Un an et demi après son ouverture, La Minute Culture compte près de 80 000 abonnés sur Instagram et est devenue un cas d’école en matière de culture numérique. Chaque semaine une nouvelle story offre aux internautes de se cultiver « sans prise de tête ». Drôle, intelligent et décomplexé, le ton de la Minute Culture livre des épisodes historiques parsemés d’émojis, mèmes et autres animations.
J’ai toujours été passionnée de culture, je passais mon temps dans les musées, les expositions […] et je suivais les cours d’initiation à l’histoire de l’art de l’école du Louvre. » Après 10 ans en agence de communication, spécialisée dans les réseaux sociaux, Camille Jouneaux est – comme dirait Michel Serres – une petite poucette* pour qui les leviers d’engagement n’ont aucun secret. En 2017, comme beaucoup d’autres de sa génération, Camille était en quête de réinvention et d’un nouveau sens professionnel. La réponse à ses préoccupations lui apparaît par hasard à la Galerie Doria-Pamphilj de Rome. Elle partage sur son compte Instagram sa visite en mêlant blagues et anecdotes historiques. Très vite, l’audience réagit et un mot revient : Merci. Elle réitère l’expérience, créant un véritable rendez-vous hebdomadaire pour ses abonnés parmi lesquels, des institutionnels qui lui proposent de décliner ce format pour leur compte. Camille y voit alors une issue à ses envies d’évolution, quitte son agence et devient freelance pour Arte et la Réunion des Musées Nationaux.
Tandis qu’elle crée des stories pour les uns et les autres, Camille sent qu’une place est à prendre sur ce territoire inexploré à la croisée du numérique, de l’accès à la culture et de la vulgarisation. D’abord retenue par un sentiment d’illégitimité, elle crée finalement le compte officiel de la Minute Culture en février 2019. « Si je ne prends pas cette place quelqu’un d’autre le fera. » Forte de son expérience de communicante, elle orchestre brillamment le lancement de ce compte. Elle partage avec son auditoire son besoin de remettre du sens dans sa carrière et partage les problématiques dans lesquelles elle souhaite s’investir. « Beaucoup de monde passent à côté de choses parce qu’ils ont l’impression qu’il faut connaître pour apprécier […] ils ne se permettent pas d’apprécier un Picasso parce qu’ils se disent qu’ils n’en ont pas les moyens intellectuels. » En quelques heures, les abonnés affluent, des médias en parlent et c’est le début de l’effet boule de neige. D’abord dépassée et déstabilisée par la situation, Camille est très vite confortée dans son initiative par une communauté incroyablement bienveillante. Elle reçoit les messages de parents et professeurs souhaitant réutiliser ses histoires pour leurs élèves. « L’un de ces messages disait : « Je suis professeur dans l’Oise, les écoles sont fermées du fait du Coronavirus et il nous est demandé d’assurer la continuité pédagogique. Pourrais-je utiliser vos stories pour mes élèves ? » Quelle plus belle récompense ! » nous raconte Camille.
De tout temps, les gens ont fait parler les œuvres d’art, mais Camille met à profit sa liberté éditoriale pour entremêler à outrance Histoire et légèreté. Imaginez l’histoire illustrée de Vigée le Brun en une vingtaine de tableaux ou plus ; en quelques diapositives vous découvrez le récit de cette peintre issue de la petite bourgeoisie qui a conquis la noblesse européenne. Mais les tableaux qui défilent sous votre pouce paraissent bien plus familiers que lors de votre précédente visite au Louvre. En effet, la Minute Culture se veut décomplexée et donne la parole aux protagonistes de ces toiles historiques. Leurs dialogues mêlent boutades et répliques de la culture populaire. Camille les nomme des dialogues picturaux parodiques. Mais il ne faut pas trop se laisser distraire, chaque épisode de la Minute Culture se termine par un quizz sur le sujet du jour. La combinaison de contenus historiques, d’anachronismes, de leviers d’engagement favorise la compréhension et la mémorisation du lecteur. Tout le talent de l’auteure réside dans cette pédagogie et le lien entretenu avec son audience.
Contrairement à ce qu’elle redoutait, Camille n’est pas devenue « Madame story Instagram » mais est reconnue pour ses talents d’écriture. La Minute Culture devient sa vitrine et le « ton de la Minute Culture », sa signature. La plupart du temps, ses publications sont le fruit de ses envies. On note son goût prononcé pour la peinture classique et le baroque. Mais il peut aussi s’agir de publications rémunérées. Elle choisit ses collaborations avec précaution. « J’ai une espèce de contrat moral avec les gens qui me suivent et je n’ai pas envie de leur proposer n’importe quoi pour gagner de l’argent. » Cette exigence à laquelle elle s’est tenue lui aura été profitable. Lorsqu’un freelance prospecte, Camille elle, rédige sa prochaine Minute Culture. « Quand on fait la démonstration de ce à quoi on est bon, on viendra nous chercher pour le faire. » L’Instagrameuse sélectionne les projets, nés d’une envie commune, qui lui permettent d’aborder des sujets qu’elle n’aurait pu traiter seule, tels que des artistes contemporains, avec la fondation Carmignac, la BNF ou la Philharmonie de Paris…
Chaque collaboration est unique. Camille n’a établi aucune grille ni package et crée une nouvelle page de son aventure avec chacun de ses partenaires. Dans le cadre de sa collaboration avec Folio, la collection poche de Gallimard, elle crée des stories qui seront publiées chez eux. Ces publications sont dédiées à des auteurs : un sujet culturel nouveau mais cohérent avec ce qu’elle a l’habitude de faire. Elle propose d’abord une première écriture à son partenaire qui contrôle la qualité historique du contenu. Puis le talent de l’auteure s’exprime. En toute liberté de création, Camille donne le « ton », ce sens de la formule et de la narration qui fait son succès. Généralement elle trouve ses supports dans des bases libres d’accès telle que Joconde ou Wikimedia commons, mais elle peut aussi avoir recours à l’aide d’iconographes comme ce fut le cas pour l’épisode dédié à Jean-Paul Sartre.
« Les idées viennent à l’envie. » Camille lit, se documente, absorbe énormément d’informations puis laisse les informations se décanter pour que jaillisse l’idée. Elle l’admet volontiers, c’est un exercice difficile qui nécessite du temps. Le cerveau a besoin de latence pour se reposer et on ne peut débiter de nouvelles idées comme on enchaîne les mails. Mais cette curiosité intarissable et ce goût du partage alimentent chacun de ses travaux. Est-ce un rythme soutenable sur le long terme ? Camille n’a pas la réponse à cette question.
« Le succès n’est pas forcément synonyme d’argent, je gagne moins bien ma vie qu’avant. » Camille refuse les dons et qu’un quelconque rapport d’argent s’immisce entre elle et ses lecteurs. C’est alors en parallèle et dans l’écriture que se construit la nouvelle carrière de Camille. Après les stories des institutions culturelles, Camille saisit les opportunités amenées par son compte Instagram et qui lui permettent de poursuivre cette mission de transmission qu’elle s’est donnée. Ses conférences ou sa collaboration vidéo avec Vanity Fair en sont des exemples.
Camille Jouneaux laisse volontiers le community management à ses confrères. Aujourd’hui, elle se voue à l’écriture pour transmettre l’émotion si particulière que sollicite une œuvre d’art. Prochainement elle nous annoncera la sortie de son premier livre. Pour l’heure, une nouvelle piqûre d’histoire sera disponible lundi prochain sur @la.minute.culture. Attention, elle ne sera disponible que 24h !
*Michel Serres baptise «Petite Poucette» les enfants du numérique – clin d’œil à la maîtrise avec laquelle les messages fusent de leurs pouces.