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Studio Cartonnerie Reims

La Cartonnerie, Une ruche pour les talents de demain

4000m². Une centaine de concerts par an. Entre poids lourds de la scène internationale et artistes émergents ; bangers du rap français et riffs déchaînés. La Cartonnerie, à Reims, est un lieu de grande mixité, où se croisent des esthétiques de tous horizons. Mais c’est aussi un lieu d’accueil et d’accompagnement, où musiciens amateurs et confirmés viennent pratiquer, répéter, résider. Rencontre avec Guillaume Gonthier qui pilote, en coulisses, cette ruche dédiée à la jeune création musicale.

_Guillaume, en préambule de notre échange, pouvez-vous nous rappeler la vocation de La Cartonnerie ?
La Cartonnerie est une salle de concerts rémoise qui existe depuis 2005. Elle est dotée du label national “Scène des Musiques Actuelles” (SMAC), ce qui suppose trois grandes missions : d’abord, celle de défendre et de diffuser toutes les esthétiques musicales ; ensuite, celle de mener une politique d’action culturelle auprès de tous les publics ; et enfin, celle d’accompagner la création artistique et la scène locale.

_Ces missions sont donc constitutives de votre ligne éditoriale. Sont-elles pour autant bien identifiées du grand public ?
C’est là tout notre travail : les faire connaître au plus grand monde ! Quand j’ai commencé ma carrière dans ce milieu, il y a une quinzaine d’années, les musiques amplifiées* étaient encore qualifiées par certains de “nuisances sonores”.
Petit à petit, le métier s’est davantage institutionnalisé : l’accompagnement des pratiques artistiques, le développement des publics, et l’action culturelle sont aujourd’hui solidement formalisés.

Benjamin Biolay © VinceVDH
La Cartonnerie © DR
Chester Remington, l'un des groupes accompagnés par La Cartonnerie © Margaux Fremaux

_Vous êtes “Responsable de l’accompagnement des pratiques et des publics”, qu’est-ce que ça veut dire précisément ?
C’est très large ! Il y a toute la partie orientée vers le “public” dont s’occupe ma collaboratrice Anaïs Gittinger, qui est chargée de l’action culturelle. Ensemble, on travaille à la médiation et au développement du public, de la petite enfance jusqu’à l’Université, et on intervient aussi auprès de certains publics qui ne peuvent pas venir jusqu’à nous : en EHPAD, en maison d’arrêt, ou dans des instituts médicaux spécialisés. On leur propose des concerts, des ateliers d’écriture ou de composition avec les artistes du cru. Ce qui m’amène à ma seconde casquette : celle de l’accompagnement des pratiques.
Sous ma responsabilité, il y a aussi toute l’activité liée à nos studios de répétition, ouverts tous les jours de la semaine, dans lesquels on peut venir jouer de la musique pour une somme assez modique. 300 projets musicaux s’y croisent chaque année, ce qui représente plus d’un millier d’adhérents de tous profils, tous âges (du lycéen au retraité) et de tous niveaux (de l’amateur qui n’ambitionne pas de jouer en public, jusqu’à Vladimir Cauchemar.)

_Dans ces studios, on vient donc pratiquer, qui que l’on soit. Mais on peut aussi solliciter un accompagnement plus étroit, c’est cela ?
Absolument. On propose 3 dispositifs graduels, en fonction de l’état d’avancée des projets. Le dispositif “répétition” offre par exemple un soutien logistique aux artistes, avec un accès facilité aux studios ainsi qu’à un local de stockage. L’ambition et l’aboutissement du projet nous importent peu ici : c’est l’envie de pratiquer qui prime.
Les dispositifs “Carto Cru” et “Grand Carto Cru” demandent en revanche une véritable implication des artistes pour structurer et développer leur projet : ces deux accompagnements proposent des soutiens spécifiques pour émerger et/ou se professionnaliser davantage.

_Comment choisissez-vous les artistes que vous accompagnez chaque année ?
Grâce à des appels à candidatures, qu’on lance pour ces trois dispositifs.
Les lauréats sont sélectionnés par un jury composé d’une dizaine de personnes officiant dans les métiers de la musique (programmateur·ices, attaché·es de presse, directeur·ices de labels, tourneur·euses). Il y a chaque année 60 à 80 candidatures auxquelles nous faisons systématiquement un retour argumenté.

_Pour les chanceux qui sont lauréats, comment organisez-vous ensuite ce suivi au long cours ?
On se rencontre d’abord pour cerner tous les contours du projet artistique, ses objectifs et son niveau de développement. Puis, on établit ensemble un diagnostic et un programme d’actions séquencé sur l’année. La plupart du temps, les artistes qu’on accompagne ont déjà mené une réflexion sur leur projet et leurs ambitions. Nos dispositifs servent à apporter un soutien spécifique : qu’il s’agisse de travailler la communication en ligne, la méthodologie de démarchage pour trouver des dates, ou encore la création d’une scénographie pour le live.

Bien souvent, nous sommes face à des artistes dont on est le seul entourage professionnel: l’objectif est donc de travailler tous les aspects du projet pour qu’ils s’autonomisent le plus possible.

_Quels sont les jeunes artistes dont vous avez aimé croiser la route ?
Comme ça, à brûle-pourpoint, je pense à Fishback, par exemple, qu’on a accompagnée ici à ses tout débuts. Elle avait d’ailleurs participé à des actions culturelles en EHPAD, un public qui la touchait particulièrement.
Il y a aussi la rappeuse Leys, qu’on a suivie pendant deux années, avant qu’elle ne gagne le prix du jury des Inouïs en 2020, et se fasse connaître via l’émission Nouvelle École, sur Netflix. Je pense aussi au projet indépendant de l’artiste Ian Caulfield, au rappeur San-Nom qui a connu une belle visibilité et à Inward, un groupe de métal très talentueux qu’on accompagne en ce moment.

_Quels sont vos enjeux pour les années à venir ?
La question de l’égalité femmes-hommes reste un de nos axes de développement majeurs: trop peu de jeunes filles se lancent dans des projets de musiques amplifiées. C’est en train d’évoluer, mais il faut y travailler encore, et encore.

Tout comme il nous faut développer un certain public jeune, qui n’a pas pu se créer des habitudes de sorties culturelles, à cause du Covid. Notre enjeu est de leur faire découvrir le concert comme pratique à part entière, complémentaire de l’écoute sur les plateformes de musique. À la fin de l’année dernière, nous avons par exemple lancé des soirées “open mic” : en amorce de certains concerts de rap, on laisse la possibilité à des artistes en devenir de prendre le micro, une minute ou deux. Ça leur permet d’appréhender la performance en public et de désacraliser la scène. Ces soirées rencontrent un vrai succès et commencent à essaimer à Reims, ce qui me réjouit !


*Par le terme « Musiques Amplifiées », on désigne toutes les expressions musicales utilisant l’amplification électrique.

© Sylvere_H

La Cartonnerie
84 rue du Docteur Lemoine, 51100 Reims
cartonnerie.fr
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Marcos Morau déconstruit « La Belle au Bois Dormant »

Il y a des râles, des soubresauts et du bizarre.
Des scènes claustrophobiques, des robes crinoline et des murs couleur sang.
Quand le chorégraphe Marcos Morau s’empare de la
Belle au Bois Dormant, le conte devient un rêve étrange et anxiogène.
Sur scène, 13 danseurs et une princesse née endormie.
Une narration elliptique et une « Belle » qu’on voit vieillir dans sa léthargie.
On se demande alors en écho ce qui est resté en sommeil en nous ? Et quelles sont les torpeurs contemporaines qu’il nous faut combattre. Mais Marcos Morau n’est pas là pour nous aider à répondre. Lui, ce qu’il aime, c’est poser des questions.
Heureuse nouvelle, il se prête aussi très poliment à l’exercice de l’interview.
Preuve en est.

Marcos, vous êtes un artiste protéiforme. Aujourd’hui, je vous interviewe en tant que chorégraphe mais comment vous présentez-vous en étant le plus complet possible ?
C’est toujours difficile de se définir soi-même…
Je me sens artiste, et peut-être plus précisément metteur en scène et chorégraphe.
Fort heureusement, la frontière entre les arts tend à s’estomper ce qui permet d’évoluer et de grandir constamment.

Quel est votre rapport aux contes de fées ? Y en a-t-il un en particulier qui a bercé votre enfance ?
Les contes de fées n’ont jamais vraiment été une source d’inspiration, ni n’ont fréquenté mon imaginaire d’enfant. J’étais au contraire plutôt fasciné par les récits sombres et étranges, par les histoires qui se passent dans des forêts lointaines ou des mondes fictifs. J’ai grandi avec deux frères, et les fées ne m’ont jamais rendu visite.

La Belle au Bois Dormant © Jean-Louis Fernandez
La Belle au Bois Dormant © Jean-Louis Fernandez

Avec La Belle au Bois Dormant, vous partez, pour la première fois, d’une œuvre préexistante : quel défi cela a-t-il représenté pour vous ? Diriez-vous qu’il y a une certaine pression à l’idée de monter une œuvre que le public connaît (ou croit connaître) ?
Ce n’est pas la première fois : j’ai déjà chorégraphié Carmen à Copenhague avec le Royal Danish Ballet et Orphée et Eurydice à Lucerne. Mais c’est en effet la première fois que je revisite un ballet classique. J’ai accepté ce défi car, si les œuvres du répertoire paraissent parfois immuables, on m’a donné carte blanche pour créer une Belle au Bois Dormant, bien ancrée dans notre époque.
Il ne fallait donc pas s’attendre à trouver du ballet classique dans ma proposition, c’était clair dès le départ, mais le projet nous a mené.es au-delà du simple conte de fées.
Au final, j’ai vraiment pu exprimer un point de vue sur cette œuvre dans mon adaptation : c’est là l’essentiel, parler du contexte et de l’époque dans lesquels on crée.
Quant à la question du public, je crois qu’il y a toujours des attentes, et qu’on ne peut pas y faire face. Il faut créer en restant libre et c’est au public de décider d’abandonner ou non ses attentes.

Dans son célèbre livre sur la Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim écrit que « le mérite des contes, c’est de poser des problèmes existentiels en termes brefs et précis. » Quel « problème » ou « interprétation » avez-vous voulu creuser avec cette pièce ?
Les contes de fées ont tendance à être machistes et classistes, à nous parler d’une réalité qui, de notre point de vue contemporain, n’a plus raison d’être.
Cet arc entre passé et présent m’intéresse beaucoup en tant que matière à penser.
Aujourd’hui, j’aime à croire que les enfants peuvent accéder à des récits plus libérateurs, où tout est possible. Il me semble en tout cas que le contexte dans lequel on vit offre suffisamment d’art et d’inspiration pour s’affranchir de ces vieilles histoires qui ne nous représentent plus.

Quelle part laissez-vous à l’improvisation, à l’expérimentation dans votre processus créatif ?
L’improvisation guidée et l’expérimentation sont des éléments fondamentaux de mon processus créatif : ils permettent à la fois de créer des obstacles et des découvertes.
Essayer, essayer encore, trouver la recette magique qui n’existe pas, embrasser la contradiction chaque jour, se perdre en cours de route, s’y habituer pour soudainement tout recommencer. Je pense que c’est dans ce processus-là que je réussis chaque fois à trouver quelque chose de nouveau, à découvrir un autre moi en moi.

Visuellement, où avez-vous puisé votre inspiration pour composer ce monde fermé sur lui-même, entre beauté et étrangeté ?
La direction artistique de mon travail nécessite beaucoup de temps de concertation avec toute mon équipe artistique. La couleur, les matières, les lumières, le traitement de la musique, les décors, la profondeur, etc. J’aime beaucoup élaborer un monde rigoureux dans lequel je peux faire grandir et coexister mes univers. Les inspirations viennent généralement du cinéma, on peut penser ici à Viskningar och rop d’Ingmar Bergman par exemple, mais où viennent aussi s’ajouter la nudité, la destruction et le vide de la matière théâtrale

Le fait de ne pas être vous-même un danseur, permet-il une plus grande liberté avec vos interprètes ? Comment travaillez-vous avec eux, précisément ?
Je dirais même que ne pas être danseur m’offre une plus grande liberté pour communiquer avec eux.
Nous devons à chaque fois inventer ensemble notre dispositif : je peux les guider ou les laisser explorer, leur proposer des pas ou les créer avec eux, c’est à chaque fois différent puisque tout est à créer. On peut aussi parler pendant longtemps.

La Belle au Bois Dormant © Jean-Louis Fernandez

Le journal français Le Monde décrit votre langage chorégraphique comme une « écriture de la cassure, du spasme, [et] de la saccade ». Et vous, comment définissez-vous votre vocabulaire gestuel ?
J’ignore s’il peut être défini. Il y a cette force intérieure qui possède les corps, il y a des turbulences, des changements constants de dynamique, il y a une absence de logique qui, étonnamment, génère une logique en soi. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a une obsession dans tout : la grammaire des corps, le rythme, les regards, les mains, le centre de gravité.
Il y a enfin, cette confrontation radicale entre l’animal qui vit en nous et notre cerveau analytique bien ordonné.

Pouvez-vous nous parler de la musique de cette Belle au Bois Dormant ?
La musique est principalement celle de Tchaïkovski. C’est ce que nous avons gardé de la version du ballet de Marius Petipa. Mais l’ordre, ici, est chamboulé. Ce qui n’empêche pas un séquençage clair : on commence par un prologue qui donne le ton, puis on passe à la naissance, à l’offrande de fleurs, aux sorcières, à la fête (où se déroule la piqûre), puis au chaos qui suit et plonge le royaume dans un sommeil éternel.
Mais la particularité de ma Belle au Bois Dormant, c’est qu’elle dort pendant toute la pièce. Elle est née endormie, elle mourra endormie.
Tout le ballet est donc un rêve autour du ballet original et de la musique, qui n’est pas strictement celle de Tchaïkovski. Cet état général de mystère et de distance nous fait réaliser que cette œuvre n’a rien d’un conte de fées, c’est davantage le rêve d’un conte de fées.

La Belle au Bois Dormant © Jean-Louis Fernandez

Vous dites qu’il est capital que vos créations portent la trace du monde dans lequel vous vivez : quelle est celle que vous avez voulu imprimer dans cette pièce ?
Il ne s’agit pas tant d’une trace que d’un sentiment de responsabilité. J’ai besoin que mes œuvres soient en prise avec mon époque, enfin… tout ce qu’on met derrière « notre époque » si l’on peut en parler ainsi. Tout change, tout passe, tout vieillit.
Pour le moment, ce qui est sûr, c’est qu’il m’est nécessaire de traduire mon monde et de le transformer en petites créations.

En tant qu’artiste, est-ce que vous vous sentez compris ? Et est-ce que vous avez besoin de l’être ?
Être compris, ça ne fait pas partie de mes plans. Comprendre, est un acte trop simple.
J’aime que les gens ressentent.  J’aime bouger, j’aime interroger, j’aime établir des constellations pour continuer à réfléchir et à avancer.

La Belle au Bois Dormant © Jean-Louis Fernandez

La Belle au Bois Dormant de Marcos Morau à l’Opéra de Reims
Vendredi 14 avril à 20h
Samedi 15 avril à 19h
Dimanche 16 avril à 14h30

operadereims.com

Hotel Lux, Le rock toujours vivant

« Lux », calme et volupté… ou l’inverse, sur un canapé anglais à l’hôtel, mais pas uniquement.

Au pays du bon roi Charles III, à la météo vivifiante et aux pubs toujours animés qui pourraient symboliser l’Angleterre, tout comme la sauce à la menthe… un peu vite… trop certainement, le rock n’est pas mort, loin de là : il fait plus que (sur)vivre, il s’épanouit ! Ainsi, de récents groupes (Wet Leg, Yard Act, Frank Carter & the Rattlesnakes…) viennent ravir régulièrement nos oreilles de froggies anesthésiées par trop de rap construit et déversé à la chaine, comme sorti d’un pot de chambre, jusqu’à nous rendre nauséeux et presque sourds… enfin pour certains. Parmi ces groupes de rock qui contribuent à l’écriture des lettres de noblesse du genre en majuscules cursives et élégantes, on peut citer l’ascension d’Hotel Lux*. Typiquement british, rageur, aux paroles acérées, aux sonorités immédiatement reconnaissables, post-punk, pop. On s’imagine presque une pinte de bière brune, rousse ou blonde (peu importe… no comment) en main dégustant un Fish and chips au fond d’un pub anglais animé, un tabloïd posé au coin de la table.

Mis en lumière auprès du grand public via son morceau The Last Hangman entendu sur la BO de la série à succès Peaky Blinders, le groupe de Portsmouth, qui cite parmi ses influences premières, les groupes Blur, Pulp, The Libertines et Pete Doherty, chante l’ennui et le désœuvrement d’une Angleterre working class, les relations familiales, les crimes perpétrés par les tueurs de masse ou les pédophiles, en prenant toujours un malin plaisir à critiquer les habitudes des britanniques, dans l’ombre d’ainés plus illustres tels qu’Idles et Fontaines D.C. Bien que The Last Hangman ait été composé à Fareham, un bourg en périphérie de Portsmouth où ils ont grandi, c’est vers Londres que les regards des membres du groupe se tournent très tôt. Aussi, ils emménagent à Londres dès l’âge de 18 ans, celui où l’on va généralement user ses jeans sur les bancs des amphithéâtres universitaires, et se sont immédiatement intégrés à la scène rock locale. Très vite, les concerts s’enchainent, suivis par la sortie d’un 1er EP Barstool Preaching en 2020 durant le grand confinement, une première tournée en 1ère partie et la parution en janvier 2023 d’un 1er album de 10 titres Hands Across The Creek. Les chansons d’Hotel Lux, ciselées au scalpel de précision, rayonnent de jeunesse tout en offrant un résultat mature, théâtral et visuel donnant souvent l’impression d’être emportés au bord du chaos, invitant à passer la nuit à boire, chanter, danser et baiser… et ne s’en souvenir que le matin à 14h00. Une expérience à vivre le 15 février à La Cartonnerie – Reims.

*Composition : Lewis Duffin (chant) / Cam Sims (guitare-basse) / Jake Sewell (guitare) / Sam Coburn (synthés, guitare) / Craig Macvicar (batterie)

Hotel Lux
15 février à 20h à La Cartonnerie
84 rue du Docteur Lemoine, 51100 Reims
cartonnerie.fr
instagram.com/cartoreims

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Résidences d’artistes en maisons d’opéra : Thomas Nguyen à l’Opéra de Reims

Véritable outil de dynamisation des territoires et d’accompagnement de la jeune création, les résidences en maisons d’opéra se multiplient sur le territoire. L’Opéra de Reims héberge ainsi trois compagnies, dont le Collectif Io dirigé par le compositeur Thomas Nguyen.

Les résidences en maisons d’opéra représentent un mode de soutien privilégié à la production artistique dans sa diversité, comme à la professionnalisation des artistes.
Elles offrent en effet un cadre de travail favorisant la rencontre des artistes émergents avec les publics les plus divers, et cela, au plus près du processus de création artistique. Les artistes et l’institution en retirent des avantages considérables : diversité des créations, circulations nationales des productions, adhésion d’un large public, renforcement de la dynamique artistique de la maison…

À Reims, l’Opéra accueille actuellement trois résidences – Les Cris de Paris, la compagnie lyrique Les Monts du Reuil et le Collectif Io – dans une démarche d’accompagnement professionnel et de diffusion de leurs créations. L’Opéra offre aux artistes un contexte de travail privilégié leur permettant, grâce aux espaces et outils mis à disposition, un renouvellement des formes de création, de production comme de transmission. Les résidences d’artistes sont un soutien clé à la jeune création dans une dynamique d’échanges locaux ou internationaux. Elles permettent également à la structure comme aux artistes d’actionner des leviers afin d’obtenir des financements complémentaires. Champs de liberté, objet de co-construction, force de partenariat, vecteur de liens sur le territoire avec les entreprises, les populations – notamment les plus fragiles – mais aussi les jeunes, ces résidences représentent un instrument important et particulièrement dynamique de politique publique.

En résidence depuis 2018 et jusqu’en 2023 à l’Opéra de Reims, Thomas Nguyen, compositeur, fondateur et directeur musical du Collectif Io, partage son expérience : « En cinq ans il est possible de construire un projet cohérent et conséquent, de multiplier les formes d’opéra. On peut avoir une stratégie dans notre création et effectivement développer des actions de territoire. » Car les enjeux de cette résidence tels que définis par l’Opéra de Reims sont multiples : d’une part la professionnalisation du Collectif Io, l’accord d’une place majeure à la musique de création dans la programmation ainsi que l’ouverture du théâtre au jeune public. Le Collectif dispose ensuite d’une grande liberté d’interprétation de ces enjeux, que ce soit dans la nature des créations ou le type d’actions développées.

« Les rencontres artistiques et partenaires me font réfléchir à ma composition différemment. C’est un processus de collaboration des regards qui favorise l’évolution de ma musique. […] Je me suis libéré d’un certain cloisonnement, me permettant d’accepter le risque et le mélange de couleurs musicales. J’utilise l’acoustique comme l’électrique, des instrumentations particulières qui sont le résultat d’un chemin lié à la résidence et à mon parcours de musicien. »

Longtemps, les contes musicaux et opéras du Collectif Io ont été destinés au jeune public, accompagné d’ateliers et de représentations scolaires. Dans le cadre de la résidence, le Collectif a amorcé un virage vers des créations plus contemporaines et tous publics, notamment en préparant la création de l’opéra-odyssée Xynthia* (d’après Un ennemi du peuple d’Ibsen) aux côtés de l’autrice Valentine Losseau et du metteur en scène Mikaël Serre. Profondément imprégné des enjeux du texte avant-gardiste d’Ibsen, le Collectif Io initie avec ce nouvel opéra une démarche au-delà de la création musicale.

« C’est un projet dont l’objet, les enjeux dépassent le spectacle. Nous nous sommes penchés sur l’approche durable du spectacle et la protection des ressources en eau. Nous allons utiliser des textiles bio, des colorants naturels, repenser la mobilité des spectateurs et des acteurs afin de limiter les déplacements et éviter la voiture. Depuis je m’implique dans des discussions sur la décarbonisation de la culture. Pour aller au bout d’une telle réflexion, l’appui du lieu de résidence, des collectivités et de toutes les parties prenantes est indispensable, c’est un engagement politique des artistes, des structures culturelles, de toutes les équipes. Nous serions allés beaucoup moins loin si nous n’avions pas été en résidence. »

*Xynthia, à découvrir à l’Opéra de Reims à l’automne 2022.

L’Enfer, Son et image selon Prieur de la Marne

La première fois que j’ai entendu parler de Prieur de la Marne, il venait de signer son Coup de Jarnac. Un mix autour des années Mitterrand conçu comme un film, toute une mémoire collective résumée par ses musiques et des extraits d’archives. On se serait cru à la radio mais aussi dans une soirée : on passait de France Gall à NTM et sur le Requiem pour un con de Gainsbourg s’enchainaient les voix de François Mitterrand, celles de la génération de nos parents, des reportages d’euphorie et d’autres plus douloureux. On devinait une cinéphilie réelle, le goût des livres aussi.  A l’occasion des 40 ans du Centre Pompidou, je l’invitais à refaire un peu le même coup, mais en public et pour France Culture. Voir une salle littéralement décoller et participer à cela, ça ne s’oublie pas.
Nous avons travaillé encore ensemble à différentes occasions, mais Guilhem garde toujours sa part de mystère. J’ai découvert plus tard ses cinémix brillants autour de L’Enfer, Freaks ou Playtime. Il a fallu deviner petit à petit le lien qui l’unissait au groupe The Shoes comme à Vladimir Cauchemar, les raisons de sa passion pour les détails qui tuent, comme un mouchoir brodé ou les cartes de vœux. Moteurs récurrents à tous ses projets : le goût de l’ivresse et la nostalgie. Je crois que tout a commencé vers 2015 avec ses edit pour le label Alpage, puis des mixtapes intrigantes ; petit à petit se dessinait une silhouette un peu à la Corto Maltese du son, mais la barbe fleurie et les yeux couleur absinthe.
Voilà vous en savez à peu près autant que moi ; l’occasion de le retrouver ici c’est aussi l’opportunité d’en savoir plus sur son parcours, sa façon de travailler.

Né en 1975 à Reims, Guilhem Simbille a grandi en Corrèze. Longtemps graphiste indépendant, il se fait connaitre comme directeur artistique du festival Elektricity. Son travail de DJ sous le nom de Prieur de la Marne prenant de plus en plus de place, il a désormais décidé de s’y consacrer exclusivement.

D’abord pourquoi avoir emprunté le nom de Prieur ? J’imagine qu’on te renvoie souvent à cette histoire chargée… (Pendant la Révolution Française, Pierre-Louis Prieur, dit Prieur de la Marne, était membre du Comité de Salut Public et député de la Marne en 1789)

Oui, on m’y renvoie souvent. J’ai choisi ce patronyme pour son côté aristo. Et puis c’était la mode de prendre des noms qui te rapprochaient de ton territoire (n’est-ce pas Lorraine Bancale ou Roger de Lille). Par la suite je me suis intéressé au parcours de ce bon vieux Prieur de la Marne et je me suis mis à façonner ce personnage. Mais il n’est qu’une projection de l’homme que j’aimerais être dans la vie. Un fier-à-bras, sans peur mais avec quelques reproches. Je lui ressemble un peu mais il y a des nuances… je suis beaucoup plus mélancolique que lui par exemple.

Comment as-tu été amené à travailler ce mélange de musique et de voix parlées ?

Je ne sais plus trop. Ça a dû naître d’un accident. J’ai surement essayé de poser un discours de Mitterrand sur un sample d’Yves Simon et j’ai dû penser que ça sonnait bien. J’ai tiré sur le fil… D’ailleurs l’image résume assez bien mon travail : un fil que je tends devant moi, au risque de me faire mal plus souvent qu’à mon tour.

Tu travailles sur des projets très différents mais toujours à partir des mêmes matières : les voix parlées, la musique, l’image. Avec le temps tu as développé une méthode ?

Non puisque je change de méthode à chaque projet, pour me redonner la chance du débutant. Avec « Super 8 » tout est parti des textes (Romain Gary, Paul Nizon, Marguerite Duras ou Apollinaire) qui devaient servir le récit d’une histoire assez intime. Puis je cherchais les voix que j’imaginais bien avec : Zabou Breitman, Augustin Trapenard ou Barbara Carlotti…
Alors que pour « L’Enfer » je suis d’abord sur les images, ensuite sur la musique. Et c’est un projet qui continue encore à évoluer avec de plus en plus de théâtre autour : un lit à barreaux ou un train électrique qui tourne sur scène… Comme toujours côté musique je n’ai aucun dogme, sinon mes goûts personnels : on passe du piano de Clara Haskil à un remix de Marvin Gaye, puis à un kick de Mr.Oizo…
Enfin tout dépend si le montage audio et vidéo sont élaborés en même temps. Seul impératif : je travaille toujours seul, au calme. Mais ça je peux le faire un peu partout : le plus souvent dans un canapé, avec un casque et mon ordinateur.

Ton carnet d’adresse est bien rempli : tu arrives à avoir les voix de Christiane Taubira, de Sophie Calle, J-C de Castelbajac ou Philippe Katerine. Le ou la plus difficile à convaincre c’était qui ? 

Pour être tout à fait honnête, je n’ai jamais rencontré de difficultés particulières pour obtenir un enregistrement… Il se peut que je sache me montrer très sympathique et/ou diablement persuasif. Je ne sais pas.

Le cinéma est partout chez toi : quels ont été les premiers souvenirs marquants, ta scène primitive ?

Il y avait une salle de cinéma à Reims qui s’appelait l’Opéra (avec une façade art déco remarquable), mon grand-père m’y emmenait ; il avait le droit de fumer des clopes dans la salle, ça a dû jouer sur la suite.
Mon premier grand souvenir ce doit être « La Chèvre ». Non seulement c’était la séance du soir mais le comble c’est qu’en sortant on est allé dîner au restaurant. La folie pour l’enfant que j’étais. Sinon le film reste à mon avis une des meilleures comédies françaises. Je me souviens surtout de « Dream On » au début des années 90, j’étais un fan assidu. En gros la série racontait les déboires sentimentaux de Martin, un quadra divorcé de Manhattan. Pour chaque situation incongrue ou embarrassante, un extrait de film lui venait en tête. Je pense que c’est à ce moment-là que je suis devenu curieux. Aujourd’hui encore je regarde plusieurs films chaque jour. Quant aux séries, je n’en parle même pas, mon planning est plein jusque fin août… 

Pourquoi L’Enfer alors ? 

D’abord parce que j’adore les films de Clouzot : « Le Corbeau », « La Prisonnière »… Je savais que des images de son film inachevé « L’Enfer » circulaient, mais c’est le travail de Serge Bromberg (un livre puis un documentaire) qui a tout réactivé. Quand j’ai reçu une commande pour la Nuit des Musées, j’ai tout de suite pensé à « L’Enfer ». En plus j’avais avec moi le livre de Serge Bromberg.
Je suis entré en contact avec sa boite de production et ils ont été adorables me donnant leur autorisation mais aussi accès à des rushes inédits. Au départ je ne devais le présenter qu’une fois. Quatre ans après, je tourne toujours avec. J’avais choisi ces images pour leur beauté et ce côté hyper moderne. Être parvenu à faire de ce projet quelque chose qui m’inspire encore chaque jour est une grande victoire pour un type comme moi.

Quel a été ton fil conducteur pour ce cinémix qui tend désormais vers le théâtre ?

Je me suis dit qu’il ne fallait surtout pas que je parte du scénario de Clouzot, ni du remake de Chabrol. Je voulais simplement raconter une journée et une nuit du personnage joué par Serge Reggiani, ce mari jaloux qui glisse vers la folie. J’ai fait le montage vidéo en même temps que je faisais le mix audio. J’ai failli devenir fou, les images me réveillaient la nuit.
Pour chaque projet j’ai un carnet d’intentions, là je savais où j’allais pour la musique : Broadcast, Stereolab… je voulais une séquence avec une grosse montée (pour laquelle j’ai utilisé Oizo et I:Cube). Je me suis immédiatement mis à travailler dessus. Je savais aussi que je voulais faire une séquence de transformation : comme dans le film on passe par le noir et d’un coup les couleurs surgissent avec les visions nocturnes. 

Ce fil c’était aussi la voix de femme qui raconte ?

Dès le départ je savais que je passais par une voix off avec un grain particulier : j’avais écrit des petits morceaux de textes en même temps que je montais. Jacqueline Chalon-Sainte-Croix m’envoyait dans la nuit des morceaux de lectures qu’elle enregistrait au fur et mesure sur son téléphone. J’aime bien ce côté Lo-Fi du dictaphone.
Plus tard quand j’ai présenté cette première version au cinéma le Louxor à Paris, Élodie Frégé, que je ne connaissais pas alors, est venue me voir, visiblement secouée par cette histoire de folle jalousie. On a décidé de prolonger l’aventure avec sa voix sur scène. Elle a amené un truc de malice autour du personnage joué par Romy Schneider et c’est devenu un spectacle vivant.  Alors que jusque-là j’étais planqué dans le noir, j’ai dû me mettre en avant aussi avec elle. 

Et cette voix de muse a encore changé, après Elodie Frégé c’est désormais Kate Moran : qu’est-ce qu’elle apporte ici ?

Sur « L’Enfer » Kate a apporté une réelle mise en danger, une si curieuse façon d’occuper l’espace et de jouer avec la musique, les images et moi. Je ne lui ai rien montré de ce qu’était ce spectacle auparavant. Je ne lui ai donné aucune indication. Je voulais fragiliser un peu cette performance et lui donner un souffle nouveau. Kate a proposé des choses assez folles, qui ont dépassé toutes mes espérances. On a répété deux heures et c’était dans la boite. Et là je pense qu’on est encore à peine à la moitié de nos possibilités. C’est un ravissement que de travailler avec elle.

"L'Enfer", selon Prieur de la Marne, avec Kate Moran.

La voix avec laquelle tu rêves de travailler ? 

J’adore la voix de Mathieu Amalric et celle d’Aurélie Saada (Brigitte) me bouleverse. Récemment j’ai eu un crush sur celle de Lou de Laâge. Mais la voix ultime, c’est évidemment celle d’Anna Mouglalis. On a failli travailler ensemble. C’était bien engagé et pour des questions de planning, ça n’a pas pu se faire. Elle et moi avons une passion commune pour Pier Paolo Pasolini. C’est sur mon projet « Oggi » que nous envisagions de collaborer.

Ce projet autour de Pasolini il raconte quoi ? 

J’entre dans une saison de la vie où, par la force des choses, je suis plus touché par des auteurs ou des poètes que par des artistes de pop. Je ne peux décemment pas rester un éternel fan de Robert Smith ou de Drake (note : il a un titre de The Cure et un autre de Drake tatoués à un endroit que nous ne saurions citer ici). Mon précédent projet, « Super 8 », m’avait fait opérer un glissement vers quelque chose de plus littéraire dans mon travail. « Oggi » m’a permis de me débarrasser de certains poids qui pesaient sur mes épaules. Comme cette angoisse vespérale de vieillir seul sans rien pouvoir y faire.
En consacrant plusieurs mois à l’œuvre et au parcours de Pier Paolo Pasolini, pour la création de « Oggi », j’ai appris plus sur moi que lors des 25 dernières années. Et ma fascination pour cet homme, cet animal politique et sa pensée n’ont fait que croître.

Mixer alors c’est forcément politique ? 

Dans mon cas ça l’est devenu, notamment avec « Candidats », la série que je produisais pour France Culture. Tous mes projets, que ce soit sur scène ou sur internet, constituent des manifestes. Dans « L’Enfer » je suis dans le malaise anxieux de Marcel (le personnage du mari jaloux joué par Serge Reggiani) et je souffre avec lui. Mon projet autour de Pasolini est une déclaration d’amour et une adhésion totale à sa pensée et même, en un certain sens, une manière de la prolonger tant elle est contemporaine.

Je me souviens aussi t’avoir vu mixer seul, perché sur une chaise d’arbitre de tennis. Dans la relation avec le public il y a forcément une distance nécessaire ?

Partant du principe qu’il n’y a rien de plus boring que de regarder un DJ mixer, je devais trouver un subterfuge. La chaise d’arbitre, non seulement c’est un redoutable dispositif anti-request (personne ne peut venir me demander tel ou tel track) mais ça rend le public fou. Les gens ne sont plus face à une scène mais autour du DJ. Ils t’offrent des verres, voyant que tu ne peux pas te déplacer… Enfin ça c’était dans le monde d’avant.
Là je reprends un peu de service en tant que « DJ entraineur » avec un nouveau set qui va s’intituler « Variété Club ». Ce sera un bal populaire, légèrement augmenté, avec de la vidéo qui parle à tout le monde. Et comme son nom semble l’indiquer, le Variété Club sera un subtil mélange de variété et de musique de club…     

La plus belle chose que tu aies entendu dernièrement c’est quoi ?

Je vais te faire une réponse à la manière de Pierre Henry. Je crois que c’est le son d’une mésange au carreau de ma fenêtre. C’était au début du printemps, dans une pièce carrée, au sommet d’une tour d’un château espagnol, dans laquelle je tournais en rond.
Plus sérieusement j’ai flashé récemment sur un morceau de Labrinth « See You Assholes later » et sinon « Swanky Mode » de Jarvis Cocker, même si ça date un peu.

Il y a aussi une dimension funéraire dans ton travail : ton épitaphe idéale ce serait quoi ?

Drake encore : « If you’re reading this it’s too late » ou Reggiani toujours : « Il suffisait de presque rien. »

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L’Enfer selon Prieur de la Marne, avec Kate Moran
Jeudi 12 mai à 20H à La Cartonnerie
84 rue du Docteur Lemoine
51100 Reims
cartonnerie.fr / @cartoreims

 

Propos recueillis par Matthieu Conquet
Matthieu Conquet : producteur de l’émission « Et je remets le son » sur France Inter, Matthieu Conquet écrit également pour le journal Libération. Depuis 4 ans chaque été il réalise « À la Loop » pour l’émission 28 Minutes sur Arte.

Hervé : « Je suis un bricoleur qui touche à tout »

Venu des terres de Bretagne et ayant grandi en région parisienne, Hervé a créé un univers qui brouille les pistes temporelles et transporte l’auditeur entre le Madchester des 80-90’s et la chanson française affiliée à Gainsbourg ou Bashung. Évoquant des thèmes bien ancrés dans notre époque comme le trouble des sentiments ou la santé mentale il a su attirer un public nombreux avec des morceaux mélangeant textes poétiques et énergie dancefloor dont le déjà bien connu Si bien du malque beaucoup ont découvert durant la période de confinement sanitaire, grâce à une pub TV de café ou au clip réalisé dans sa cuisine par le chanteur, largement partagé sur les réseaux sociaux. Process Magazine a rencontré Hervé cet été dans le cadre bucolique du festival La Magnifique Society.

Quel fut ton premier souvenir marquant en matière musicale ?
Il s’agit du son du piano, entendu enfant, sur une compilation de standards de musique classique. En écoutant ce disque j’ai ressenti une émotion extrêmement forte qui m’a complètement transcendé. Je mimais alors le jeu du piano sur la table, mais sans vraiment savoir comment ça allait s’exprimer car il n’y a pas de musicien dans ma famille. Voyant mon intérêt, ma mère a acheté un piano d’occasion et j’ai commencé à aller à l’école de musique de ma ville pour apprendre l’instrument. Mais j’ai eu comme une forme de dyslexie qui m’a obligé à arrêter les cours d’enseignement classique. Cette forme d’enseignement de la musique était impossible pour moi. J’ai toutefois repris l’apprentissage plus tard, différemment, en autodidacte, durant mon adolescence, avec un synthé acheté au supermarché du coin, qui comportait plein de sons préprogrammés.

Quels sont les artistes qui t’ont inspiré dans ta construction artistique ?
Ça va de la scène anglaise des années 80-90 avec les Happy Mondays et New Order, jusqu’à la techno allemande, en passant par la 1ère génération de French Touch, avec notamment les Daft Punk et DJ Mehdi. Ce sont ces derniers qui m’ont donné envie de faire de la production. En fait, je suis de la génération « Ed Banger » car j’avais 15 ans au moment où ça clubbait fort, notamment au Social club.

Tu as déjà une production bien prolifique…
En effet, j’ai sorti le 1er EP de Postaal (duo formé avec le britannique Dennis Brown, ndlr) en 2016, puis l’album en 2018, mon 1er titre solo fin 2018, puis mon 1er EP en mai 2019, et l’album en juin 2020. Enfin, j’ai sorti la réédition de l’album augmentée de quelques titres en février 2021. L’ajout de ces cinq titres composés durant Noël était hyper important pour moi afin d’attaquer l’année avec de nouvelles choses. Je savais que j’allais aux Victoires de la musique et je ne voulais pas m’y rendre seulement pour faire acte de présence et me dire que j’allais être plus connu seulement en y étant présent avec de belles fringues. Je voulais qu’on parle de musique !

Quel a été l’impact de la pandémie dans ton programme initial ?
Instinctivement j’ai dû m’adapter à la situation particulière qu’on a vécue durant cette période, surtout le premier confinement. Je venais d’écrire mon album, de le produire et le mixer en grande partie à la maison, presque comme en confinement, dans ma chambre. En revanche, la situation a complètement bouleversé mon programme : l’album devait être lancé en mars 2020 et je devais débuter une tournée. Finalement, l’album est sorti trois mois plus tard. J’aurais très bien pu attendre et le sortir en septembre, au cas où l’on aurait pu tourner, mais c’était important pour moi qu’il sorte comme ça, et ça m’a poussé à reprendre ce que je faisais pour Postaal en matière d’image. Ça m’a ramené à ce que je suis, un bricoleur qui touche à tout : écriture, composition, production, image. Ainsi j’ai fait trois pochettes durant le confinement et j’ai filmé mon clip à la maison, le tout avec un IPhone. Il y avait des deadlines qui arrivaient très vite et qui changeaient tout le temps : encore deux, quatre, six semaines… avec des dates butoirs variables. Ce fut assez fastidieux dans ces conditions de mener l’album jusqu’à sa réédition. Je devais avoir une chorale sur Monde meilleur qu’on a dû remplacer par des voix de gens qui me suivent et qu’on a ensuite crédités. C’est Alex Gopher qui a travaillé en studio sur l’album et les a rentrées en mastering. L’Olympia avait été annulé, du coup on l’a fait en vidéo. Je me suis sans cesse adapté. Ça a vraiment été une année complètement folle !

Quelle voie suis-tu pour composer ?
Il y a un processus difficile à analyser, mais j’ai toujours avec moi mon ordinateur, un dictaphone, mes notes, des morceaux de textes ici et là et du son très fort autour de moi. Ça part souvent des batteries, des rythmiques, des tempos, et ensuite je brode. Je compose tout à l’ordinateur, puis les parties sont ensuite jouées par des musiciens. Pour le live, je retravaille beaucoup le son. C’est une sorte de musique électronique rejouée avec de vrais instruments. Il y a l’ambition que le son ne soit pas celui du disque cloné, mais que ce soit le son du disque en mieux. Tout est pensé comme ça. C’est primordial pour moi, car je sais que derrière je vais prendre beaucoup de plaisir sur scène, danser, aller chercher le public et entrer dans une forme de transe.

Quel fut ton rapport avec le public durant la pandémie ?
Il y a eu des accélérateurs : l’Olympia filmé, les concerts TV sur Culturebox, la pub de café, la Victoire de la musique… Tout a servi le projet et a permis de toucher des publics différents.

Comment as-tu vécu la reprise du contact avec le public ?
Ça fait du bien ! En configuration actuelle, c’est un autre chemin vers le son et le public. Là, on fait cinq dates par semaine et c’est un sacré bazar.

Qu’écoutes-tu le plus en ce moment ?
J’écoute The Clash, Squid & Martha Skye Murphy pour Narrator, le titre qu’ils ont fait ensemble, Fontaine D.C. et Soulwax. Je trouve qu’en ce moment il se passe quelque chose d’ultra intéressant et de beau outre-manche, qui avait manqué depuis les années 2010, avec notamment Sleaford Mods et Idles. Je me régale !

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Serpent, Sang froid pour musique chaude

Au début des années 2010, Lescop nous entrainait dans son univers pop en nous faisant musicalement atteindre l’au-delà de sonorités spectrales à l’ambiance glacée, claquant comme une déflagration de pistolet. Aujourd’hui, c’est pour un tout autre projet qu’il vient sur la scène du festival La Magnifique Society – Extra Life ! le 26 juin 2021 avec le groupe Serpent, dans lequel il chante. Là, l’univers est plutôt FPunk, mélangeant habilement le Funk et le Punk Post-Pandémie, joueur et jouissif comme un hymne à la (re)vie. Échange à l’heure du café avec Mathieu Peudupin, alias Lescop.

Serpent, ce sont cinq membres avec en première ligne Mathieu Lescop, qui cherchait à retrouver le rapport direct à la composition collective et spontanée : « J’ai fait le conservatoire pour être acteur et c’est un peu par hasard que je suis devenu chanteur, même si j’ai toujours eu envie de chanter et d’improviser. Après une belle expérience en solo je m’ennuyais et je voulais faire de la musique différemment. Ça me manquait de composer en groupe et de tirer la langue au côté froid de la New Wave sombre où je commençais à ne plus être vraiment à l’aise. »

Avec Wend¥ Kill à la batterie, Martin Uslef et Adrian Edeline aux guitares, et Quentin Rochas à la basse, c’est en mai 2019 que naît Serpent, à Paris. « Alors que Wend¥ collaborait déjà avec moi depuis longtemps, j’ai rencontré Adrian à la Philharmonie de Paris et le groupe s’est constitué au fur et à mesure. Ce sont tous des musiciens chevronnés qui sont aussi bien capables de jouer du Rock, du Jazz ou du Classique. Dès notre première répétition, on avait déjà près de trois morceaux. »

Comme une évidence, l’image du Serpent leur vient à l’esprit, celle-ci se conjuguant alors particulièrement avec leur funk froid et leur punk hédoniste en cours de construction. « Le nom Serpent ramène à l’animalité, à l’intuition, à l’efficacité et aux émotions binaires. C’est un animal qui fascine et hypnotise… comme notre musique », précise le chanteur.

Comme une échappatoire à la noirceur d’un monde morose où les rapports humains sont mis sous cloche et où chacun s’est mué en spectre sans visage, le studio de répétition s’est alors transformé en salle de jeu joyeuse et (ré)créative pour le groupe : « Nous sommes un peu joueurs et on s’amuse beaucoup. L’alchimie a pris entre nous et on travaille avec intuition, envie et amusement. C’est très enfantin, on est un peu comme ‘de petits chatons’. Notre processus créatif est bordélique. Nous partons de l’improvisation d’un morceau. À la fin, un autre le poursuit, on se cale tous dessus et au bout de deux minutes trente, soit ça nous plait et on a un nouveau morceau pour notre répertoire sur lequel on continue à travailler, soit on arrête. On a déjà écrit plein de morceaux qu’on souhaite jouer en Live pour les confronter à la scène et au public avant d’aller en studio pour notre premier album (un premier EP intitulé Time for a rethink est sorti en décembre 2020, ndlr). »

Ici, les paroles en langue de Shakespeare remplissent leur rôle musical, détachées de leur simple signification : « L’anglais fonctionne bien avec notre musique qui ne se veut pas trop intello. Comme je maîtrise mal l’anglais, c’est de la ‘maçonnerie’, c’est brut, je vais à l’essentiel, et c’est plus rigolo ! ». Énergiques, elles sont l’accent sur le E d’être.

La crise sanitaire n’a pas eu d’incidence négative – au contraire – sur le processus créatif de Serpent. « Même si c’est frustrant de ne pas se confronter au public, il y a quelque chose à tirer de cette frustration. On a partagé ça avec tout le reste de l’humanité. On a donc tous le droit d’être contents de reprendre les concerts. »

Pour l’avenir, Serpent se verrait peut-être bien « explorer de nouvelles choses et de nouveaux instruments ». Toujours en mouvement, il glisse vers de nouvelles perspectives, sans s’arrêter, hors d’un monde anxiogène et troublé qu’il est grand temps de repenser. Derrière les nuages noirs, le ciel est toujours bleu.

La Magnifique Society
25-26-27 juin 2021
Parc de Champagne, Reims
lamagnifiquesociety.com
IG : @lamagnifiquesociety

Balthazar : « On est encore très naïfs et c’est important pour faire de la musique. »

Balthazar est un groupe de pop originaire de Courtrai (Belgique), fondé en 2004. Composé de Maarten Devoldere (chant, guitare, clavier), Jinte Deprez (chant, guitare, violon), Patricia Vanneste (violon, synthé, chant), Simon Casier (basse, chant) et Christophe Claes (batterie), le groupe produit un son reconnaissable par l’utilisation du violon mêlé au synthétiseur. Process a rencontré Balthazar autour d’une bière belge à l’occasion de son live lors de l’édition 2021 du Festival Face B (Cabaret Vert) « Still A Live ».

Comment êtes-vous tombés dans la musique ?
Jinte : J’ai suivi un parcours cliché et pas super rock n’roll. Enfant, je suis passé par une école de musique où j’ai appris le violon.

Maarten : De mon côté, j’ai accédé à la pratique musicale en autodidacte. Mon grand frère jouait de la guitare et il m’a appris quelques accords, puis j’ai commencé à écrire des chansons.

À la fondation de Balthazar, quelles étaient vos aspirations artistiques ?
M : Au départ, Jinte et moi jouions dans la rue, dans la même ville, mais nous ne nous connaissions pas car on jouait dans des quartiers différents. Puis nous nous sommes rencontrés à l’occasion de performances et nous nous sommes rendu compte que nous jouions, chacun de notre côté, de jolies chansons en boucle et que cela devenait ennuyeux. Nous nous sommes donc réunis, ce qui nous a donné d’emblée six chansons, et était plus amusant ! Toutefois, quand on a commencé le groupe, notre but ultime dans la vie était de jouer dans les bars locaux et de vivre de notre musique. On ne pensait pas qu’on se retrouverait à jouer sur de grandes scènes et dans les festivals.

J : On était très jeunes au commencement de Balthazar. Même avec le recul on ne réalise toujours pas complètement notre parcours. Par chance, on est encore très naïfs et c’est important pour faire de la musique.

Avez-vous des maîtres à penser en matière de musique pop ?
M : Nous aimons la musique des 60’s-70’s, notamment John Lennon, Serge Gainsbourg et le Velvet Underground. Nous sommes également inspirés par beaucoup de choses, et on ne choisit pas toujours ses influences… La moindre petite chanson (même particulièrement médiocre) qui passe à la radio peut rester dans nos têtes et on peut en faire quelque chose.

Par quelles étapes passez-vous pour composer votre musique ?
J : Nous composons à deux avec Maarten. Nous écrivons tous les deux les textes et la musique, sans division des tâches. C’est un travail solitaire au départ, car nous travaillons chacun de notre côté jusqu’au point où nous échangeons sur les mélodies et les paroles de chacun. On peut dire qu’on écrit chacun une chanson que nous combinons ensuite en une seule. En fin de processus, nous mixons nos idées, puis les autres membres de Balthazar apportent leur point de vue au moment de l’enregistrement et ça devient une création de groupe.

M : Nous composons énormément de musique et aujourd’hui nous avons une importante bibliothèque de sons avec laquelle nous pouvons faire un album et laisser la magie opérer. D’une certaine manière, nous sommes tous le producteur de l’autre quand il s’agit d’écrire des chansons et ça finit toujours par apporter quelque chose d’inattendu. Parfois on part des arrangements, parfois d’un riff de guitare, parfois on donne toute liberté au reste du groupe, et c’est ce qui est passionnant, après cinq albums, de pouvoir expérimenter et découvrir tout en sachant d’expérience ce qui fonctionne bien ou pas pour nous.

J : Un album est d’une certaine manière une collection de morceaux interdépendants. Ils apportent à chacun un contexte et une dimension qu’ils n’auraient pas seuls. Comme je le disais, c’est une création de groupe en fin de processus, en studio. Or, pour Sand, notre dernier album, on a dû improviser du fait de la crise sanitaire, car nous ne pouvions pas jouer avec l’ensemble du groupe en studio comme nous l’avions imaginé à l’origine. On a donc a dû finir l’album d’une drôle de manière, avec une formation moins « live », en utilisant des rythmes électroniques et beaucoup plus de synthétiseurs puisque nous ne pouvions pas tous être présents lors des enregistrements. D’un coup, l’album a été radicalement différent de ce que nous imaginions lors de son écriture, et ce fut une belle surprise !

De quelle manière testez-vous les nouveaux morceaux ?
J : On ne sollicite pas d’opinion extérieure, sauf parfois quelques amis, car si on aime vraiment un morceau tous les deux avec Maarten (ce qui est assez rare) c’est qu’il doit être suffisamment bon pour figurer dans l’album.

Vous travaillez beaucoup les morceaux entre la version album et la version live ?
J : Une fois qu’on a enregistré l’album et qu’on se met en répétition, on sent très vite si certaines mélodies sonnent mieux avec tel instrument plutôt qu’un autre, même si cela a été enregistré autrement. On aime expérimenter sur la durée de certaines mélodies et sur la répartition des rôles. On aime également ajouter quelques détails assez subtils… En tout cas, ce n’est pas une copie conforme de l’album.

Comment et avec qui travaillez-vous sur vos pochettes d’album ?
J : On a plusieurs approches. Pour la dernière, on avait vu une photographie sur Internet, on ne savait pas ce que c’était ou ce qu’elle représentait, mais on aimait beaucoup l’effet catchy de l’image. On a cherché à en savoir plus sur l’artiste, une sculptrice néerlandaise, et on lui a demandé si on pouvait utiliser l’image de son œuvre car elle était raccord avec le message de notre album Sand.

M : On n’a pas comme Radiohead un ami qui fait toutes nos pochettes, mais on a plein d’amis photographes. Ainsi, pour Rats par exemple, on avait demandé à un ami photographe si on pouvait utiliser sa photo.

Comment avez-vous vécu l’arrêt des concerts à cause de la crise sanitaire et quelles sont vos émotions en retrouvant le public ?
J : C’était bizarre de sortir un album en janvier / février sans pouvoir voir en live la réaction du public. Et maintenant ça reprend avec cet album groovy et fait pour le live qui est parfait à jouer en festival.

M : On est très heureux de reprendre les concerts. C’est très bizarre, c’est comme se réveiller d’un coma, et d’être de nouveau vivant. On était depuis 10 ans habitués à être toujours en tournée et c’était notre vie. Soudain, on s’est retrouvés bloqués à la maison durant un an et demi. Alors aujourd’hui, on mesure encore plus notre chance de pouvoir jouer en live et on ne prend pas ça pour acquis !

Avez-vous une anecdote à nous raconter à propos d’un de vos concerts ?
M : Lors d’un concert en Afrique du Sud nous avions une scène installée sur un lac. Il y avait de l’eau entre nous et le public. La scène s’est effondrée et Simon, notre bassiste, est tombé à l’eau avec sa basse. Après une demi-heure d’efforts, nous avons enfin pu repêcher la basse. Elle était abimée mais elle fonctionnait encore, et, chose étonnante, elle avait un son incroyable, superbe ! Nous avons ensuite enregistré tous les morceaux des albums suivants avec cette basse, dont le son a été magnifiquement transformé par l’eau. Alors nous la chérissons et avons maintenant une assurance pour cette basse qui fait notre son unique. Si nous la perdions, nous serions très mal !

balthazarband.be
instagram.com/balthazarband

La Magnifique Society 2021, Retour sur le tapis vert

Ici, nous ne vous parlerons pas de Baccara ou de Craps. Point non plus d’agent de sa majesté en Black tie. Nous vous parlerons de festival, plus précisément d’un festival bucolique et urbain, une parenthèse magnifique, une société du partage et de rencontres. Partage de sensations, rencontre avec de nouvelles esthétiques musicales. Une bouffée d’air pur après plusieurs mois de quasi-mort sociale pour beaucoup.

Même assis sur des chaises autour de tables à l’heure du thé pour écouter pop, rock, rap ou électro, cette 4ème édition bis va permettre au public de ressentir à nouveau le frisson des concerts en live, en leur temps présent, avec une grande pensée pour leurs ainés d’âge avancé cloués sur une chaise.

© Joel Dera Photographies, Les Musicovores

Alors, suspendons le temps, tentons de vivre une sorte d’idéal éphémère de beautiful société au public nyctalope et masqué, en quelques heures, quelques jours, fait de musique, de paix et d’amour…

Pour vous mettre l’eau à la bouche en ces quelques lignes, la Magnifique Society 2021 sous sa version revisitée intitulée « Extra Life » accueillera une vingtaine d’artistes, dont, le 25 juin, la chanteuse Pomme, victoire de la Musique 2021 et Yuksek qui, après la sortie de son dernier album Nosso Ritmo en 2020, dans lequel il clame son amour du Brésil et des synthés, offre un début d’année 2021 plutôt prolifique avec notamment la signature de la BO de la série à succès « En thérapie » et la sortie de l’album de son nouveau side-projet Destiino où le pseudonyme Yuksek ne figure pas. Le 26 juin, ce sont Vladimir Cauchemar, au masque précurseur et peu avare de pipeau qui enflammera avec son électro percutante et entêtante et son skull smile les tablées de l’Evénement Hyper Particulier Artistique et Démoniaque qu’offrira la « nuit » festivalière de 2021. Le même jour, Philippe Katerine pourra imaginairement s’adonner à son adoration de regarder les gens danser, Sébastien Tellier nous délectera encore de ses inspirations de poésie électronique et Serpent, néo groupe pop avec Lescop à la voix, s’adressera au corps des gens – ou plutôt à leur esprit – pour ce live entablé.

© Darkroom, C.Caron
© Darkroom

Pour clôturer cette édition un peu « spéciale » la Magnifique Society invite le 27 juin Catherine Ringer, icone de la pop française, qui reprend les titres des Rita Mitsouko, le groupe plus que mythique qu’elle partageait à parité avec le regretté Fred Chichin. Ce dernier jour de festival ouvrira également sa scène à Yseult, déesse envoutante de la nouvelle chanson française entre trap, rap et sonorités électroniques, jouant avec les mots comme le ferait avec ses poings une boxeuse sur le ring. Ce serait par ailleurs injustice de passer sous silence les live de Lala &ce, jeune rappeuse française du futur, Hervé, chanteur primé aux victoires de la musique en 2021, Soso Maness, rappeur marseillais de la nouvelle génération, Folamour le DJ électro venu de Lyon, d’obédience underground oscillant entre sonorités house et jazzy, Chester Remington pour du rock made in Reims, et bien d’autres encore…

Pomme © Emma Cortijo
Yuksek © DR
Philippe Katerine © Theo Mercier
Sébastien Tellier © Valentin Reinhardt
Serpent © Giasco-Bertoli
Hervé © DR
Lala &ce © DR
Yseult © Thibault Théodore

Avec 24 concerts sur 3 jours consécutifs, le festival La Magnifique Society a su se réinventer, malgré les lourdes contraintes parfois déshumanisantes de la crise sanitaire, tout en préservant son esprit autour d’une ligne artistique affirmée et fédératrice pour offrir une excellente programmation faisant cette année la part belle à la scène musicale française. Le public pourra alors faire communion, à distance, jouer sur les clins d’œil de table en table et regarder avec envie celles qui seront installées au plus près des scènes, bénéficiant du meilleur point de vue en contreplongée. Une certaine image du monde, une Magnifique Society, en vert et malgré tout.

© A.Thome

La Magnifique Society
25-26-27 juin 2021
Parc de Champagne, Reims

lamagnifiquesociety.com
IG : @lamagnifiquesociety

Rencontre avec Philippe Martin, Directeur de la « 3e Scène » créée par l’Opéra national de Paris

Depuis 2015, L’Opéra de Paris a ouvert une troisième scène, non pas la regrettée troisième scène dédiée aux musiques contemporaines qui existaient dans le projet initial de cet opéra-monstre de la place de la Bastille. Non, une troisième scène inattendue puisqu’elle n’a d’existence que sur les écrans. La 3e Scène de l’Opéra de Paris propose aujourd’hui plus de soixante courts-métrages disponibles gratuitement en ligne –  une collection alimentée au fil des productions. Rencontre avec Philippe Martin, producteur et créateur des Films Pelléas, qui dirige cette collection avec son collègue Dimitri Krassoulia-Vronsky.

Où sommes-nous ?
Vous êtes dans un endroit particulier, celui où Corneille a créé ses premières pièces quand il est arrivé à Paris. Vous êtes aussi chez Les Films Pelléas qui ont eu 30 ans en 2020. Et ça fait près de 5 ans que nous nous occupons de la 3e Scène.

Quelles sont les origines de la 3e Scène ?
Lorsque Stéphane Lissner est arrivé à la direction de l’Opéra, il cherchait un projet numérique. L’idée est venue de créer une troisième scène en parallèle de Garnier et de Bastille. Le projet a d’abord été confié à Dimitri Chamblas, danseur lié à Benjamin Millepied. Cette année-là, j’ai produit L’Opéra de Jean-Stéphane Bron. Quand on a fini le film, Stéphane Lissner m’a proposé de prendre la succession de Dimitri.

“L’Entretien” d’Ugo Bienvenu et Félix de Givry © OnP / Les Films Pelléas

Comment s’effectuent vos choix ?
À quelques exceptions près, on ne travaille qu’avec des gens avec qui on n’a pas encore travaillé. On conçoit une ligne éditoriale sur le désir de solliciter des gens dont le travail peut résonner avec l’opéra. On ne va pas naturellement vers des gens qui aiment l’opéra, c’est l’inverse même. Stéphane Lissner a une formule claire pour définir la 3e Scène : « C’est un endroit où on invite des artistes qui n’auraient pas vocation à être invités par l’Opéra à destination d’un public qui n’a pas vocation à venir à l’opéra. »

Clément Cogitore, Claude Lévêque, Apichatpong Weerasethakul ou la plupart des gens qu’on invite n’avaient pas de liens évidents avec l’opéra. Nous passons des commandes avec un petit cahier des charges : faire des films qui aient un rapport plus ou moins proche avec les formes d’expression de l’opéra, du théâtre, de la danse, du chant, de la musique ou avec les lieux de l’Opéra de Paris. C’est ouvert, et cadré en même temps. Il y a aussi des gens qui nous sollicitent, comme l’écrivain Jonathan Littell qui m’a proposé un projet. On essaye d’être assez éclectique. Grâce à Dimitri, on a fait un film avec Jhon Rachid, youtubeur qui, je pense, n’a toujours pas compris pourquoi l’Opéra de Paris était venu le chercher. C’est ça que j’aime bien, aller chercher des gens qui sont surpris que l’Opéra fasse une démarche vers eux.

"Degas et moi" d'Arnaud des Pallières © Cécile Burban

Y a-t-il une façon spéciale d’appréhender le digital ?
Je ne donne pas de consignes particulières aux réalisateurs par rapport à la plateforme car on ne peut pas aller contre le langage de quelqu’un, ou alors il ne faut pas le choisir. Quand on a fait le film de Jonathan Littell, on savait que ça n’allait pas être un film viral comme certains autres, mais c’est son langage, sa forme d’expression. Les questions qui se posent sont celles qui se posent pour n’importe quel film : est-ce que c’est bien, est-ce qu’il n’est pas trop long, comment pourrait-il être meilleur ? etc. Je ne me conditionne pas tellement pour le digital car sinon on fait tout à fait autre chose. J’entends parfois parler d’un langage numérique, mais en général, c’est pour dire qu’il faut monter plus « cut », que les films soient encore plus courts… des choses qui ne sont pas du tout ma façon de penser. On pourrait baisser l’ambition pour être beaucoup plus vus, ça pourrait tout à fait être une stratégie mais ici on parle d’opéra, on parle d’art. Nous devons créer une familiarité, que les gens soient surpris de voir quelque chose de beaucoup plus qualitatif que ce qu’ils voient sur le net. C’est ça qui me motive.

En fait, la question du digital, ne vient pas tant au moment de la création qu’au moment de la diffusion. La façon de sortir un film est tout à fait différente de ce que je peux connaître. La plus grande découverte que j’ai faite c’est ça : comment on lance un film sur le net, comment il est vu et par qui. Et aussi faire avec tous les retours, toutes les informations qu’on a sur les diffusions et les réactions des internautes.

"Breathing" d'Hiroshi Sugimoto © DR

Pouvez-vous nous parler des différentes esthétiques de la collection 3e Scène ?
J’essaye de me libérer de la fiction, de la dramaturgie, de toutes ces choses qui font tellement le langage cinématographique en général. Ce qui est bien, dans ce cadre, c’est de partir sans tout savoir. Pour Vibrato, je connaissais Sébastien Laudenbach dont nous avions coproduit La jeune fille sans mains. Il m’a raconté que, lorsqu’il était aux Beaux-Arts, il avait passé des jours à filmer des détails du Palais Garnier, c’est comme ça que c’est parti. Les projets de Clément Cogitore et de Sébastien Laudenbach n’existent que parce qu’il y a la commande de la 3e Scène. Ce qui m’intéresse, c’est l’idée de faire des expériences, d’essayer des choses, de permettre à des œuvres d’exister. La commande à Claude Lévêque était intéressante pour ça. Il m’avait dit que ce qui l’intéressait était de filmer des détails. Au montage, ça ne donnait rien. Et puis, il a eu l’idée de mettre les Kindertotenlieder de Mahler et ensuite de mettre des grincements et tout à coup, hop, le film est apparu. Mais c’est quoi ce film ? Je ne sais pas quoi dire. Ce n’est pas un documentaire, ce n’est pas de la fiction. C’est intéressant quand il y a une forme un peu nouvelle qui apparait ou, tout du moins, différente. Même s’il faut que les films soient vus, même si l’Opéra est une institution importante où l’on ne doit pas perdre les gens… de temps en temps, ça me plait de mener des expériences sans filet, de me dire que je ne sais pas ce qu’il y aura à l’arrivée. Mais je ne voudrais pas non plus que la plateforme devienne un endroit un peu trop « hype », je veux que les films soient vus et créent du désir.

“Le Lac Perdu” de Claude Lévêque © OnP / Les Films Pelléas

Comment définiriez-vous votre métier de producteur ?
Le travail du producteur est un mélange de goût, d’intuition, de connaissance. Je sors beaucoup, je suis en perpétuelle recherche. De son côté, Dimitri, qui a à peine 30 ans, apporte des liens avec sa génération. Nous sommes tous les deux en alerte à des endroits différents. Pour les longs métrages comme pour la 3e Scène, le moteur est la collaboration avec les artistes, on échange beaucoup et je suis très présent au montage. Après, cela dépend des films. Il y a des réalisateurs qui ont plus ou moins besoin d’être accompagnés. J’essaye de répondre aux besoins de la personne qui est en face de moi. Pour Claude Lévêque, il n’y avait pas de scénario comme pour Apichatpong ou Clément Cogitore. Il y a des scénarios quand le réalisateur a besoin de passer par ces étapes-là. Autre exemple, nous avons proposé le projet à Jafar Panahi, on a trouvé un contact vers lui à qui on a présenté la commande, et puis, plus de nouvelles. Un an et demi plus tard, le contact nous rappelle pour nous dire que nous aurions le film dans un mois selon ce qui a été proposé. Depuis que je produis, je sais qu’il n’y a pas une seule façon de produire, je m’adapte beaucoup, on ne sait jamais où est l’acte de produire, de permettre à un film d’exister.

"Clinamen" d'Hugo Acier © OnP / Les Films Pelléas

Pouvez-vous nous parler de votre présence au montage des films ?
Le montage c’est presque le plus important pour moi, c’est vraiment là qu’un film se gagne ou se perd. C’est un moment délicat parce que l’artiste ne voit pas la même chose que vous, c’est un moment où il faut vraiment faire confiance à son regard. C’est très compliqué à expliquer… Si je suis producteur, c’est peut-être que j’ai quelque chose en plus qu’une personne lambda donnant son avis sur un film. Il faut être diplomate et il ne faut jamais lâcher sur le montage même si vous devez convaincre un réalisateur de changer de monteur en cours de route. Il faut toujours penser à ce que peut gagner un film. Parfois, je n’y arrive pas et si les gens viennent me voir en me disant que tel film est très bien mais qu’il y a une longueur, celle que nous avions déjà repérée mais que le réalisateur n’a pas voulue entendre, c’est une vraie douleur. Et dans ce cas, que se passe-t-il sur la plateforme ? Les gens regardent au début puis, comme c’est un peu long, ils arrêtent. Sur internet, tout le monde est beaucoup plus expéditif, et donc, deux personnes sur trois ne vont pas voir le film dans son ensemble, quand bien même il y aurait une très belle séquence à la fin. Dans ce cas-là, je me sens responsable. Certes le réalisateur n’a pas voulu entendre, mais je ne peux pas m’empêcher de me dire que, d’une certaine manière, j’ai mal fait mon travail. C’est ma responsabilité de faire qu’un film soit indiscutable sur son montage. Le montage, c’est la plus grande responsabilité.

Quelles sont vos ambitions pour la 3e Scène ?
C’est un peu banal de le dire mais les esthétiques dominantes aujourd’hui ne sont pas celles que nous défendons. À la télévision, le langage visuel du reportage ou de la photo peu soignée est dominant. Sur internet n’en parlons pas, ces questions ont même quitté la sphère d’internet. Tout cela n’a que peu à voir avec l’art. En fait, il faut accepter l’idée que dans la masse des productions, en cinéma comme en littérature, les œuvres d’art réelles sont minoritaires. Ce qui doit nous préoccuper, c’est que des espaces pour la création et l’ambition existent toujours, c’est ce qui m’intéresse dans le cinéma ou sur le digital.  À travers la 3e Scène, nous avons développé un espace de création dans lequel nous nous préoccupons avant tout de la qualité.
Cela peut paraitre prétentieux de le dire mais ce qui nous mobilise ici, c’est de tendre vers des œuvres d’art.

Philippe Martin © Laurent Champoussin