Avec son agence 37.2, le trentenaire fait des émules dans le monde de la production visuelle. Il a réussi à attirer vers lui de talentueux photographes, stylistes et set designer qui constituent le vivier de son projet : réunir mode, luxe et art dans un grand geste qui fait tomber les cloisons.
 Il nous reçoit dans un vaste appartement boulevard des Filles du Calvaire dans le 3e arrondissement de Paris. Surgissent ici ou lĂ des fleurs sĂ©chĂ©es joliment posĂ©es dans des vases et sous lesquels sont empilĂ©s des dizaines de magazines et de livres. Une belle table en marbre rouge et un vaste miroir confĂšrent au lieu quelque chose dâĂ la fois simple et travaillĂ©, comme lâest justement son agence. « Je ne suis pas nĂ© dans un milieu artistique. Jâai grandi en province Ă©levĂ© par des femmes oĂč je passais la plupart de mes week-ends sur des terrains de concours Ă©questres Ă accompagner ma mĂšre qui Ă©tait championne dâĂ©quitation, Ă aider ma grand-mĂšre qui a dĂ©diĂ© une partie de sa vie Ă des organisations caritatives ou alors Ă regarder âSous le Soleilâ (Passion !) avec ma sĆur. Le mĂ©tier dâagent dâartistes, câĂ©tait un autre monde jusquâĂ ce que je tombe dedans » dit dâemblĂ©e lâintĂ©ressĂ©.
« Jâai commencĂ© par des Ă©tudes de droit que jâai arrĂȘtĂ©es assez vite en comprenant que ça ne ressemblerait pas Ă Ally McBeal. Ensuite, jâai fait une Ă©cole dâArts et Culture qui nous demandait de choisir un mĂ©tier-type Ă prĂ©senter et câest lĂ oĂč jâai dĂ©couvert celui dâacheteur dâart, câest-Ă -dire la personne qui propose des artistes pour une campagne publicitaire. Un mĂ©tier essentiel oĂč il faut, entre autres, un Ćil et une culture photographique. Câest avec ce rendez-vous chez Publicis que ça a dĂ©marré », dĂ©taille Nicolas Huet Greub. Pendant les deux ans qui suivront ce rendez-vous, il travaillera chez une agent, Ă lâachat dâart chez Publicis et au studio dâun photographe. « En sortant de ces diffĂ©rentes expĂ©riences, jâĂ©tais sĂ»r dâune chose : je nâaurais pas pu travailler dans une agence et reprĂ©senter des artistes que je nâaurais pas choisis. Il fallait que je sois en accord avec le travail des artistes que jâallais reprĂ©senter ».
La référence
En 2016, Ă 25 ans, le jeune homme se lance. Il crĂ©e son agence. « Je dois dire que les planĂštes se sont alignĂ©es. Ăa a Ă©tĂ© une succession de belles rencontres, on mâavait dit avant que je me lance : si lâartistique est bon, le reste suivra. Ăa a toujours Ă©tĂ© un mantra, il faut garder une ligne, une colonne vertĂ©brale artistique. » Il doit aussi le dĂ©but de son agence Ă une rencontre quâil a fait sur un tournage, celle de la maquilleuse SaraĂŻ Fiszel qui lui a alors prĂ©sentĂ© lâune de ses meilleures amies, la photographe Shelby Duncan. Cette derniĂšre a tout de suite acceptĂ© dâĂȘtre reprĂ©sentĂ©e par Nicolas et cela mĂȘme si ce dernier nâavait pas encore de site internet. « On a eu comme un crush amical, un peu comme quand vous reconnaissez quelquâun de votre tribu. Jâai beaucoup aimĂ© sa vibe. Jâai tout de suite pensĂ© quâavec Shelby ça collerait parfaitement. Ăa sâest fait de maniĂšre trĂšs organique. » relate Sarai et dâajouter : « Nicolas est quelquâun qui a une prĂ©sence trĂšs forte. Il est extrĂȘmement charismatique. Il a un talent pour rassembler les gens. »



Au contraire du jeunisme ambiant, pour Nicolas Huet Greub lâĂąge nâest pas un sujet : « Ăa me plait autant de prendre un jeune artiste et de lancer sa carriĂšre comme je lâai fait avec Shelby que prendre des photographes qui ont dĂ©jĂ une belle carriĂšre comme Roberto Badin, Alexis Armanet ou InĂšs Dieleman et de les accompagner pour se rĂ©inventer. InĂšs, je lui ai vraiment couru aprĂšs. Son histoire est unique (InĂšs travaillait dans lâombre de son mari, un grand photographe de publicitĂ©. Ă sa mort, elle a pris le relais et sâest lancĂ©e en tant que photographe.) Se lancer Ă plus de 50 ans, dans ces conditions-lĂ , et en Ă peine dix ans ĂȘtre aujourdâhui une des plus importantes rĂ©fĂ©rences en nature morte, câest beau. Et au-delĂ dâĂȘtre beau, ça demande un certain courage et beaucoup de talent. Dans le travail et humainement elle donne beaucoup. Pour la sortie de son premier livre, Pavot, que jâai Ă©ditĂ© cette annĂ©e, on a installĂ© une galerie Ă©phĂ©mĂšre 37.2 Place Beauvau pendant deux mois. Tout le monde est venu la cĂ©lĂ©brer lors du vernissage, au-delĂ du succĂšs de lâexposition, câĂ©tait Ă©mouvant » tĂ©moigne ainsi Nicolas.


Maison dâĂ©dition
« Je trouve formidable le pont gĂ©nĂ©rationnel quâa fait Nicolas en travaillant avec des photographes qui ne sont pas trĂšs jeunes », estime pour sa part lâacheteuse dâart Catherine MahĂ© qui travaille parfois avec lui et dâaffirmer : « il est trĂšs ouvert. Il a un enthousiasme qui me parle ». MĂȘme son de cloche chez lâagente Florence Moll qui assure : « Il a une trĂšs belle Ă©nergie, du goĂ»t, de la curiositĂ©. Ce que jâaime, câest quâil a lâenvie de sâinstaller durablement ». De fait, Nicolas insiste pour dire quâil se veut fidĂšle aux artistes qui travaillent avec lui et cela « au contraire de certaines agences qui se sĂ©parent parfois dâun photographe simplement parce quâil a moins de commandes. Des pĂ©riodes plus calmes pour un artiste, câest des moments quâon dĂ©die aux projets personnels. Ces temps-lĂ se cultivent aussi. »
Mais ce qui caractĂ©rise 37.2 est aussi le pont que Nicolas a su construire entre la photographie de commande et la photographie dâart. Pour soutenir le travail personnel des photographes de lâagence et pour concevoir un bel objet de communication, Nicolas nâa pas hĂ©sitĂ© Ă crĂ©er dĂšs 2018 une maison dâĂ©dition de livres photo. « AprĂšs deux ans dâactivitĂ©, jâavais envie dâune pure rĂ©crĂ©ation artistique oĂč on pouvait faire ce quâon voulait. Parce que tu te doutes bien quâavec nos clients, il y a des contraintes marketing. Parfois, tu peux avoir des frustrations. Je me suis dit : est-ce que je ne rĂ©investirais pas une partie de lâargent gagnĂ© dans des projets artistiques oĂč on laisse libre cours Ă notre imagination et oĂč on fait ce quâon veut ? »



House of love
Ainsi sont nĂ©s les livres de Roberto Badin, Antoine Henault, InĂšs Dieleman⊠De beaux ouvrages Ă la couverture feutrĂ©e qui permettent Ă lâagence de se faire connaĂźtre et reconnaĂźtre. « En avril je reçois un coup de fil des Ăditions Actes Sud. Pendant le Festival de la photographie Ă Arles, ils ont un espace dĂ©diĂ© Ă CroisiĂšre oĂč ils peuvent mettre en lumiĂšre des maisons dâĂ©dition indĂ©pendantes. Ils mâont proposĂ© dây mettre en avant 37.2 et ont invitĂ© les artistes Ă venir signer leurs livres pendant la semaine des rencontres. LâĂ©dition nous amĂšne ailleurs. » explique Nicolas.
« Je trouve trĂšs intĂ©ressante la dĂ©marche de Nicolas », estime Florence Moll Ă propos de la maison dâĂ©dition de 37.2, « il a compris quâon enrichit son sujet en allant chercher dâautres mondes. Les uns nourrissent les autres en quelque sorte. »
Prochainement sortiront les premiers livres dâAlexis Armanet, Arthur Delloye et Anna Daki, le second livre dâAntoine Henault qui a rĂ©alisĂ© un travail sur lâInde et le livre House of love, titre faisant rĂ©fĂ©rence Ă une maison oĂč Shelby Duncan et sa meilleure amie SaraĂŻ Fiszel ont vĂ©cu de 2009 Ă 2015, Ă Hollywood, en Californie. Ensemble dans cette maison, elles ont fondĂ© et accueilli une communautĂ© internationale de plus de 500 artistes (allant de LĂ©a Seydoux Ă Natalie Portman en passant par Johnny Hallyday). Le livre est un portfolio photographique du travail de Shelby ainsi que son histoire personnelle de cette pĂ©riode de sa vie.
Pour Nicolas, la maison dâĂ©dition, lâagence, câest surtout lâoccasion de crĂ©er comme une communautĂ© oĂč lâon partage goĂ»ts et valeurs, comme un « clan » dit-il, de personnes inspirantes et inspirĂ©es qui s’apprĂ©cient et se montrent bienveillantes entre elles. « Câest vraiment cette dimension que je retiens de lâagence, ce cĂŽtĂ© amical de Nicolas qui continue mĂȘme aprĂšs avoir travaillĂ© avec lui et le lien que jâai pu garder avec tous les artistes » tĂ©moigne ainsi Catherine Dayoub qui a commencĂ© comme stagiaire Ă lâagence et est aujourdâhui directrice artistique chez Jacquemus. « Quand jâai organisĂ© lâanniversaire de Shelby ici il y a quelques mois, artistes, amis, clients⊠Tout le monde Ă©tait lĂ . » relate Nicolas qui prĂ©cise : « Une de mes artistes mâa dit un jour : âPeople you bring to your inner circle will always be protectedâ (âles personnes que tu accueilles dans ton cercle seront toujours protĂ©gĂ©esâ). Jâaime cette idĂ©e de clan qui me vient de mon enfance. Sans le faire exprĂšs, jâai reproduit ce schĂ©ma dans ma vie personnelle et professionnelle. Câest quelque chose qui sâest installĂ© naturellement au fil du temps et que je cultive toujours avec respect, amour et lĂ©gĂšretĂ©. »


