Nichée dans le 16ème arrondissement de Paris Le Vif est une friperie qui propose une sélection pointue de vintage américain. Ici, pas de vêtements en bataille qui sentent la naphtaline, uniquement des pièces triées sur le volet et soigneusement rangées. Derrière ce concept, trois fondateurs, dont Gauthier Borsarello qui accumule les activités autour du style masculin et du vintage ultra sélectif voire confidentiel ; il est notamment l’éditeur en chef du magazine L’Étiquette. Mais cette histoire est aussi celle de Jérémie Le Febvre, et d’Arthur Menguy, la personne que vous rencontrerez à la boutique du 101 rue Boileau. Nous avons échangé avec lui.
Peux-tu nous parler du concept du Vif ?
Au départ, c’est un concept entre potes. On a voulu faire une boutique qu’on aurait bien aimé avoir trouvée quand on était jeune. L’idée c’est d’avoir du vintage américain déjà trié, de rassembler ce qu’on trouvait de meilleur dans le vestiaire américain. Ce concept existe un peu partout dans le monde, notamment aux États-Unis, en Angleterre ou au Japon mais en France personne ne faisait ça jusqu’à présent. Il y a plein de très bonnes friperies mais il faut fouiller. Donc ici on répond aux attentes de ceux qui veulent du conseil, qui ont envie de vêtements en seconde main mais qui n’ont pas envie de s’embêter à fouiller.
Pourquoi votre choix s’est porté sur le vestiaire américain ?
Parce qu’aujourd’hui c’est ce qui est le plus porté. On a tous des jeans, des baskets… on a tous grandi dans cette culture. Si tu prends du workwear français par exemple, c’est très beau, mais ce n’est pas sexy. Tout le monde veut un blouson en jean, pas une veste de travail française.
C’est assez rare, mais on peut glisser quelques pièces qui ne font pas partie du vestiaire américain, des pièces françaises ou mexicaines par exemple, découvertes en chinant, parce qu’on les trouve vraiment intéressantes. On est tombé dernièrement sur un vieux stock d’une boutique française qui a fermé en 1961. Les pièces avaient été fabriquées dans les années 50. C’était neuf, d’une super qualité, magnifique, et il y avait une histoire derrière alors on s’est vraiment senti obligé de le prendre.
Quelles époques, quels styles du vestiaire américain couvrez-vous ?
On couvre la période des années 40 jusqu’aux années 90, début 2000. Tout doit être made in USA car on part du principe que si c’est une pièce du vestiaire américain, ça doit être fait aux États-Unis. Suivant les marques – notamment Converse et Levi’s – on trouve des pièces fabriquées là-bas jusque dans les années 2000. On ne référence pas de pièces antérieures aux années 40 car c’est trop collector et difficilement portable. On ne cherche pas à attirer les gens hyper pointus qui veulent des pièces incroyables, ce n’est pas notre but. On a des chemises western et en tous genres, du t-shirt, du sweatshirt, du jean droit, du patte d’eph…
Ce sont donc des classiques plutôt mixtes ?
On ne fait pas de pièces spécifiquement femme parce que le vintage féminin c’est un autre monde. C’est magnifique mais très spécifique et je pense que ça intéresserait difficilement la consommatrice française.
Vous êtes trois associés. Gauthier Borsarello et toi êtes les associés majoritaires et les personnes sur le terrain. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
On s’est rencontré chez Ralph Lauren. On a travaillé trois mois ensemble avant son départ. Ralph Lauren a plusieurs sous-marques, notamment Double RL, qui est la branche dite « héritage ». Gauthier était « vintage specialist » chez Double RL ; il faisait de la curation de vieilles pièces en chinant à travers l’Europe pour remplir la boutique. Quand Gauthier est parti, j’ai repris sa place. J’apportais du conseil aux clients, je racontais l’histoire des pièces…
Comment fais-tu pour obtenir des informations sur l’histoire d’une pièce ancienne ?
C’est des années de geekerie ! J’avais déjà des bases car j’aime le vêtement depuis toujours et je collectionne beaucoup. On apprend pas mal de choses en discutant avec des gens mais il faut faire attention car il y a beaucoup de légendes complètement fausses. Les photos, les films nous apprennent beaucoup aussi. Il n’y a pas de formule, ni d’école, il faut être curieux, être au contact du produit au maximum. Les connaissances s’acquièrent avec le temps et après s’être beaucoup trompé.
Où vous fournissez-vous ?
Nous avons surtout un gros fournisseur aux États-Unis ; il nous fournit environ 80% de ce que l’on a. Le reste, Gauthier et moi le chinons en France. Notre fournisseur est lui-même un gros collectionneur et tient un musée avec des pièces incroyables qu’on ne voit pas deux fois dans sa vie ! Il chine pendant toute l’année aux États-Unis ; quand il achète il sait déjà pour quel client ça va être car il connaît les attentes de chacun, donc il y a déjà un pré-tri. Il crée ses stocks et les envoie par containers deux fois par an environ. Quand on ouvre les containers, on ne sait pas encore ce qu’il va y avoir dedans. S’il y a des choses qui nous intéressent moins on peut les écarter mais on ne peut pas être trop pointilleux car il nous fait un prix de gros. De toute façon, il se trompe rarement donc il y a très peu de pièces que l’on met de côté. On fait quand même un tri où l’on vérifie notamment que toutes les pièces sont bien made in USA. L’idée c’est d’être assez précis quand on échange avec lui à propos de ce que l’on recherche, de ce que l’on ne veut plus, etc. pour avoir le moins de choses à lui retourner.
Lorsque tu chines, où fais-tu cela ?
Ça peut être au marché aux puces, dans des boutiques, mais surtout via internet. Il faut ratisser large, regarder un peu partout, ça demande énormément de temps. Plus tes mots-clés sont vagues, plus tu vas trouver des choses intéressantes car il y a plein de gens qui se débarrassent et qui n’ont pas forcément conscience du potentiel de ce qu’ils ont. Ces gens là ne vont pas utiliser un vocabulaire pointu.
Comme tu l’as évoqué plus tôt, vous vendez ici du t-shirt, de la chemise, du 501… est-ce que pour un passionné du vêtement de seconde main ce n’est pas un peu rébarbatif de vendre toujours le même type de vêtement ?
Tout ce qu’on vend on l’adore et c’est pour ça qu’on le propose. Il y a toujours un truc qui nous émerveille : un graphisme, une typo, une étiquette, la façon dont la manche a été montée… C’est vrai que quand on vend du Levi’s 501 c’est un peu rébarbatif mais parfois tu tombes sur un modèle incroyable parce qu’il y a une patine particulière, une réparation, une touche stylistique apportée par la personne qui portait la pièce… Récemment j’ai trouvé un jean des années 60 avec des pâquerettes brodées à la main sur la jambe, c’est unique au monde. J’assouvis aussi ma curiosité en chinant pour moi, là je m’amuse énormément. On pourrait proposer ce type de pièces, un peu plus spéciales – et c’est d’ailleurs ce que Gauthier propose avec Gauthier Borsarello Inventory – mais il y en a très peu des pièces comme ça, c’est très difficile de les trouver et souvent les prix sont prohibitifs. Nous on est « cher » pour de la fripe, parce c’est de la fripe choisie et que tout est déjà lavé, mais les prix restent accessibles.
Justement, comment fixez-vous vos prix ?
Il faut se placer par rapport au marché et surtout par rapport à ce qu’on paie. On paie à la pièce, parce qu’on veut choisir. Si tu achètes au kilo ce sera moins cher mais tu n’es pas sûr d’avoir que du bon. Nous, on veut que du bon. Donc le prix varie en fonction de l’estimation que l’on fait sur chaque pièce. Si on fixe un prix très cher c’est que la pièce est vraiment exceptionnelle ou qu’elle est très vieille, voire qu’on n’a pas tellement envie de s’en séparer, mais sinon on reste dans des prix raisonnables. Par exemple, on peut avoir un sweatshirt pour 80 euros, une chemise pour 100 euros… en rappelant que c’est de la très bonne qualité et du made in USA.
Comment vous faites-vous connaître ?
On est beaucoup publié dans des éditoriaux (Vogue, GQ…), notamment grâce au réseau de Gauthier. Les magazines viennent emprunter des pièces car ils savent qu’on a une sélection pointue. C’est un gros canal de communication. Sinon pour le moment on communique via Instagram exclusivement ; on crée notamment des petits contenus où on raconte des histoires. Ça demande du temps de faire ça car on veut être sûr de l’info qu’on apporte. Ça fait moins de deux ans qu’on est là, c’est assez jeune, et faire des choses professionnelles ça demande des moyens et de la main d’œuvre. On a l’esprit d’une entreprise créée entre copains mais on veut faire les choses bien.
Le Vif Boutique
101 rue Boileau, 75006 Paris
instagram.com/le.vif.boutique