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Flavien Berger

À 34 ans, Flavien Berger a déjà apporté ses nombreuses pierres à l’édifice Musique. Après avoir étudié le design sonore à l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle – Les Ateliers dans le 11e arrondissement, il sort un premier EP en 2014 et son premier album « Léviathan » l’année suivante. Avec à son actif 4 albums, dont le dernier « Radio Contre-Temps » est sorti en 2019, Flavien Berger a écumé les scènes de tous types jusqu’aux festivals accueillant des milliers d’amoureux des mélodies savamment construites et novatrices, comme La Magnifique Society, où nous l’avions rencontré.

Quel est ton premier souvenir musical ?
C’est Aline de Christophe. Ma mère avait une compilation que sa sœur lui avait offerte, qui s’appelait Âge tendre mais elle ne l’écoutait pas car elle n’était pas spécialement férue de musique yéyé. Du coup j’avais récupéré la compilation et j’écoutais en boucle les deux disques empreints de mélancolie sur la musique des 60’s où il y avait par exemple Dutronc et Hardy. Sur le second disque, le 20e et dernier morceau, c’était Aline de Christophe. Le ton de cette chanson, les paroles, l’orchestration, m’ont particulièrement marqué et je l’ai écoutée en boucle. Ce morceau m’est toujours resté en tête et a participé à mon inspiration.

Quel est le premier morceau de ta composition que tu as joué en public ?
Il s’agit d’un morceau qui s’appelle Sigmund 2.3 qui était extrait d’une compilation sur Soundcloud s’intitulant Sigmund. Je l’ai joué au piano lors de mon premier vrai concert devant des gens à l’Eglise Saint Eustache pendant le festival « Les 36 heures de Saint Eustache ». Ombeline Minelle avait entendu ma musique par l’intermédiaire de sa colocataire et avait décidé de me programmer sur le festival. C’était la première fois que je faisais un concert devant autant de gens !

Ta formation dans une école de création industrielle a-t-elle influencé ta composition musicale ?
Elle a en partie fait ce que je suis, notamment en ce qui concerne mon rapport au projet : l’établir, le partager, travailler avec des gens, comprendre ses différentes phases, et alimenter comme il faut une matière première qu’est la musique. En lien avec cette formation, j’ai sorti en 2018 un EP intitulé Brutalisme qui est inspiré par l’architecture brutaliste, un des thèmes qui m’inspiraient au moment où j’ai commencé l’écriture de mon 3e album Contre-temps. Cette architecture m’a impressionné lorsque j’ai visité le Barbican à Londres qui est une sorte de grand château fort moderne où il y a une idée de la vétusté, de la modernité et de voyage dans le temps. On revit les mêmes cycles et on retourne aux mêmes rapports à nos habitations, à notre protection, à notre sécurité et à nos systèmes de classes. Même si le morceau ne parle pas du tout de ça, j’aimais bien le bâillement entre ce qui était raconté et le titre. C‘est une architecture inspirante, d’ailleurs j’ai découvert plus tard que le groupe anglais Idles s’était également référé au nom de cette architecture pour un de ses albums.

Quel est ton processus créatif ?
Je n’ai pas de schéma de création. Je peux partir du texte, de la mélodie, d’un son, mais il y a des choses corollaires qui se rejoignent à un moment, et je trouve le bon moirage ou le bon collage. Ma composition est faite de beaucoup de collages de concepts ou d’idées, comme coller une esthétique sur un type de rythmique ou coller deux textes ensemble qui n’avaient rien à voir et qui forment une sorte de vision surréaliste d’un sentiment.

Comment naissent tes collaborations, notamment celles avec Étienne Jaumet, Étienne Daho et Maud Geffray ?
Elles se font souvent par invitation. Pour la collaboration avec Étienne Jaumet c’était dans le cadre des 10 ans du label Pan European Recording sur lequel je sors mes disques. J’ai découvert son morceau Pan European dans une compilation de mon label et quand plus tard j’ai signé sur ce label c’était pour moi une belle boucle d’inviter quelqu’un qui m’avait fait aimer ce label. Pour la collaboration avec l’autre Étienne (Daho), c’est lui qui m’a invité car il avait un morceau très sombre, qui s’intitule Blitz, auquel il souhaitait apporter une éclaircie. On se croisait sur différentes promotions et événements et il m’a dit un jour que je serais le moment d’éclaircie, la voix des anges dans ce morceau. Ma collaboration avec Maud Geffray est née du fait qu’elle aimait ma voix et qu’elle a voulu lui faire une place dans un de ses morceaux. J’étais un peu comme un rappeur. Elle a composé une instrumentation puis m’a proposé d’improviser dessus. Ensuite, elle a gardé ma voix comme matière première, comme un instrument.

Est-ce toi qui conçois les cover de tes disques ?
Je les conçois avec Juliette Gelli qui fait partie du collectif Sin. Elle a fait la même école de création industrielle que moi et c’est aussi elle qui réalise la scénographie de mon Live. J’ai souvent des idées, je lui en fais part et on met en forme ensemble. Je lui fais confiance sur la vision globale de la mise en forme, sur la charpente graphique, la structure solide qu’elle peut mettre en place pour créer un univers graphique cohérent et qui se tienne et je lui laisse souvent carte blanche.

Quel est ton rapport au Live ?
Jouer devant plein de gens ça a quelque chose de virtuel, tu ne sens pas les gens comme s’ils te touchaient, mais ça laisse un impact physique. On est des filtres, les choses nous traversent, ou pas, et il faut réagir avec cette énergie. Je ne recherche pas l’adulation, les applaudissements ne sont pas une chose cruciale dans ma vie car à mes yeux ils ne me sont pas destinés mais sont destinés à la musique et au rapport à l’expression. Ce que j’adore, c’est faire plaisir aux gens, créer, ne pas faire les choses comme il se doit et ne pas me prendre au sérieux.

Pour conclure, peux-tu nous citer un groupe que tu apprécies particulièrement en ce moment ?
Infinite Bisous, c’est génial !

instagram.com/flavien_berger
paneuropeanrecording.com/

Franz Ferdinand

Déjà quasiment 20 ans que le groupe Franz Ferdinand s’est créé, en Écosse. Son nom aurait pu rappeler les légendaires chefs de clan écossais, fleurant bon la lande et le whisky, mais le groupe a préféré prendre le nom de l’archiduc d’Autriche, assassiné à Sarajevo en 1914, prélude à un déferlement de feu et de sang sur l’Europe…

Plus précisément, c’est aux abords d’un champ de courses que l’idée d’endosser ce nom apparût comme une évidence aux membres du groupe ; l’un des chevaux de course s’appelant Franz Ferdinand. L’humour British… Leur 1er album, sorti au tout début des années 2000, les propulse au firmament de la britpop. Le succès se confirme avec les 3 albums suivants. En 2016, le groupe prend un nouveau tournant avec le départ du guitariste et claviériste Nick McCarthy. Le groupe passe alors de 4 à 5 membres avec l’arrivée d’un nouveau guitariste et d’un claviériste.
Franz Ferdinand se compose désormais de Alex Kapranos (chant-guitare), Robert Hardy (basse), Paul Thomson (batterie-guitare), Dino Bardot (guitare) et Julian Corrie (claviers-guitare). Leur 5e album Always Ascending est sorti début 2018.
Cet album composé de 10 chansons est une refonte éclatante du groupe, débordant d’idées nouvelles et d’expérimentations soniques. Always Ascending a été écrit dans le sud de l’Ecosse et enregistré en partie au studio Motorbass à Paris, avec l’aide du prodigieux et regretté producteur français Philippe Zdar. L’affection mutuelle entre le groupe et le producteur s’y ressent au détour de chaque groove. Process Magazine a rencontré Alex Kapranos et Paul Thomson dans le cadre bucolique et ensoleillé du festival La Magnifique Society 2019, pour une interview presque exclusive.

Quelles sont les racines de votre vocation pour la musique?
Alex: C’est une vocation « par erreur »… En fait, j’ai toujours eu instinctivement envie de jouer de la musique

Paul: J’ai longtemps fait de la musique en pensant que ce n’était pas une vocation viable… Tout comme mes parents ! Mais le temps m’a prouvé le contraire…

Alex: Bob notre bassiste n’a jamais voulu être musicien. Il ne se considère toujours pas comme tel, et pense qu’il est un artiste qui joue de la basse.

Quelle est la petite histoire, derrière la grande histoire de la création de Franz Ferdinand?
Alex: Paul et moi, on trainait et jouait déjà ensemble bien avant Franz Ferdinand, dans plusieurs autres groupes. Franz Ferdinand est né au départ du fait qu’on était une bande de potes, on sortait et on jouait de la musique à Glasgow. Notre premier gig fut chez un ami commun.

Paul: C’était un feeling naturel.

Votre 5e album Always Ascending vous a amené à prendre de nouveaux chemins musicaux, plus psychédéliques. Vous avez notamment dit qu’il était une renaissance…
Alex: Oui, c’est une nouvelle décennie et une évolution pour le groupe, avec une nouvelle configuration.

Vous l’avez enregistré en partie dans le studio Motorbass avec Philippe Zdar (décédé en juin 2019), moitié de Cassius. Comment est née cette collaboration?
Alex: On est fan du travail de Philippe ! On avait déjà parlé de travailler avec lui pour notre 4e album, mais à l’époque il bossait avec les Beastie Boys.

Quand vous travaillez sur de nouveaux morceaux, est-ce aussi spontané?
Alex : Beaucoup de notre travail est réactif et instinctif. On ne s’assoit pas autour d’une table pour faire des plans. Pour nous la musique c’est « moitié-moitié » : il doit y avoir un stade spontané, où les idées doivent émerger librement, en utilisant la part la moins contrôlée et libre de l’esprit, à l’écart de la part consciente et logique. À ce moment-là, tu éteins quasiment ton cerveau. Ensuite il y a un stade d’analyse et de réflexion. C’est quasiment comme passer du travail de l’écrivain à celui d’éditeur.

Quelle est la différence entre «l’ancien» processus et le «nouveau» processus de composition de vos morceaux?
Alex: On essaie toujours de pousser les choses dans différentes directions, d’écrire de différentes manières. Certaines chansons vont venir d’une prose écrite, d’autres d’un rythme de batterie, d’autres du piano, de la guitare ou de la basse.

Paul: On fait parfois évoluer nos morceaux pour le Live, sur ce qui est efficace et ce qu’on peut couper.

La musique occupe-t-elle l’ensemble de vos pensées?
Alex: Quelqu’un qui n’écouterait que de la musique, ça serait bizarre non ? À Franz Ferdinand, on apprécie l’architecture, une bonne lecture, un bon film, un bon plat de restau (j’ai voulu être chef cuisinier dans le passé). Je ne pense pas qu’on puisse être seulement dans un genre ou une seule discipline artistique, parce qu’on va chercher l’inspiration dans tout.

Votre groupe est né à Glasgow. L’Écosse a voté en majorité contre le Brexit, que le Royaume-Uni va pourtant vous imposer. Vous sentez-vous toujours britannique, ou plus européen?
Alex: Personnellement, je me sens très européen car j’aime l’idée de rester ouvert. Ce qui se passe dans le monde, et pas seulement en Europe, est plutôt terrifiant… Notre studio est en Ecosse dans un petit village et apparemment, par le passé, il y avait une petite rivière qui faisait office de frontière pour séparer le village en deux moitiés, qui se haïssaient. C’est exactement ce qu’on récolte avec cette mentalité de mettre des frontières partout : le rejet des autres gens. C’est pervers. On a joué en Turquie, en Hongrie, en Russie et on a pu constater ce rejet. Dans un pub à Douvres, un gars me disait qu’il était gay, que son ami vivait en Pologne et qu’il ne pouvait plus y aller, car les gays n’y étaient plus les bienvenus, surtout hors des grandes villes, là où les réactionnaires sont de plus en plus puissants. Je ne vois donc rien de positif dans ce qui se passe maintenant.

Vous pensez que ça va avoir un impact sur la musique ou la créativité?
Alex: Tout va être pire ! Dans le sens où il va y avoir une multitude de musiciens qui vont faire de la musique protestataire, en pensant que c’est un « bon filon » pour se faire connaitre…

Écouter Franz Ferdinand 
@franz_ferdinand

Crédit image : Cara Robbins

Oktober Lieber

Oktober Lieber est né de la rencontre entre Marion Camy-Palou (Deeat Palace) et Charlotte Boisselier (Ambeyance). C’est aussi celle du post-punk et de l’électronique sur le dance-floor. À coup de rythmes martiaux et de synthétiseurs analogiques déchirés, d’électronique vintage et de séquences mélodiques, les deux Parisiennes élaborent des morceaux sauvages aux ambiances synthwave et aux beats répétitifs, saccadés et entêtants. Après un premier album intitulé « In Human », une release party au Petit Bain à Paris à l’automne 2018 et une résidence à L’Autre Canal à Nancy, le duo a fait le tour des scènes branchées, amenant avec lui sa musique mêlant Kraftwerk, l’italo-disco et la musique industrielle. C’est lors de la dernière édition du festival du Cabaret Vert que Process magazine a échangé avec Oktober Lieber, en mode minimal wave.

Comment est né Oktober Lieber ?
Marion : On travaillait déjà ensemble sur d’autres projets, notamment au sein d’un groupe de pop expérimentale avec deux autres potes, ou sur des projets de théâtre dans lesquels Charlotte intervenait en tant que musicienne et technicienne. Et puis, j’ai été invitée pour faire un concert sur la base de compositions minimal wave lors d’un week-end techno et j’ai demandé à Charlotte de m’aider à remixer les morceaux pour que le son soit beaucoup plus « club ». Ce fut donc le premier concert qu’on a fait toutes les deux, un peu sur le fil. On a ensuite renouvelé cette formule en commençant à composer à deux. On nous a alors tout de suite proposé une date et on a cherché un nom pour notre duo. Comme on commençait à travailler sur des sons un peu froids et techno, on a voulu faire un clin d’œil à la scène allemande et au morceau October love song de Chris and Cosey (1982). Oktober Lieber était né !

Quelles sont vos influences majeures ?
Marion : Pour moi c’est le punk du CBGB de la fin des 70’s (The Clash, Blondie, Ramones), le post punk (Joy Division), puis la no wave, la musique industrielle, et la musique électronique au bout de tout ça.

Charlotte : Pour moi c’est d’abord la pop et les approches électroniques de cette musique avec des artistes comme Madonna ou Björk qui se sont entourées de producteurs et qui ont hybridé la pop avec des sons synthétiques, et la new wave des 80’s. Notre musique est faite d’hybridations de toutes nos influences et c’est l’esthétique techno et électro indus qui ressort, même si le rock est toujours en arrière-plan. On a des sonorités new wave avec les nappes de synthés, mais on a durci la rythmique. Dans la musique électronique on est plus proche du courant rock que du courant disco.

Quelle est votre méthode de travail pour vos compositions ?
Charlotte : On part souvent d’une ligne de basse, mais aussi d’un rythme, d’un synthétiseur ou d’une simple idée.

Marion : On utilise autant l’ordinateur que les synthétiseurs, c’est un peu un travail de Nerd. Nos morceaux ont une durée moyenne de cinq minutes, mais on les étire au maximum sur scène. Du coup, ça nous a donné envie de composer des morceaux déjà plus longs dès le départ. On a ainsi un nouveau morceau qui a une durée de dix minutes.

Soundcloud.com/oktoberlieber
@oktober_lieber

Crédit image : Vincent Ducard

Bagarre

Ayant ses quartiers à Paris, Bagarre est un groupe de musique mêlant à la fois le clubbing, la chanson française et la pop, fondé en 2013 et composé de cinq membres répondant aux pseudos de Maître Clap, Emmaï Dee, La Bête, Mus et Majnoun. Dans la continuité de la sortie de leur premier album « Club 12345 », les cinq ont foulé de nombreuses scènes, enflammant les festivals d’été. Nous les avions rencontrés au milieu des herbes sauvages, lors de la dernière édition du festival La Magnifique Society à Reims, avant de les revoir quelques semaines plus tard sur la scène du festival Rock en Seine.

Vous définissez-vous comme un groupe ou comme un collectif allant au-delà de la musique ?
À la fois groupe et collectif, on est tant dans la réalisation concrète que dans le concept. On s’est rencontrés à Paris il y a un peu moins de dix ans. C’était une grande période ! On venait d’un peu partout : Paris, banlieue parisienne et province, et on débutait nos études. Comme on sortait beaucoup, notamment au Social club et qu’on avait des connaissances communes, on s’est croisés régulièrement pour faire la fête. On s’est rapidement rendus compte qu’on avait de nombreuses affinités musicales, et comme on s’ennuyait un peu on a eu envie de développer un projet ensemble !

Pour vous, cette « grande période » se caractérisait comment ?
On s’est rencontrés à un moment où les gens ne sortaient plus pour ALLER en club mais pour suivre des gens qui organisaient des soirées, comme le collectif « Fils de Vénus ». C’est à cette époque-là que plein de nouvelles musiques sont entrées dans les clubs et se sont métissées. Ce n’était plus l’hégémonie de la techno comme à la grande époque du Rex et du Social club. Plusieurs collectifs avaient donc pu avoir une résidence en club, particulièrement au Social club. Parallèlement, plein de petits clubs, de bars un peu « underground » comme le Club 56, et autres lieux alternatifs dans des entrepôts, se sont développés à Paris et en proche banlieue.

On ressent dans vos titres de multiples influences. Comment travaillez-vous tous ensemble pour les mettre en cohérence ?
On a besoin d’être tous ensemble pour composer, même s’il y a beaucoup de morceaux qui partent d’initiatives individuelles. On a besoin que l’énergie soit collective, donc pour composer on se retrouve tous dans une maison. Tout part du morceau en lui-même et de celui qui le porte, sans processus précis. Les thématiques sont assez personnelles, chacun apporte sa propre histoire et ce qu’il a envie de dire puis tout le groupe se met derrière cette idée là et à son service pour essayer de la pousser le plus loin. On pourrait dire que tout débute de l’idée « de se baigner dans la même eau» avec nos diverses capacités, certains sachant plutôt écrire, d’autres sachant plutôt jouer d’un instrument ou faire de la production.

On crée beaucoup de playlists de musique avec tous les sons qui nous plaisent et nous influencent. L’avènement des plateformes musicales telles que Soundcloud ont en effet joué un grand rôle dans nos diverses influences au moment de la création de notre groupe : toutes les musiques étaient désormais à disposition et se mélangeaient un peu naturellement. Il y avait des genres musicaux qui se succédaient rapidement en club. Par exemple, quand le Baile funk est arrivé au Social club, plein de productions, que personne n’avait entendues, sont arrivées du Brésil, et à ce moment-là des sons qui appartenaient à un style particulier se sont très rapidement retrouvés, en deux mois, dans un autre style et ainsi de suite. Cette capacité de mélange a fortement marqué la musique de notre époque et notre propre musique.

Quel est votre rapport à la scène musicale française actuelle ?
Certains groupes sont nos amis, on est inspirés par les mêmes choses qu’eux mais pas forcément par eux. On n’a donc pas spécialement de lien musical direct sauf avec ceux avec qui on fait des collaborations ponctuelles comme par exemple Vladimir Cauchemar.

Vous préférez plutôt jouer dans les petits clubs ou les gros festivals ?
Peu importe où nous jouons, le tout c’est de créer une énergie particulière, une magie, une communion avec le public par la sueur, de créer LE moment du club ou du festival, même si le public d’un club n’a rien à voir avec le public d’un festival, la démarche et la temporalité étant très différentes.

noussommesbagarre.com
@_bagarre

Crédit image : PE Testard

Ian Caulfield

Ian Caulfield est un jeune chanteur pop au nom rappelant Holden Caulfield, personnage mythique de L’Attrape-Cœur de JD Salinger. À première vue, on pourrait croire qu’il vient de sortir d’un film de Larry Clark. À l’écoute, on ressent la recherche d’authenticité du chanteur, avec des rythmes simples, semblant provenir du Hip Hop, des programmes DIY et une voix rappelant parfois Beach House. Mais c’est ce qui fait le charme de Ian Caulfield, car derrière l’apparence, rien n’est laissé au hasard, tout est voulu et recherché. Nous l’avons rencontré.  

Batteur depuis près de vingt ans, Ian Caulfield a joué dans plusieurs groupes, certains étant tombés dans l’oubli comme Supersocks, d’autres ayant atteint une certaine renommée, à l’instar du groupe pop rémois Rouge Congo. Insatisfait par la vie de groupe, Ian a décidé à l’automne 2017 de se lancer dans un projet solo. « Dans un groupe on n’est pas toujours satisfait de la manière de travailler des autres, il faut faire des compromis, être d’accord avec quelqu’un d’autre et on ne peut pas raconter ce qu’on veut. Et les compromis en musique c’est un peu dur. Avec ce projet, je suis seul, il n’y a pas d’engueulades, je fais mon truc comme je veux. De plus, jouer seul, c’est plus pratique pour faire tourner le spectacle, car ça ne coûte pas cher, ça ne prend pas beaucoup de place, ça peut convenir à beaucoup de salles et faire des premières parties. » Toutefois, Ian n’exclut pas de rejouer avec un nouveau groupe, mais un groupe qui se sera formé autour de son projet : « Si le projet prend de l’ampleur, je pourrai jouer avec des gens que ça intéresse vraiment. »

Plutôt solitaire, Ian a très jeune été plongé dans la musique : « Il n’y a pas de moment où j’ai découvert la musique car mes parents m’en ont fait écouter dès ma naissance. Ce qui m’a marqué ce sont des trucs anglais comme les Beatles puis plus tard les Arctic Monkeys et c’est ça qui m’a donné envie de chanter. » La littérature et l’enfance ont une place centrale dans l’inspiration du jeune Caulfield : « Ce qui m’inspire beaucoup, c’est mon enfance, mon imagination débordante sur tout ce que je découvrais et que j’ai un peu perdue en vieillissant. Je suis particulièrement influencé par un livre qui s’appelle L’Attrape-cœurs, et je me mets un peu à la place du personnage qui est un gamin. Toutes mes influences ne se ressentent pas forcément dans ma musique, mais j’aime bien les films de Woody Allen, la musique pop comme celle de Beach house et le Hip hop de Kendrick Lamar ». Sa playlist idéale s’articule notamment autour de All Alone de Gorillaz, Pile driver waltz d’Alex Turner et By the river de Pi Ja Ma.

Ian Caulfield qualifie sa musique de « pop, cinématographique, vocale en anglais et rythmique ». Pour lui, la composition est presque une quête : « Ça me prend beaucoup de temps à composer.

Il y a une idée qui me vient et je vais jusqu’au bout, même si ça dure deux semaines. » Comme beaucoup de compositeurs, il ne suit pas de schéma prédéfini : « Je compose plutôt à l’instinct. Ça change souvent car je travaille tous les jours sur mes morceaux, j’essaie plein de choses. Souvent, ça part d’un thème à la basse – même si je ne suis pas bassiste – ou de lignes rythmiques, c’est ce qui me lance dans les harmoniques après. Une fois que j’ai une bonne mélodie, j’écris dessus, une ligne, un refrain. En tout cas je n’écris jamais les paroles en premier. » Son premier morceau publié a été produit par Guillaume Brière (The Shoes). « Avec Guillaume on s’était déjà croisés plusieurs fois à Reims. J’avais quelques maquettes que j’avais envoyées au studio du Chalet, et je voulais réenregistrer les morceaux pour qu’elles sonnent mieux. Le studio m’a alors conseillé de faire ça avec un producteur, et j’ai tout de suite pensé à Guillaume. Je lui ai alors envoyé mes maquettes qu’il a particulièrement aimées, et il m’a proposé de m’aider. Du coup, le premier morceau que j’ai sorti début 2018, je l’ai fait avec lui. Ce morceau était destiné à présenter mon projet. Bien qu’il date pourtant de 2016, il représente bien le projet, son univers, ce que je veux défendre. »

C’est surtout en live que Ian Caulfield fait connaître ses chansons, jusque sur les scènes des festivals tels que l’Ami Ami festival en 2017, la Magnifique Society et le Cabaret vert en 2018. « Mon but c’est de faire le plus de concerts possible pour faire connaitre le projet. » Son live, il le conçoit par deux fois à la Cartonnerie, à l’occasion de résidences qui ont eu lieu en janvier 2018 et en mars 2019 dans la SMAC rémoise. Une préparation nécessaire pour Ian : « J’ai le trac à fond au début de mes lives. Les deux premières minutes, je suis un peu terrorisé dans ma tête puis je décompresse. Le fait d’être tout seul sur scène, ce n’ est pas évident, j’ai vraiment peur que les gens s’ennuient. Ce n’est pas comme dans un groupe où chacun peut amener son truc et où il y a une énergie collective. Pour mes premiers concerts solo, j’étais simplement accompagné de guitare et je trouvais ça un peu juste, alors j’ai ajouté un Pad, j’ai fait des choses plus visuelles, en alternant entre guitare, micro… Toutefois, je me suis rendu compte que, mine de rien, la guitare c’est un peu contraignant car je ne peux incarner qu’un personnage. » Pourtant, Ian confie avoir une affection particulière pour chacun de ses instruments. « C’est le copain de ma mère qui m’a fabriqué ma guitare à partir de pièces éparses trouvées sur internet. Elle a un son plus chaud que mon autre guitare qui est une Epiphone. Tous mes morceaux sont séquencés afin de pouvoir jouer par-dessus la guitare et le chant. » Un live a particulièrement marqué Ian Caulfield : « Le live à la Magnifique Society (2018) s’est fait dans des circonstances particulières, car des choses atroces s’étaient passées la veille, avec le décès d’une amie chanteuse rémoise (Paulette Wright), et j’ai beaucoup pris sur moi pour jouer sur scène. J’aurais pu annuler le live, mais si je n’avais pas fait ce live là je m’en serais voulu, car ça a permis aux gens de se voir et se rassembler en ce triste moment… Ce type de live, ça met à l’épreuve ».

Rémois de cœur, Ian Caulfield confie apprécier tout particulièrement la scène musicale rémoise : « C’est beaucoup de talent : The shoes, Alb, Yuksek, les Bewitched Hands, ce sont quand même des groupes et musiciens qui ont mis la barre assez haute ! Quand je suis arrivé à Reims je ne pensais même pas que je pourrais discuter ou collaborer avec eux. Ce qui est bien, c’est qu’ils sont tous accessibles. » Aujourd’hui Ian apprécie particulièrement  Slowglide. « C’est un pote, qui sait extrêmement bien mixer et qui transporte directement, et les Black Bones, un groupe génial, de bons copains, qui ont le don de donner la bonne humeur à tout le monde. » Ian conclut qu’il est très difficile pour lui de parler d’un groupe plus que d’un autre, tant ceux qu’il apprécie sont nombreux à Reims.

Josh Wink

Sortant de scène et abandonnant l’atmosphère extatique d’un public en lévitation, Josh Wink, DJ et producteur américain, souvent vu comme le pendant du DJ et producteur français Laurent Garnier, a, lors de la dernière édition du festival du Cabaret vert, accordé à Process magazine une interview exclusive.

Joshua Winkelman alias Josh Wink est de ceux qui ont bâti la techno US au moment même où la techno européenne faisait danser la jeunesse dans les raves à Berlin, Londres ou Paris et où balbutiait la French touch. Né en 1970 à Philadelphie, Josh s’intéresse très tôt aux sons synthétiques, notamment à ceux joués au piano électrique Wurlitzer. Son premier disque, un vinyle, est Autobahn de Kraftwerk, un 45 tours acheté alors qu’il n’a que cinq ans. Mais c’est à son adolescence que la musique le submerge, notamment le son disco, « une étape vers la House music », puis, la House. « Une des raisons pour lesquelles j’ai voulu devenir musicien, c’est la House de Chicago – plus que celle de New-York –, le son acid house de Chicago, et plus tard l’expressivité de la deep techno de Detroit. » Et dans une moindre mesure les productions de DJs de Philadelphie tels que Cash Money et DJ Jazzy Jeff. Sa première prestation importante de DJ a lieu alors qu’il n’a que dix-huit ans, au club Memphis de Philadelphie, par un pur hasard puisqu’il y travaillait comme barman et qu’il dut remplacer au pied levé le DJ programmé par le club, qui était alors souffrant.

Josh Wink garde encore aujourd’hui une légère préférence pour les clubs alors qu’il se produit dans de nombreux festivals : « J’aime les festivals pour le sentiment de contrôle sur une grande foule. Mais j’aime encore plus le club et son feeling plus personnel, où le public peut se connecter à moi et ne faire qu’un. En club, j’ai plus la possibilité de me concentrer sur les gens et leur état d’esprit, pour qu’ils se perdent dans la musique. » Pourtant, après plus de trente années à mixer dans les clubs, Josh a vu l’esprit du clubbing se transformer. « C’était une culture, quelque chose qu’on cherchait à faire et pour laquelle on vivait tous ensemble, qu’on soit hétéro, gay, black ou blanc, on vivait la culture, la scène. C’était spécial, différent, unique ! Maintenant on a perdu cette singularité, les gens ‘sortent en club’ car c’est une chose ‘à faire‘. Mais c’est encore spécial pour une partie des jeunes aujourd’hui, peut-être plus érudits musicalement que leurs semblables… » C’est en Europe qu’on peut, selon Josh, trouver le mieux cet esprit de club. « J’aime la scène de Berlin, c’est totalement unique ! Tout au long de la journée, tout le temps. Il n’y a pas de règles et les gens se respectent. Ça me fait penser à la scène disco de New-York des 70’s-80’s, très libre et très ouverte, lorsqu’il n’y avait pas d’appareils photo en club et que les gens étaient simplement eux-mêmes et pouvaient se promener nus s’ils le souhaitaient. C’était génial ce laisser-aller ! »

Ce lâcher-prise et ce partage sont portés aujourd’hui par la musique de Josh Wink en club ou en festival. « Pour moi le set idéal, c’est de voir la foule qui se perd dans la musique, avec les yeux fermés, dans le ressenti et l’appropriation… »

Depuis plus de trois décennies, Josh Wink a beaucoup produit, en faisant constamment évoluer sa technique. « Au départ, je n’utilisais que du hardware ou des ordinateurs. Puis, j’ai utilisé des ordinateurs et des samples en combinaison, beaucoup de synthés, en passant de l’analogique au digital. Aujourd’hui j’utilise principalement le digital. Je commence habituellement avec le rythme autour duquel je vais ensuite bâtir ma musique. » Josh confie ne pas être adepte de la routine dans son processus de travail : « Souvent, je vais au studio avec une idée en tête et il en ressort quelque chose de totalement différent. Ce que j’aime en musique électronique, c’est qu’il n’y a aucune règle et que ça change toujours. Ainsi, une erreur peut se transformer en quelque chose d’hyper cool ! » Vous vous souvenez sûrement de ce morceau où un rire s’étirait en boucle du début à la fin – hahahaha hahaha, hahahaha hahaha… – intitulé Don’t Laugh, sorti en 1995 et vous vous êtes, peut-être, interrogés quant à l’origine de ce rire. Josh lève enfin le voile sur ce mystère : « Ce rire était le mien. J’avais joué pendant quatre jours non-stop, et peut être dormi six heures… Je me sentais très inspiré et pourtant, je n’ai pu faire que rire. Alors j’ai samplé ce rire et il est devenu un morceau très populaire dans la scène techno-electro-house. »

En introduction de ce sujet était évoqué Laurent Garnier, qui est de la même génération que Josh Wink. C’est un artiste que Josh côtoie souvent : « Nous sommes de vieux amis, il soutient la musique que je joue et je joue régulièrement des titres qu’il adore jouer. On n’a pas encore prévu de collaboration, mais ça serait cool ! »

soundcloud.com/joshwinkofficial
@joshwink1