait, mais appliqué à l’art de la table et non aux vêtements. Alternant entre les nouveautés et le traditionnel, elle trouve l’inspiration aussi bien dans les expositions contemporaines que dans les institutions classiques comme le musée de Sèvres. La porcelaine a ce charme de l’ambivalence, un intemporel qui s’adapte aux tendances. Très instinctive, c’est au gré des balades que l’artiste va pouvoir glaner des idées, mais surtout auprès de ses clients. « J’aime le rapport avec les gens. La création se fait au fur et à mesure des demandes. Le client va m’amener vers d’autres mondes. » Donnant ainsi raison à l’adage qui nous rappelle que de la contrainte nait la création.
Plus que ses commandes, c’est aussi par des partenariats avec des marques ou par des collaborations entre artistes que Sophie Masson va pouvoir déployer son univers. Artisans du cuir, du bois, des mots, les formes d’inventivité se croisent, comme dans la collection « Habanera & Puntilla » où les motifs dentelés de Sophie Bøhrt viennent border ses pièces habituellement immaculées.
Sur son blog, la céramiste invite également de jeunes plumes de talent à s’exprimer autour de la porcelaine pour mettre en lumière les dimensions poétiques du matériau. Un maillage permanent entre diverses expressions d’arts et de savoir-faire qui imprègnent le travail de Sophie Masson et dont sa porcelaine reflète l’éclat.